Révolution du XXIème siècle, l’économie numérique aiguise les appétits européens ! Pour cela, l’information devient primordiale pour apparaitre aux yeux de tous comme la “capitale européenne du numérique”. Paris, Berlin, Londres : la compétition est lancée !
« L’Internet ne vient pas s’ajouter au monde que nous connaissons. Il le remplace ». Cette déclaration de Pierre Bellanger illustre l’ampleur de la révolution numérique actuelle et met en perspective la place que prend l’économie immatérielle dans notre société. Les enjeux autour de cette nouvelle économie sont stratégiques en termes d’emplois (54% des emplois européens sont menacés), de croissance (potentiellement 100 milliards d’euros annuels de croissance supplémentaire pour la France d’ici 2020) et de compétitivité des entreprises (+26% pour celles qui sont numérisées). Si les Etats-Unis mènent la course du fait de la création volontariste d’un écosystème ad-hoc (Silicon Valley), le continent européen ne possède pas encore d’équivalent. La crainte du « paradoxe de Solow », et les particularités de l’économie numérique donnant un avantage structurant au premier entrant sur un marché, poussent les Etats européens à mener une lutte acharnée pour bénéficier des retombées de cette nouvelle économie.
Dans cette véritable « guerre d’influence », les Etats s’appuient sur leurs capitales pour conforter leur rayonnement international et trois d’entre elles se démarquent dans cette compétition au niveau européen : Paris, Londres, et Berlin.
Une compétition centralisée autour de la notion d’écosystème
L’élément central dans la quête du titre de capitale du numérique est la notion d’écosystème. Accès aux financements, infrastructures ad-hoc, foncier disponible et accessible, main d’œuvre qualifiée, attractivité des dispositifs juridiques et fiscaux, soutien des pouvoirs publics, concentration des acteurs… Autant d’éléments qui s’articulent pour faire émerger un environnement propice au développement de l’économie numérique. Les trois métropoles s’appuient, développent et promeuvent ces aspects dans l’objectif de surpasser les deux autres et d’apparaitre ainsi comme l’écosystème numérique européen d’excellence. Cependant, s’appuyer sur ces atouts ne suffit pas à l’emporter, encore faut-il le faire savoir. Pour cela, des stratégies poussées de marketing territorial ont été mise en place par les capitales qui se livrent ainsi à une véritable guerre informationnelle rendant indispensable la maitrise de l’information stratégique.
Une compétition qui s’intensifie
C’est à l’occasion des Jeux Olympiques de 2012 que Londres a débuté les hostilités en revendiquant le titre de capitale européenne du numérique en s’appuyant notamment sur la puissance de son système financier, sa maitrise de la langue « globale » et de sa culture pro entreprise. S’appuyant sur une campagne de communication massive, le quartier « Tech-city » était présenté ainsi comme l’emblème d’excellence de l’écosystème londonien pour les entreprises du numérique à l’inverse de l’environnement parisien jugé mauvais pour faire des affaires.
Face à cela, Paris, et ses acteurs du numérique, ont décidé de riposter en mettant en avant la richesse et la puissance de l’écosystème numérique parisien vis-à-vis de Londres en engageant une véritable guerre des chiffres. Constatant son déficit de valorisation sur la scène internationale Paris s’est également lancé depuis, dans une vaste opération d’influence pour asseoir son rayonnement : fédération de ses acteurs sous le label French Tech pour accroitre sa visibilité à l’international, lancement du programme « Paris Capitale numérique », création d’évènements autour du numérique, promotion de l’ouverture prochaine de la Halle Freyssinet – 1er incubateur mondial de start-up – en s’appuyant sur l’emblématique Xavier Niel… L’ensemble de ces démarches vise à répondre à la concurrence européenne et témoigne d’une résurgence de l’esprit entrepreneurial français.
En retrait de la rivalité traditionnelle entre Paris et Londres, Berlin s’affirme également comme un acteur européen de premier ordre en matière numérique. S’appuyant sur le faible coût des logements et sur son image de métropole créative et artistique, la capitale allemande a également mis en place une politique de promotion de son écosystème numérique avec l’ouverture de la « Factory Berlin ». Enfin, sa position géographique lui permet d’avoir un accès privilégié aux nouveaux marchés des pays de l’Est en forte croissance démographique et économique.
Quelle que soit la capitale, celle-ci est soutenue au plus haut niveau de la mairie, mais également de l’Etat, par les autorités politiques. Londres a ainsi lancé l’initiative Tech city à l’initiative du premier ministre David Cameron et du maire de Londres Boris Johnson. L’objectif est de faire de Londres « the digital capital of Europe » d’ici 2020. Le projet « Paris Capitale numérique » a été mis en place et soutenu par le gouvernement français tandis que lors de la campagne municipale, l’actuel maire Anne Hidalgo a fait du titre « capitale européenne du numérique » un argument de campagne. Enfin le maire de Berlin Klaus Wowereit a déclaré devant le président de Google Eric Schmidt vouloir faire de Berlin « le hub numéro 1 des startups en Europe ». Dans le même temps, le gouvernement Allemand annonçait un plan de 500 millions d’euros pour accélérer le développement du numérique du pays.
Des stratégies diversifiées
Dans cette compétition les approches des capitales divergent. Ainsi, Londres revendique ce titre menant par la même occasion de véritables campagnes de désinformation envers ses concurrents. Elle n’hésite pas non plus à tenter d’attirer les entreprises numériques des autres capitales en s’appuyant notamment sur une politique fiscale avantageuse et la puissance de sa place financière. Elle bénéficie également des politiques pro-numériques mises en place par le gouvernement anglais. Ce dernier a par exemple rendu obligatoire le Building Information Modeling (BIM) – logiciel de modélisation des données – dans le cadre des travaux publics.
Paris, et le gouvernement français, ont également lancé une politique de promotion et de soutien du numérique : la France serait ainsi devenue plus compétitive que les Etats-Unis en matière numérique. Axelle Lemaire, secrétaire d’état au numérique, n’hésite pas à afficher les ambitions de leadership français, que ce soit dans le domaine du Big Data ou des objets connectés. Ces secteurs correspondent à la prochaine vague d’entreprises numérique d’envergure après celle des plateformes « over the top » tel que Google, Facebook, Amazon et Apple. Ce volontarisme vise à ne pas se laisser submerger dans la guerre informationnelle menée par Londres – ou d’autres écosystèmes concurrents – et traduit ici une véritable démarche de développement économique.
A l’inverse Berlin et le gouvernement allemand se font plus discret sur la question. Pourtant les mêmes objectifs apparaissent : la capitale allemande procède à une véritable opération d’influence pour attirer les startups anglaises en l’échange d’aides financières, de loyers offerts et de soutiens au développement… La récente nomination du commissaire allemand Günther Oettinger à « l’économie numérique et société » démontre toutes les ambitions allemandes en la matière. Ce dernier était en charge de l’énergie, enjeu stratégique pour l’Allemagne, sous la précédente Commission. Cela démontre l’intérêt porté par l’Allemagne sur ces questions, surtout dans le cadre d’Europe 2020 où le numérique apparait comme une priorité. La compétition glisse ainsi peu à peu du champ informationnel à celui de l’influence.
Une issue incertaine
Commencée en 2012, cette guerre d’influence ne prendra fin que lorsque l’une des capitales aura pris définitivement le dessus sur les deux autres. L’Union Européenne a mis en place dans le cadre du programme « Europe 2020 » un agenda digital pour l’Europe, faisant du numérique une priorité. De ce fait, un certain nombre de financements seront ouverts pour soutenir l’économie numérique et favoriser son développement. Dans ce contexte il est certain que cette concurrence se renforcera d’ici la fin de la décennie tant les enjeux financiers, économiques et politiques sont déterminants pour les économies nationales.
In fine, si Paris peut se targuer d’avoir un écosystème de qualité – techniciens de bonne formation, fidélité des salariés, cadre réglementaire pro-innovation – permettant de lutter face à la campagne de désinformation menée par Londres, la plus grande menace pourrait venir d’outre-Rhin. En effet, la lettre de mission du Commissaire Allemand Günther Oettinger prévoit la création de normes visant à encourager le développement des activités numériques. A travers sa position, les intérêts de Berlin sont susceptibles de recevoir un relai efficace, susceptible d’affaiblir la position de Paris et menacer ses perspectives de développement. Pour éviter cela Paris devra dépasser la démarche de lutte informationnelle pour entrer dans celle de l’influence en assurant notamment une présence suffisamment active auprès des institutions de l’Union Européenne afin de bénéficier des financements liés au numérique qui seront débloqués dans la décennie. L’intelligence économique trouve ici un terreau favorable en permettant un traitement efficace et efficient de l’information au service du développement des territoires.
Hugo Lambert