Les tensions actuelles entre la Russie et l’Ukraine ont ramené au centre du débat européen la stratégie de sécurité énergétique du continent, qui, dans ce domaine, fait état d’une dépendance préoccupante. L’Europe, et plus particulièrement les pays de l’Adriatique, réfléchissent donc à des voies de diversification. Dans ce contexte, le gaz naturel liquéfié (GNL) peut apparaître comme une alternative séduisante.
La sécurité énergétique européenne compromise par sa dépendance au gaz russe
Alors que la dépendance gazière de l’Europe s’accroit (par la combinaison d’une consommation croissante et d’une production domestique en diminution), plusieurs pays manifestent en effet leur inquiétude quant à une hypothétique interruption de l’acheminement du gaz russe via l’Ukraine. Ceux-ci, notamment localisés en Europe du Sud-Est, sont dépendants du gaz russe (17,9% de la production mondiale en 2013) comme l’atteste le tableau ci-dessous :
Pays |
Part du gaz dans l’énergie totale consommée (2013) |
Part de la production domestique dans la consommation totale de gaz (2013) |
Poids de la Russie dans les importations de gaz (2012) |
Italie |
38,6% |
11% |
26,7% |
Slovénie |
10,1% |
0% |
42% |
Grèce |
13,8% |
0% |
55,1% |
Bulgarie |
13,4% |
10% |
100% |
Hongrie |
35,4% |
20,65% |
98% |
Slovaquie |
26,2% |
1,7% |
100% |
Les simulations de l’European Network of Transmission System Operators for Gas (ENTSOG) confirment cette vulnérabilité : dans le cas de perturbations dans l’acheminement du gaz russe vers l’Europe, plusieurs pays seraient touchés par une interruption de l’approvisionnement en gaz.
Une diversification possible par le GNL pour les pays bordant l’Adriatique ?
Ces craintes ne sont pas infondées puisque certaines nations européennes ont déjà dû faire face à une coupure de la fourniture en gaz par le passé[i]. En réponse, l’UE, par le règlement n° 994/2010, a mis en évidence les facteurs clés sur lesquels travailler pour assurer la sécurité énergétique de la Communauté de l’Energie. Parmi ces facteurs clés figure la diversification des fournisseurs ainsi que des voies d’approvisionnement, notamment par le gaz naturel liquéfié (GNL).
Pour l’heure aucun des nouveaux projets de gazoducs prévus ne résoudrait complètement la problématique de la sécurité énergétique au Sud-Est de l’Europe[ii]. Le GNL apparaît donc comme une alternative à prendre en compte pour les Etats d’Europe du Sud-Est disposant d’un accès à la mer, et indirectement pour leurs voisins. D’autant que le GNL présente des arguments forts pour la sécurité énergétique. Via les méthaniers, il peut être transporté sur de très longues distances, ce qui augmente le nombre potentiel de fournisseurs. En outre ce procédé permet d’esquiver l’éventuelle problématique des pays de transit. Ainsi l’accès à la Mer Adriatique se révèle être un élément potentiellement déterminant en vue d’assurer la sécurité énergétique de la région.
A l’heure actuelle, il n’existe qu’un terminal méthanier capable d’accueillir du GNL en Adriatique, le terminal de Porto Levante en Italie. La Grèce peut aussi importer du GNL grâce au terminal de Revithoussa, situé en Mer Egée. Conscients de l’intérêt du GNL dans cette région de l’Europe, l’UE a encouragé le lancement de plusieurs projets (la plupart encore au stade de l’étude) visant à faciliter l’importation de GNL en Adriatique.
Ces projets laissent à penser qu’il existe une demande croissante pour le GNL en Europe et à fortiori pour la région de l’Adriatique. Pourtant, la part du GNL dans les importations de gaz en Europe a baissé entre 2012 et 2013, passant de 20 à 15%. Pire, cette baisse a été en partie comblée par les exportations russes de gaz.
La présence de freins à l’usage de cette ressource
Ce phénomène n’est pas la conséquence d’une saturation des terminaux méthaniers en Europe. A titre d’exemple, en Grèce, sur une capacité totale d’importation de 5,3 milliards de mètres cubes par an, seulement 0,7 milliards de mètres cubes de GNL ont été importés en 2013. De même, en Italie, la moitié de la capacité d’accueil de GNL n’a pas servi.
Il existerait en réalité plusieurs blocages concernant le GNL. Le premier frein est d’ordre technique. Au sein de la Communauté de l’Energie, environ deux tiers des contrats courent actuellement sur plus de dix ans. Les contrats de gaz étant établis sur plusieurs années, le marché du gaz est donc rigide, entravant les tentatives de réorientation des sources d’approvisionnement.
Le second frein est d’ordre financier. Aujourd’hui, les exportateurs de GNL[iii] destinent leur cargaison au marché asiatique, qui propose un prix plus élevé pour le gaz. Suite à la catastrophe de Fukushima, le Japon, premier importateur de GNL au monde, a augmenté sa demande, poussant les prix asiatiques à la hausse. Les acheteurs européens potentiels tels que la Grèce ou l’Italie ne sont donc pas incités à investir sur le marché du GNL. D’autant que les projets de gazoducs TAP-TANAP passeront par leurs territoires, rendant moins urgente la question de la diversification pour ces deux pays. A ces éléments s’ajoute les coûts de construction et d’exploitation extrêmement élevés des terminaux méthaniers. En cette période de crise, les pays en situation délicate, comme la Grèce, n’ont donc pas les moyens d’accueillir et de traiter le GNL envoyé par méthaniers.
Le coût du GNL a pour le moment raison de la tentative de diversification par cette ressource des pays européens. Cette situation met dans une position extrêmement délicate les pays qui dépendent entièrement de la Russie pour leur gaz et qui auraient pu bénéficier du GNL débarqué dans les terminaux des pays bordant l’Adriatique.
Vers un assouplissement du marché du GNL ?
Si pour certains experts l’Europe devra consentir à un effort financier pour faire évoluer son mix énergétique en faveur du GNL[iv], Il existe néanmoins des raisons d’espérer de voir le marché du GNL s’assouplir dans un avenir proche. En effet, l’arrivée de nouveaux acteurs tels que les Etats-Unis devrait augmenter l’offre et pousser le prix du GNL à la baisse. Le président du Conseil Européen Herman Van Rompuy appelle de ses vœux une collaboration étroite entre l’UE et les USA, notamment à travers le Partenariat Transatlantique de Commerce et d’Investissement. Aux Etats-Unis la première structure de liquéfaction de gaz naturel sur la côte Est devrait voir le jour entre 2015 et 2017 pour une capacité annuelle de 24 milliards de mètres cubes (à titre de comparaison les gazoducs TANAP et TAP devraient dans un premier temps livrer 10 milliards de mètres cubes par an en Europe). Ceux-ci devraient être enclins à exporter leur gaz vers l’Europe et notamment l’Adriatique, si cela peut amoindrir l’influence russe dans la région.
Une diversification par le GNL pour les pays de l’Adriatique ne sera réellement bénéfique à l’ensemble de l’Europe du Sud-Est que si les terminaux méthaniers existants et futurs sont connectés au réseau de gazoducs des pays voisins qui n’ont pas d’accès à la mer, et qui sont à l’heure actuelle dépendants du gaz russe. C’est pourquoi l’ENSTOG met aussi l’accent sur les projets d’interconnexions entre réseaux nationaux et à double sens dans son plan décennal de développement du réseau (Ten Years Network Development Plan). Cette connexion est une condition sine qua none pour assurer la sécurité énergétique de cette partie de l’Europe.
Gwendal Boëdec
Pour aller plus loin :
- European energy security strategy, European Commission 2/07/2014
- BP Statistical Review of World Energy Juin 2014, www.bp.com
- Gas Trade Flows in Europe, www.iea.org
- Gas Infrastructure Europe, LNG Map 2014, www.gie.eu
[i] En janvier 2009, des désaccords financiers entre Gazprom et Naftogaz vont conduire à une « fermeture des robinets de gaz » pour des pays d’Europe de l’Est et du Sud-Est.
[ii] Le projet de gazoducs TANAP-TAP reste assez modeste et ne dessert pas tous les pays dépendant du gaz russe. Quant au projet South Stream – qui, à défaut de diversifier les fournisseurs, ouvrait une nouvelle route d’approvisionnement – il a été abandonné par la Russie.
[iii] Les principaux exportateurs de GNL sont le Qatar, la Malaisie, l’Australie, l’Indonésie et le Nigéria. Ils fournissent à eux cinq deux tiers des exportations mondiales.
[iv] Selon le Cabinet Bernstein Research, l’Europe devra surenchérir sur les prix asiatiques si elle souhaite attirer les exportateurs de GNL.