L’histoire de la finance au regard de l’intelligence économique

Ce 19 janvier dernier, l’Ecole de Guerre Economique a accueilli pour son 72ème séminaire de recherche Thibault Renard et Olivier Feiertag. Ils ont tous deux débattu avec le public sur l’histoire de la finance et les crises monétaires.

Selon Thibault Renard, référent national Intelligence Economique de CCI France, se plonger dans l’histoire de la finance c’est reconstituer une histoire parcellaire à partir de multiples sources.  Le grand public lui-même ne sait pas ce qu’est véritablement la finance, ni ce qu’elle recouvre, ce qui donne lieu à tous les fantasmes.

Pour la comprendre il faut en comprendre l’histoire de ses acteurs, et pas seulement celle des théories et modèles économiques. En effet, quand on étudie l’économie, existe un fort courant d’origine anglo-saxonne qui estime que tout ce qui se passe avant l’émergence du capitalisme est de moindre importance. Or, même s’ils ont évidemment bien évolué, la majorité des acteurs de la finance (banques, assurance,  spéculateurs, monnaie, bourses etc.) étaient présent bien avant le capitalisme, et connaitre leur histoire est essentiel. Analyser l’évolution historique du rapport à l’argent et à la monnaie dans nos société est aussi un élément déterminent pour comprendre l’histoire de la finance. Or pendant très longtemps, il y a eu un désintérêt de parler de la monnaie, car celle-ci était considérée comme un outil, comme la résultante du marché et non pas comme un enjeu majeur, de souveraineté par exemple.

La production académique et universitaire, grâce à des ouvrages de référence comme Histoire de la finance ; le temps, le calcul et les promesses de Philippe Spieser, et Loic Belze, ou encore les travaux dirigés par Olivier Feiertag permet heureusement de reconstituer cette histoire de la finance et de ses acteurs. Cependant on constate, concernant la production à destination du grand public, d’une absence d’approche globale. Celle-ci cède la place à des publications ponctuelles, en lien avec l’actualité, plutôt le fait d’économistes ou historiens, mais aussi beaucoup de journalistes ou de témoignages : histoire des crises financières, histoire de la dette, de la spéculation, histoire « de l’intérieur » de telle ou telle banque… le réflexe d’une approche historique cède ainsi le pas à une réaction à chaud sur l’actualité : à titre d’exemple, le livre de Nicolas Boudanis, « Faillites grecques: une fatalité historique ? », le seul à appréhender la crise grecque dans une perspective historique, est quasiment introuvable aujourd’hui. A l’heure de l’euro et des questionnements autour du rôle de la BCE ou de la FED, le Que sais-je de Norbert Olszak, Histoire des banques centrales, n’est pas réédité…

Ce « terrain en friche », dans le domaine de la vulgarisation a plusieurs conséquences. Des légendes persistent encore, y compris dans des productions sérieuses, comme le « coup en bourse » des Rothschild lors de la bataille de Waterloo : une anecdote qui occulte, et c’est dommage, la dimension « guerre économique » qu’avait pris l’affrontement entre Napoléon et l’Angleterre. L’Histoire de la création de la réserve fédérale américaine, passionnante et suite directe de la crise de 1907, est aujourd’hui essentiellement racontée sur le Net (et particulièrement sur Youtube), par les théoriciens du complot,qui vont pour certains jusqu’à y voir l’explication du naufrage du Titanic… Par ailleurs, Thibault Renard a souligné que certaines grilles de lectures obsolètes restent prégnantes. Il a pris l’exemple de la chute de Lehman Brothers, qui serait l’aboutissement pour certains de l’affrontement entre banques juives et banques protestantes. Même si de la fin du XIXème siècle jusqu’à la moitié du XXème siècle, cette hostilité a été réelle, l’internationalisation des pratiques et des professionnels de la finance à Wall Street depuis plusieurs dizaines d’années  rend cette analyse peu pertinente aujourd’hui. La chute de la banques « juive » Lehman Brothers, n’est donc pas le fait d’un complot impliquant la « WASP » JP Morgan, aidée pour l’occasion d’un  Henry Paulson téléguidé par une Goldman Sachs trop heureuse d’évincer ainsi sa grande rivale juive… La réalité résulte bien d’avantage d’un consensus refusant de sauver Lehman Brothers en particulier, à l’heure ou quasiment tous les grands établissements financiers étaient menacés… Un consensus lié en grande partie à l’arrogance de son PDG, Dick Fuld. Evidemment, des jeux d’influence sont à prendre en compte, mais dans le cadre de grilles de lecture pragmatiques. Il ne faut ainsi pas oublier que ce n’est pas la finance qui domine le monde, mais le couple très profond qu’elle forme avec le politique. L’approche historique, ainsi que l’intelligence économique, font justement partie des outils qui permettent de mieux comprendre l’histoire et la nature des liens qui unissent ce couple, et de lever ainsi un coin du voile. 

Olivier Feiertag, historien de l’économie, a précisé que la finance est historiquement liée au pouvoir, car le souverain est le meilleur placement : il emprunte beaucoup avec un minimum de risque.  La finance est également à relier à l’intelligence économique, dans le sens où elle traite de l’information et fait de l’argent à partir d’elle.

Pour étayer ses propos, Olivier Feiertag a utilisé l’exemple actuel de la Banque Suisse et l’arrêt du soutien entre la monnaie suisse et l’euro. Cet évènement est un épisode nouveau de la guerre monétaire : par cette décision, la Suisse assume son pouvoir d’attraction et contre-attaque face à la guerre du fisc. La monnaie devient une arme.

Historiquement, les guerres monétaires existent car il n’y a pas de monnaie qui ne soit pas liée à l’Etat : la capacité d’un billet de banque à libérer d’une dette est toujours circonscrite aux frontières d’un Etat. D’où la nécessité des règlements internationaux, permettant de payer une dette d’un Etat à un autre. Mais le pouvoir des monnaies internationales entraine une guerre monétaire féroce, inaugurée par la première guerre mondiale qui met fin à l’étalon or (interchangeabilité des monnaies en poids d’or) et le remplace par un système politique et public dont les Etats maîtrisent le cours.

Les années 30 sont une vaste période de guerre monétaire. Cependant, il est toujours possible de négocier et le compromis a toujours été la base d’expansion monétaire. Bretton Woods l’illustre bien, en ce qu’il a permis les 30 Glorieuses. La paix monétaire est donc bien une question de diplomatie économique.

Paul Boone et Elodie Le Gal