Le Portail de l’IE était présent à l’Institut des Amériques ce jeudi 5 février 2015 pour la conférence consacrée au Brésil. Les thèmes abordés sont la culture brésilienne, les métaux stratégiques en Amérique latine et la situation politique et économique actuelle du Brésil.
Hervé Théry
CNRS-Creda, Professeur invité à l’Universidade de São Paulo (USP), Co-directeur de la revue Confins.
Communauté culturelle et spécificités nationales, comment négocier avec des Brésiliens ?
Parmi les BRICS, le Brésil est le pays qui a la plus grande proximité culturelle avec la France par le biais de la langue latine, du droit, du catholicisme et de sa matrice culturelle notamment. Néanmoins, l’acclimatation culturelle n’est pas si facile. Hervé Théry souligne que les deux pays ne fonctionnent pas de la même manière. Le pays a une administration très tatillonne et bureaucratique qui peut rapidement déconcerter les nouveaux arrivants. Ainsi, tous papier doit être validé par le Cartorio de Notas (l’acte des offices) et cette validation est payante, c’est ce que l’on appelle le Custo Brasil (le coût brésilien) qu’il faut prendre en compte dans ses dépenses. Les Brésiliens font preuve de beaucoup d’audace et d’optimisme et ont une foi inébranlable en eux, et souvent cela fonctionne. Hervé Théry rappelle que la préparation de la coupe du monde a été difficile, mais qu’au final tout s’est bien déroulé. De même, selon lui, jamais on entendra : « il fallait t’y prendre avant », pour les Brésiliens même si l’échéance est proche, tout est réalisable. Les principaux éléments de sociabilité au Brésil sont le football, on appartient à un club et pas à une ville, il en va de même pour les telenovelas qui sont des sujets incontournables de conversation. Hervé Théry termine en rappelant que le Brésil est avant tout un pays-continent très diversifié, tourné vers le Mercosur, l’Europe, ses nouveaux partenaires des BRICS, mais aussi de plus en plus vers l’Afrique et notamment l’Afrique lusophone.
Christophe-Alexandre Paillard
Administrateur civil hors classe, Directeur du domaine « armement économie de défense », IRSEM, Ministère de la Défense.
Technologies de défense et métaux stratégiques: quelle place pour l’Amérique latine
Selon Christophe-Alexandre Paillard, le Brésil fait partie des dix pays miniers les plus importants au monde. Le Brésil exporte principalement du fer vers la Chine, ce qui crée des tensions avec cette dernière qui achète le produit brut, mais non transformé (acier). Il détient aussi des métaux rares comme le Niobium (utilisé dans l’aéronautique, notamment de défense) dont il possède 97% des réserves mondiales connues. Or, Christophe-Alexandre Paillard souligne qu’on utilise de plus en plus de métaux rares pour des objets du quotidien comme l’Iphone qui utilise pas moins de neuf métaux issus de la famille des terres rares. Pour lui, il est important de définir ce qui est stratégique pour le pays et qui n’aura pas les mêmes objectifs que la France ou la Chine. Une distinction est aussi à opérer entre les métaux stratégiques essentiels selon les pays et les métaux critiques qui sont rares (du fait d’enjeux géologiques, économiques et géopolitiques notamment). Avec le développement des énergies renouvelables (photovoltaïque et éolien) qui utilisent de nombreux métaux rares, le Brésil, avec l’Inde, pourrait ainsi se substituer tout ou en partie à la production chinoise. Christophe-Alexandre Paillard souligne que pour la Chine, qui depuis 2010 a instauré des quotas d’exportation pour ces métaux (elle a d’ailleurs été condamnée par l’OMC en août 2014), cette situation pourrait présager la mise en place d’une future “guerre des métaux”. Au Brésil, 4% du PIB est fondé sur l’industrie des minerais et est vitale pour la balance commerciale brésilienne qui est déficitaire de 3,93 milliards de dollars en 2014. De manière plus générale, en 2015, le Brésil connait une situation économique très préoccupante. Christophe-Alexandre Paillard rappelle que le secteur minier génère ainsi 165 000 emplois. Les ressources minières sont reparties un peu partout sur le territoire et l’Ibram (Institut brésilien des Minerais) mène actuellement des campagnes d’exploration sur l’ensemble du territoire.
Charles-Henry Chenut
Docteur en droit, avocat associé, cabinet brésilien Chenut Oliveira Santiago, Vice-président du Comité national des conseillers du commerce extérieur de la France.
Brésil 2025 : entre intrigues et interrogations !
Selon Charles-Henry Chenut, les dernières élections ont été rocambolesques. On a pu voir une vraie mobilisation. Au Brésil, qui compte 143 millions d’électeurs, le vote est obligatoire, mais il y a eu peu de votes blancs. Les observateurs ont remarqués une crispation du peuple brésilien avec 40% de personnes pour Dilma Roussef et 40% pour Aévio Neves. Dilma Roussef a focalisé toute l’attention de ces élections. Charles-Henry Chenut souligne qu’il y a eu une prise de conscience de l’enjeu électoral qui a engendré un vote de réaction émotionnelle et non pas de raison. Les électeurs ont réagi pour ou contre Dilma Roussef et non pas sur son programme. Une fracture géographique Nord/Sud a été visibile, mais aussi entre les classes sociales, les plus pauvres votant pour Roussef et les classes entrepreneuriales, majoritairement en faveur de Neves. Selon Charles-Henry Chenut, les candidats n’avaient pas vraiment de programme, ils ont échangé sur des questions institutionnelles, sécuritaires, de santé et d’éducation, mais les vrais points de divergences n’ont pas été évoqués. Notamment leur positionnement sur les questions internationales, Roussef étant plus proche de l’Amérique latine, des BRICS et de l’Afrique alors que Neves est plus proche de l’Europe et de l’Amérique du Nord. Pour Charles-Henry Chenut, cette élection a été une onde de choc pour l’ensemble de la classe politique. Roussef a mis beaucoup de temps à constituer un gouvernement (beaucoup de désistement) qui n’est pas très soudé. Charles-Henry Chenut rappelle que la nomination de Joaquim Levy un libéral dans un gouvernement de gauche a ajouté à la confusion. Roussef a perdu en légitimité notamment au parlement et a des difficultés à réformer lourdement un pays qui en a besoin. Selon lui, l’affaire Petrobras pourrait aggraver la situation avec une possible procédure d’impeachment. A l’heure actuelle, l’avenir du pays reste encore flou.
D’un point de vue économique, Charles-Henry Chenut rappelle que le Brésil connait de grandes difficultés : le FMI prévoit seulement 0.3% de croissance et 6% d’inflation pour 2014, l’activité sectorielle est en berne et la pauvreté progresse. Le Brésil s’est déclassé par rapport aux autres pays en développement.
Cependant, les relations franco-brésiliennes politiques et économiques restent bonnes. Charles-Henry Chenut souligne que l’on constate de très bonnes réussites françaises dans les secteurs de niches comme les énergies renouvelables et les nouvelles technologies. Le Brésil reste une terre intéressante pour investir, mais ce n’est plus un eldorado : cela coûte cher et se mérite.
Catherine Saumet