Bruno Delaye, président d’Entreprise & Diplomatie – filiale de l’ADIT – nous a fait l’honneur d’un entretien avec l’équipe du Portail de l’IE.
Portail de l’IE : Bruno Delaye, vous avez été ambassadeur représentant de la France dans de nombreux pays (Grèce, Espagne, Brésil). Quel rôle jouait –ou aurait pu jouer- l’Ambassade pour accompagner les entreprises françaises dans leur développement international ?
Bruno Delaye : Aujourd’hui nos Ambassades jouent un rôle stratégique et – j’ose le dire – parfois décisif dans le déploiement à l’international de nos entreprises. Ceci pour plusieurs raisons :
-Dans la plupart des pays du monde nos Ambassades sont des têtes de réseaux incomparables : que ce soit dans l’appareil d’Etat, dans les milieux économiques ou auprès des leaders d’opinion locaux. Ces réseaux sont mobilisables à tout moment pour aider nos entreprises à mieux s’informer, obtenir un rendez-vous important, etc… Un bon ambassadeur connait le poids respectif de chaque décideur local, connait les arguments qui feront mouche pour convaincre un interlocuteur, sait détecter les obstacles ou les réticences, sait aider à bâtir une stratégie gagnante pour répondre à un appel d’offres international.
Par ailleurs, il existe dans les ambassades un certain nombre de services dédiés pouvant apporter leur expertise précieuse. J’en cite quelques-uns, parfois méconnus :
- les missions économiques, qui suivent la macroéconomie du pays, son secteur financier et les grands contrats régaliens,
- les bureaux de Business France qui appuient nos PME à travers l’organisation de missions collectives sectorielles et ciblées ou la participation aux salons-expos spécialisés,
- les attachés de Défense pour le secteur des équipements militaires,
- les attachés de Sécurité intérieure pour le secteur des équipements de sécurité et d’identification,
- les attachés scientifiques pour le secteur Recherche & Développement,
- les attachés douaniers pour les problèmes de taxes et de transit logistique,
- les bureaux d’Atout France pour le tourisme en France,
- et même les attachés culturels pour le secteur des industries audiovisuelles et de l’édition.
Nos Ambassades ont aussi pour mission de promouvoir l’attractivité du territoire français auprès des investisseurs étrangers potentiels. Il m’est souvent arrivé d’intervenir auprès d’autorités françaises, à l’échelon national ou régional, pour favoriser la démarche d’un investisseur espagnol, brésilien ou mexicain.
Nous faisons aussi souvent des « road shows » dans les pays cibles pour promouvoir l’attrait des territoires français auprès des investisseurs étrangers.
Nous avons aussi ouvert les salons de nos Ambassades aux entreprises pour y organiser des événements promotionnels pour nos entreprises (mode, gastronomie, luxe, art de vivre) ou des rencontres spécialisées (fonds d’investissement, nouvelles technologies, découvertes scientifiques).
En avril 2013, Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères, déclarait : « Le Quai d’Orsay doit être aussi, à travers toutes ses tâches, la maison des entreprises. ». Sous son ministère, la diplomatie économique est devenue officiellement une priorité politique au service du redressement économique de la France. Quels sont les changements concrets qui se sont opérés au sein du Quai d’Orsay ?
Sous l’impulsion de Laurent Fabius, le Quai d’Orsay s’est mis en effet en ordre de bataille pour être encore plus efficace dans sa vocation d’agent de la diplomatie économique :
- renforcement des bureaux parisiens de la « Direction des entreprises », recrutement de chargés de mission économiques dans chacune des directions géographiques des MAEDI.
- encouragement des Ambassadeurs à s’impliquer personnellement dans la bataille de l’export. Ils disent y consacrer aujourd’hui plus de 40% de leur temps.
Il n’est plus « dégradant » pour un Ambassadeur de devenir le VRP du « made in France », bien au contraire. Parler de turbines ou de satellites, de viande de bœuf ou de médicaments fait partie de leur travail quotidien, au même titre que leurs échanges sur les initiatives de paix, une intervention militaire, une conférence sur l’environnement ou le désarmement.
Mais au-delà de cet engagement physique de nos diplomates dans l’arène brutale de la compétition économique, il ne faut pas oublier que la diplomatie d’un grand pays comme la France est avant tout globale. Notre rayonnement intellectuel, scientifique et culturel, notre engagement à défendre des valeurs universelles héritées du siècle des Lumières, sont les vrais moteurs de notre diplomatie d’influence à l’échelle planétaire. Faire aimer la France pour ses valeurs c’est une autre façon, parfois très efficace, de vendre le « made in France ».
Notre diplomatie dispose pour cela d’un grand nombre d’outils d’influence, qui vont des lycées français aux bourses universitaires, en passant par nos Instituts, Alliances françaises et cours de langue.
Notre diplomatie culturelle est donc un heureux complément de notre diplomatie économique. Il faut à tout prix en maintenir les moyens et la conforter à ce titre comme une véritable mission de Service Public.
En 2014, vous avez pris la direction d’Entreprise & Diplomatie – filiale de l’ADIT, le poids lourd de l’intelligence économique en France. Pouvez-vous nous donner des précisions sur vos activités et les types de problématiques qui vous sont posés ?
En effet, j’ai été détaché en février 2014 par le Quai d’Orsay pour diriger une nouvelle filiale de l’ADIT, Entreprise & Diplomatie. Il s’agissait de mettre directement à disposition de nos entreprises l’expérience de diplomates chevronnés, en la mixant avec celle de juristes d’affaires, de militaires de haut rang et d’ingénieurs de haut niveau ayant un parcours industriel.
Nous fonctionnons donc depuis deux ans et ne cessons de croître à un rythme exponentiel, tant la demande est grande.
Nous travaillons en étroite concertation avec les services du Quai d’Orsay et de Bercy ainsi qu’avec nos postes diplomatiques. Nous sommes liés avec les entreprises qui nous sollicitent par une relation contractuelle précise qui nous fixe des objectifs concrets, avec une obligation de résultat. Nous intervenons dans toutes sortes de pays, y compris auprès des institutions multilatérales, et la plupart du temps dans des régions où la situation locale est complexe. Nous avons un bureau-correspondant à Pékin et participons avec MEDEF International à l’ouverture d’un bureau commun à Téhéran.
La complémentarité avec l’ADIT est parfaite. En amont de la diplomatie économique, l’ADIT a un portefeuille de services exceptionnel en matière d’intelligence économique (« due diligence » sur les sociétés et personnes, cartographie des décideurs locaux, veille concurrentielle, sélection d’agents ou de partenaires locaux, etc…).
Cette matière première nous est précieuse pour notre travail de diplomatie opérationnelle au service de l’entreprise cliente. De plus, nous pouvons nous appuyer localement sur le réseau de plus de 450 correspondants que l’ADIT a forgé en 20 ans à travers le monde.
Ainsi nous avons pu, en deux ans d’existence d’E&D, réaliser 50 missions dans le monde pour 22 entreprises différentes, chacune couvrant une durée de 3 mois à un an.
Biographie de Bruno Delaye :
Bruno Delaye est Ministre Plénipotentiaire hors classe au Ministère des Affaires. Diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris et de l’Ecole Nationale D’Administration (Léon Blum distinction, 1975), il est actuellement président d’Entreprise & Diplomatie (Groupe ADIT).