La stratégie d’investissement japonaise dans la recherche et développement

Troisième économie mondiale derrière la Chine et les États-Unis, le Japon a investi 3,35% de son PIB dans la recherche et développement (R&D) en 2014. Cet investissement massif qui s’est étendu sur plusieurs décennies a fait du Japon une puissance technologique de premier plan et a joué un rôle capital dans le développement économique du pays.

Une Recherche et Développement fondée sur le trio État-universités-industrie

Au Japon, l’État pilote les politiques de R&D et fixe les orientations stratégiques de la recherche. Depuis la loi de 1995, des plans d’orientation de la recherche sont mis en place et renouvelés tous les cinq ans. Le 4ème plan  scientifique et technologique japonais (2011-2016) donne la priorité à l’environnement, à l’énergie, au domaine de la santé et des soins médicaux et aux défis sociaux.

Les universités japonaises sont le second acteur de la R&D japonaise. Le Japon compte 778 universités qui se divisent en trois secteurs : national, public et privé. En avril 2004, une importante réforme a transformé les universités nationales en établissements autonomes de droit public. Elles jouissent désormais d’une autonomie élargie et doivent développer leur stratégie pour améliorer la qualité de leur recherche. Les coopérations des universités avec l’industrie ont fait l’objet d’une croissance exponentielle entre les années 1980 et le début des années 2000. En 1983, on ne recensait que 57 projets de recherche communs hébergés par des universités japonaises, avec au total 50 entreprises participantes. En 2001, on dénombrait 4190 projets associant 2151 entreprises.Cette coopération active est encouragée par les pouvoirs publics. En 2012, le Japon a dépensé 191 millions de dollars pour créer le programme START.Ce projet combine des fonds gouvernementaux et le savoir-faire du secteur privé pour aider au lancement de start-ups académiques et obtenir des fonds supplémentaires pour la recherche publique. 

La spécificité majeure de la R&D japonaise vient de la part considérable prise par l’industrie dans l’effort de recherche qu’elle finance à hauteur des  4/5ème contre 2/3 pour les États-Unis et la moitié pour la France. Les sciences, la technologie et l’innovation sont dominées par de grands groupes qui figurent parmi les plus grands investisseurs en R&D au monde. La marque Toshiba en est l’exemple type. Par conséquent, l’essentiel de l’innovation japonaise se fait au cœur même de l’entreprise. C’est avant tout grâce à cet investissement industriel que le Japon a pu s’imposer comme un leader technologique mondial.

 Les points forts de la R&D japonaise

Le premier point fort de la R&D japonaise est le nombre de ses chercheurs. En 2011, le Japon se classe en troisième position mondiale en termes de nombre de chercheurs (657 000) derrière les Etats-Unis et la Chine. Toutefois, si l’on rapporte l’effectif des chercheurs au nombre d’actifs, le Japon occupe la première place du classement mondial (10 %).

Par ailleurs, le Japon constitue l’un des premiers marchés mondiaux de la propriété industrielle avec près de 103 000 marques et 227 000 brevets délivrés en 2014 par l’Office des brevets japonais. Le nombre de brevets délivrés est en constante croissance et est passé de 124 000 en 2004 à 227 000 en 2014. Du reste, le Japon s’appuie sur une politique de brevets à l’étranger active. En 2014, l’Office européen des brevets a annoncé que le Japon était le pays non-européen qui déposait le plus de brevets par rapport à sa population, avec 173 demandes par million d’habitants.

Concernant la recherche, les domaines dans lesquels le Japon excelle sont les technologies de pointe, particulièrement les technologies de l’information et de la communication (TIC), de l’énergie et de l’environnement. Il est aussi un leader dans le développement des technologies disruptives, au premier rang desquelles se trouve la robotique, où le Japon, champion sur ce marché, s’érige en premier fournisseur mondial de robots industriels. Grâce à des entreprises telles que Fanuc et Yaskawa Electric, il dispose de 90%des parts de marché dans les domaines clés de la robotique. Le secteur de l’automobile est aussi un bon exemple. Tout en conservant sa position de premier fabricant mondial de voitures, la firme japonaise Toyota domine la recherche concernant les véhicules hybrides et électriques.

Enjeux et défis de la R&D au Japon

Le principal enjeu de la R&D japonaise  est d’être la solution aux défis sociaux rencontré par le pays. Devant le vieillissement de sa population, le Japon cherche à devenir un meneur mondial dans les technologies et les équipements médicaux. Parmi les nombreuses initiatives dans ce domaine, le Research Center Network for realisation of regenerative medecine a été lancé en 2013 pour l’avancée de la recherche en cellules IPS. Le prix Nobel de la médecine a d’ailleurs été attribué au Japonais Shinya Yamanaka pour ses recherches dans ce domaine en 2012.

Outre cet enjeu, la R&D japonaise fait face à de nombreux défis. Le premier est la réorientation de la politique énergétique du pays. La catastrophe de Fukushima en 2011 a marqué un tournant dans l’orientation de la R&D en énergie. En avril 2014, le nouveau plan stratégique d’énergie était adopté consacrant du même coup le nouveau défi majeur de la R&D en énergie : diminuer la dépendance du Japon vis à vis du nucléaire et trouver l’équilibre optimal entre  différentes ressources pour assurer la demande en énergie du pays.

Le second défi est d’augmenter la part des femmes dans le domaine de la recherche. En 2012, seulement 18% des doctorants en science et en ingénierie étaient des femmes contre une moyenne de 34% au sein de l’OCDE. Le troisième défi se trouve dans la compétition de la R&D chinoise de plus en plus accrue. Alors que les dépenses en R&D de la Chine ont presque doublé entre 2007 et 2011, celles du Japon ont stagné. De ce fait, la Chine est devenue le second plus grand investisseur en R&D, devançant le Japon. Enfin, un dernier défi d’envergure est l’internationalisation de la R&D japonaise. Le Japon reste peu connecté aux réseaux internationaux de coopération et attire peu d’investissements étrangers. Ce faible niveau d’internationalisation semble expliquer la mauvaise position de la R&D japonaise en termes de publications à fort impact. Ainsi, le niveau de qualité de la recherche japonaise, mesuré par le nombre de publications les plus citées,  est en dessous de la moyenne de l’OCDE.

La stratégie d’investissement japonaise dans la R&D qui s’appuie sur le trio État-universités-industrie s’est révélée payante pour faire du Japon une puissance technologique et économique de premier plan. Toutefois, malgré cet indéniable succès, la R&D japonaise connaît aujourd’hui des défis d’envergure, notamment la concurrence accrue de la Chine qui pourrait remettre en cause le statut de superpuissance technologique et économique dont pouvait jusqu’alors se targuer le Japon en Asie.

Christopher Quagliozzi