L’Accord Économique et Commercial Global, ou AECG, plus connu sous son acronyme anglophone CETA pour Comprehensive Economic and Trade Agreement, est un accord de libre échange négocié entre l’Union Européenne et le Canada. Il a été signé par les différents partis le 30 octobre 2016 à Bruxelles, et doit désormais être ratifié par les parlements canadiens et nationaux de l’UE.
Au terme de 7 ans de négociation, cet accord va être appliqué de manière provisoire pendant 3 ans jusqu’à son adoption définitive, si l’ensemble des acteurs y souscrit. Le gel quasi définitif des négociations sur le TAFTA peut-il avoir des effets sur l’application du CETA ? Rien n’est moins sûr. Les pays qui n’entrent pas dans le cadre de cet accord, comme la Corée du Sud par exemple, peuvent devenir dans un avenir proche des éléments perturbateurs qui risquent de bloquer le processus de renégociation du cadre des échanges commerciaux amorcé entre le Canada et l’Union Européenne. Mais au-delà de cette perspective d’enlisement procédural, d’autres facteurs doivent être pris en compte, en particulier le changement de contexte international amorcé depuis l’élection présidentielle américaine du 8 novembre 2016.
Un projet multidimensionnel
L’un des principaux aspects économiques de cet accord est la suspension de 99% des droits de douanes entre l’UE et le Canada. Au vu des échanges actuels, ceci représenterait un gain de 15 milliards d’euros pour l’UE. Mais les préoccupations sont nombreuses : l’alignement des normes inquiète plus d’un secteur, à commencer par l’agriculture. Dans une Union Européenne où les agriculteurs demandent davantage de protectionnisme quant à leurs produits, cet accord ouvrirait de nouveaux quotas pour le Canada, notamment quant aux importations de viandes de porc et de bœuf.
L’exploitation des sables bitumeux de l’Alberta, dont les conséquences écologiques sont nombreuses, serait favorisée par ce nouveau marché européen, alors même que les pays impliqués sont signataires des travaux résultants de la COP21 de Paris. Les Canadiens restent par ailleurs attentifs à tout nouveau client pour ce pétrole, dont la rentabilité avait été mis à mal par l’annulation du projet d’oléoduc de Keystone aux États-Unis.
Un autre aspect économique principal est l’ouverture du marché public canadien aux entreprises européennes. Actuellement, 10% des appels d’offres sont ouverts à la concurrence étrangère. Ce ratio devrait passer à 30%, quand bien même 90% des appels d’offres sont déjà accessibles aux entreprises canadiennes au sein de l’UE.
D’autres secteurs encore sont affectés par cet accord, et ceux-ci sauront faire remonter leur lot de litiges à trancher. La mise en place d’une juridiction permettant de départager ces conflits entre entreprises, voire entre entreprises et États, est l’un des points d’achoppement les plus houleux de cet accord. Beaucoup de gouvernements de part et d’autre de l’Atlantique ne souhaitent pas voir la possibilité qu’une entreprise puisse s’en prendre à une nation au seul motif que ses intérêts sont contrariés par la volonté d’un peuple. Ainsi, la population allemande reste plus que circonspecte vis-à-vis de ce type de clause, au vu de leur expérience malheureuse face à l’entreprise suédoise Vattenfall1 par exemple, quand le pays a décidé de stopper ses centrales nucléaires.
Un document a donc été rédigé en annexe de l’accord par la Commission Européenne à la demande de l’Allemagne, l’Autriche et la Slovénie, s’intitulant la « déclaration interprétative », pour clarifier les intentions de l’accord CETA. Ce document de quelques pages face au 1.600 de l’accord reste cependant décrié pour son inutilité.
Un climat de méfiance
La société civile s’est mobilisée contre cet accord et son proche cousin, l’accord TAFTA1. Celui-ci, encore non signé, prévoit le même type de réglementation juridique, avec l’instauration de tribunaux d’arbitrage, que l’on soupçonne d’échapper aux contrôles des États pour tomber sous l’influence des entreprises multinationales. Pour répondre à cette angoisse, l’UE a proposé le système juridictionnel des investissements (ICS), un mécanisme créant des tribunaux d’arbitrage où les États sont les seuls compétents quant à la désignation des juges siégeant. Une manière de voir les choses qui n’est pas du goût des américains.
Les accords CETA et TAFTA se négocient en parallèle, et théoriquement de manière indépendante. Les américains restent cependant des partenaires bien plus exigeant et contraignant, mais néanmoins indispensables, que les canadiens, notamment en matière de normes environnementales, techniques et sociales. Or, si un accord entre le Canada et l’UE est signé, il semble que celui-ci deviendra le minimum requis que les Européens attendent des Américains en matière de normes et quotas. Il est donc dans l’intérêt des Etats-Unis que l’accord CETA soit le plus compatible avec leur vision d’un accord transatlantique.
Le 20 avril 2016, la ministre du commerce internationale canadienne, Mme Chrystia Freeland, entamait une visite de deux jours à Bruxelles pour discuter avec les États membres des futurs bienfaits de l’accord CETA. Le président des États-Unis se rendait quant à lui au Royaume-Uni le 21 avril, puis le 24 avril en Allemagne avant de quitter l’Europe le 25. La proximité de ces voyages ne laissa personne indifférent. Ces manœuvres en coulisse provoquèrent de nombreuses manifestations contre les accords CETA et TAFTA. L’accord CETA fut même accusé d’être le cheval de Troie de l’accord TAFTA en Europe, alors que le rejet de cet accord se faisait grandissant, notamment en Allemagne, où les manifestations de rue furent les plus massives.
L’accord CETA est considéré comme achevé depuis le 29 février 2016, avec l’espoir, réalisé aujourd’hui, d’être signé avant la fin de l’année. Les Américains espéraient encore terminer les négociations avant la fin du mandat du président Obama. De nombreuses demandes furent portées par plusieurs parlementaires européens envers leurs homologues canadiens pour estimer l’étendue de l’influence américaine sur leur voisin immédiat. Le Canada, bien que membre du G7 et pays parmi les plus proches de la culture européenne au monde, ne semble pas pouvoir agir sereinement quand il s’agit de se différencier des USA.
C’est dans ce climat de méfiance partagé entre la majorité des nations européennes que le parlement de Wallonie vota, le 25 avril 2016, une motion de défiance à l’encontre de son gouvernement fédéral : les pleins-pouvoirs lui sont refusés, et l’accord des cinq parlements belges lui est nécessaire pour que la Belgique ratifie l’accord CETA. Hormis le ministre-président flamand qui exprima son « exaspération », au vu du contexte, rares furent les réactions à cette décision.
L’été et le Brexit passèrent, et l’accord CETA devint un sujet en apparence moins brûlant dans les médias européens. Mais c’était sans compter sur le grain de sable wallon. Le 17 octobre 2016, la Wallonie créa la stupeur quand son parlement annonça qu’il ne signait pas le traité en l’état, signature prévue le 27 octobre. Les arguments utilisés furent les mêmes que ceux du 25 avril, mais cette fois-ci, les réactions furent vives. Le premier ministre bruxellois, M. Charles Michel, déplora la perte de crédibilité diplomatique de la Belgique. Le Canada menaça l’Europe en soulignant que si l’accordtombait à l’eau, cela serait une preuve forte d’une Union Européenne improductive. D’âpres négociations furent entamées entre la Belgique, la Wallonie et le reste de l’Union. Le président-ministre de la Wallonie, M. Paul Magnette, estima qu’un accord suffisant fut atteint le 27 octobre. Le 28, la Belgique l’approuva et le 30, le Canada en la personne de son premier ministre M. Justin Trudeau parapha le traité en la présence de ses homologues européens. Le Canada n’accepta aucune modification au traité CETA. Les ajouts faits par la Belgique à la dernière minute furent ajoutés dans la déclaration interprétative. Ils semblent donc non-contraignants, et une majeure partie de la population hostile au traité pense, sûrement à juste titre, que ces apports ne changent rien.
Un monde qui bouge sur ses bases
La situation actuelle est pour le moins inquiétante. Depuis le Brexit, la Grande Bretagne n’a pas d’autre stratégie que de saper les bases de l’Union Européenne afin de renforcer ses relations historiques bilatérales avec des pays membres tels que certains Etats d’Europe du Nord ou encore les anciens pays de l’Est qui se méfient de la Russie de Poutine. La relance du nationalisme économique de part et d’autre de l’Atlantique a un impact direct sur les jeux d’alliance passés. Un rapprochement entre les Etats-Unis et la Russie réduirait d’autant plus la marge de manœuvre de l’ex empire britannique. L’hystérie antirusse qui sévit aujourd’hui à Londres est un aveu implicite de cette crainte partagée par la majorité des élites britanniques. Le jeu très ambigu de l’Allemagne qui masque sa volonté assidue de reconstruire sa puissance derrière un humanisme de circonstance (cf. la politique des réfugiés de Madame Merkel) renforce le sentiment que l’Union Européenne est entrée dans une phase critique. La confrontation géopolitique et géoéconomique avec la Chine accentue la remise en cause d’une mondialisation heureuse et pacifiée, prônée par les pays occidentaux depuis un quart de siècle. Qu’adviendra-t-il de la place des traités de libre échange du type CETA à l’heure où Donald Trump veut remettre en cause le traité transpacifique ? Dans ce puzzle où le risque d’implosion n’est plus une affaire de calendrier électoral (élections françaises et allemandes), l’heure est au durcissement des positions des stratégies des pays qui comptent sur la scène internationale. La France qui aura en 2017 un nouveau pouvoir exécutif, ne peut laisser la Grande Bretagne saborder les fondements de l’Europe pour essayer de continuer à exister en termes de puissance. Dans un autre ordre d’idées, Paris devra aussi rappeler à Berlin que la construction européenne doit passer avant les velléités allemandes de retour à la puissance. Rappelons pour mémoire que les prétentions allemandes ont abouti dans le passé à deux guerres mondiales et à la création du régime nazi coupable, faut-il le rappeler, de l’une des phases les plus catastrophiques de l’Histoire de l’humanité.
Enguerrand Couka & Christian Harbulot
Note
1 L’entreprise suédoise Vattenfall a porté en 2012 devant le tribunal d’arbitrage de la Banque Mondiale son différend l’opposant à l’État allemand. L’Allemagne annonça en 2011 vouloir sortir du nucléaire à l’horizon 2022. Les deux centrales dans lesquelles Vattenfall est coactionnaire sont stoppées depuis pourtant plusieurs années, suite à de nombreuses pannes. Vattenfall réclame 4,7 milliards d’euros à Berlin.