Le Brexit, fausse frayeur des compagnies aériennes

Au cours de l’été, Le Brexit a déstabilisé l’économie européenne qui nous promettait une saison compliquée, voire catastrophique. Les compagnies aériennes ne furent pas épargnées par cette inquiétude. L’IATA lui-même prévoyait une baisse de 3 à 5% du trafic aérien au Royaume-Uni d’ici 2020. Contre toute attente, l’annonce des résultats pour le trimestre estival 2016 offre de surprenantes révélations.

De bonnes surprises…

Fin  juillet, l’International Airlines Group (IAG), la société mère de British Airways, Iberia et Aer Lingus, publiait des prévisions pessimistes. Le groupe prévoyait une dégringolade de sa croissance pour 2016 de 40% à environ 15%. Augurant ce décrochage, il avait immédiatement averti ses actionnaires de l’impact du Brexit sur ses bénéfices. Effet immédiat du referendum, les  voyages d’affaires ont chuté et la conversion des recettes de l’euro vers la livre a affecté le résultat annuel.

3 mois après cette sombre prévision, le 5 septembre, IAG se félicite d’avoir transporté 10,5 millions de passagers en août 2016, soit une hausse de 9,9% en comparaison de 2015.

De son côté, Air France KLM avait annoncé sereinement que « Le Brexit n’aurait pas d’impact opérationnel à court terme : le groupe n’a pas d’exposition financière directe au Royaume-Uni, en dehors de ses ventes sur le marché britannique libellées en livre […]. A moyen terme, l’impact dans le secteur aérien dépendra des conditions de sortie négociées entre la Grande-Bretagne et l’Europe ». En dépit d’un pétrole bas et d’un Brexit sans grande conséquence, la compagnie française semble enfin tourner la page des conflits sociaux (la dernière grève des pilotes avait coûté à la compagnie près de 40 M d’€) en gelant les mesures Transform 2020 et déclenchant un plan d’audit interne : « Trust Together ». Jean-Marc Janaillac souhaite donc apaiser les tensions afin d’occuper son rôle de leader dans le ciel international.

Sauf pour l’Allemagne…

Championne du marché européen, l’Allemagne a vu sa compagnie aérienne phare décroître en termes de résultat. Le groupe Lufthansa voit son trafic reculer au mois d’août : 10,7 millions de passagers ont été transportés par les différentes compagnies qui le composent, soit une baisse de -1,3% par rapport à août 2015, selon les données publiées le 9 septembre 2016.

La guerre des hubs en arrière plan

Le manque de confiance passager d’IAG n’a pas échappé à un opportuniste à l’affût. Le décrochage momentané de 25% de l’action IAG a permis à Qatar Airways de saisir une opportunité en augmentant sa participation  de 15. 7% à 20%. Certes, la compagnie du Golfe en était déjà le principal actionnaire et le Qatar ne pouvait pas accroître sa participation au-delà de 49. 9%. Le Qatar, tout comme British Airways, est membre de l’alliance de compagnies aériennes Oneworld. Son intention est de peser au sein de cette dernière et d’alimenter son hub de Doha avec le trafic transatlantique, en particulier via Heathrow, le plus important hub européen au sein duquel British Airways se taille la part du lion. En effet, le Qatar cherche à développer des liens opérationnels avec IAG qui vont au-delà de la simple alliance, incluant  l’achat groupé d’avions et une coopération dans le fret aérien.

Le Brexit a provoqué la suspension du projet de construction de pistes supplémentaires sur les aéroports d’Heathrow et Gatwick. La concurrence des hubs jusqu’alors occidentale s’est mondialisée. La région du Moyen Orient revendique une place centrale, parmi laquelle Doha entend devenir incontournable, ce qui participe à la tension du marché européen.

Seule ombre au tableau, les vols classe affaires ont été les uniques victimes du Brexit. Après British Airways abaissant de 50% la fréquence de son service entre Londres-City et New York-JFK à partir de fin octobre, le transporteur français La Compagnie annonce qu’elle mettra fin à ses opérations au départ de Londres-Luton vers New York-Newark dès le 25 septembre 2016. En contrepartie, elle augmentera progressivement ses rotations entre Paris-Charles de Gaulle et New York-Newark dès octobre 2016. La plupart des compagnies envisage une contre-attaque en lançant une guerre des prix qui pourrait profiter aux clients.

En dépit de ces chiffres stables voire positifs, les perspectives des compagnies aériennes européennes sont incertaines. Si le manque de visibilité économique et géopolitique est amorti par le faible coût du pétrole, les compagnies anglaises devront néanmoins régler leur consommation carburant avec un rapport Livre/Dollar défavorable. Avec une difficulté à distinguer clairement l’horizon, la différence se jouera sur les capacités des équipages et des gouvernements à capter les signaux faibles de cette guerre économique se jouant sur plusieurs échiquiers.

Stéphane PRZYBYSZEWSKI