Le canal perse : nouvelle route commerciale de la Russie ?

L’Asie centrale revient sur le devant de la scène géoéconomique par la présence de la Chine et le déploiement de sa nouvelle « route de la soie » mais aussi par le réinvestissement dans la région de l’Iran et de son fidèle partenaire qui a été et qui reste la Russie.

Depuis Janvier 2016, la levée des sanctions économiques concernant l’Iran est effective, l’occasion pour ce pays de revenir sur le devant de la scène et de s’illustrer comme un acteur incontournable de la région. Cette réintégration  dans l’économie mondiale s’annonce notamment avec le support de la Russie. En effet, en avril 2016, Monsieur Mehdi Sanaei, ambassadeur d’Iran en Russie, déclarait  à l’université de St Pertersbourg, que les perspectives de création d’un canal reliant la mer Caspienne au golfe persique étaient très sérieusement envisagées. Les propos tenus à Moscou quelques semaines plus tôt par monsieur Ali Akbar Velayati, conseiller diplomatique du guide suprême Ali Khamenei, prenaient ainsi tout leur sens :

“Le partenariat stratégique de longue date entre nos deux pays est irréversible et la République islamique d’Iran est prête à augmenter son soutien et sa coopération dans tous les domaines »  (agence iranienne IRNA).

Les racines du futur projet

Ce projet ne date pas d’hier: Alexandre le Grand  songeait déjà à faire communiquer la partie occidentale de son Empire avec l’Indus lointain en construisant deux canaux. Plus près de nous, en 1970, un groupe d’ingénieurs et de spécialistes de l’hydrologie de la région étudia la viabilité du projet : la guerre entre l’Iran et l’Irak le suspendra mais quelques années plus tard, en 2005, la faisabilité sera présentée au Parlement iranien par l’Institut pour les études infrastructurelles.

Du coté Russe, le 20 novembre 2008, à Tachkent, Damir Ryskulov, académicien de l’Académie internationale d’information et conseiller auprès de la Direction de l’analyse de la mairie de Moscou présentait le Corridor Trans-asiatique de développement, une combinaison d’un canal, d’une route et d’un chemin de fer de la péninsule de Yamal à la mer Caspienne et le golfe Persique. Une autre artère reliant la mer Caspienne et la mer Noire créerait un système intégré de la mer de Kara à la mer d’Arabie. Pour cela, l’expert s’était appuyé sur l’exemple d’une cargaison venant de l’Oural à destination de l’Inde mettant plus d’un mois à arriver et qui ne compterait alors plus que 14 jours. Dans ce contexte, la mer Caspienne devient un élément nodal : une région aussi riche en minerais, en pétrole, produisant de l’acier, de l’ingénierie mécanique est à désenclaver.

En février 2015, le Président de la Commission des affaires étrangères de la sécurité nationale et du Parlement iranien Alaeddin Boroujerdi a déclaré à  Fars news agency   que Khatam-al Anbiya, une société d’ingénierie appartenant à la Garde révolutionnaire iranienne (IRGC), examinait le dossier.

Le plan prévoirait également le transfert de 500 millions de mètres cubes d’eau de la mer Caspienne vers les régions centrales qui souffrent de la sécheresse, et son utilisation dans l’agriculture et les applications industrielles seraient au centre du projet.

Une voie à tracer pour la Russie ?

On le voit, ce chantier amènerait la Russie mais aussi  les autres pays de l’ex-union soviétique au Golfe persique et directement à l’Océan indien, lui offrant ainsi un moyen de contourner le canal de Suez.

Mais les acteurs et enjeux  ne se résument pas à des considérations locale et une lutte a plus grande échelle s’engage.

En effet, l’Asie centrale reprend peu a peu sa place de carrefour et la région voit des acteurs extérieurs s’y impliquer et se concurrencer: l’Inde, qui par l’intermédiaire de son premier ministre effectuait pour la première fois une voyage officiel en juillet 2015 en Ouzbékistan, au Kazakhstan, au Turkménistan, au Kirghizistan et au Tadjikistan.

La Chine compte elle aussi s’inscrire dans cet espace en recomposition comme le montre l’exemple du Kazakhstan. La Chine y investit en masse dans les terres agricoles et loue des terres avec l’approbation de l’état Kazakh qui, pour l’occasion, bouleverse son code foncier. Au total deux milliards de Dollars ont été investis pour acquérir une exploitation d’un million d’hectares.

La Chine qui multiplie les grands travaux dans cette région souhaite par ailleurs raccourcir les distances la séparant des marchés européens.  Elle évite ainsi  la zone de piratage des côtes de la Somalie, les zones sensibles du canal de Suez, mais aussi le long et coûteux détour par l’Afrique du Sud.

À travers l’Asie centrale, par la construction d’infrastructures, la Chine dessine ainsi une nouvelle route de la soie stratégique et géopolitique. Un « one belt, one road » dont le but serait de concourir à une plus grande stabilité régionale avec un jeu nettement plus offensif rompant ainsi avec « Le principe clé de la politique extérieure de la Chine qui était une montée pacifique avec un profil bas».

De leur coté, les USA et l’Europe semblent hors jeu alors qu’il y aurait un véritable intérêt pour l’UE, premier partenaire économique du Kazakhstan.

Pour conclure, la région de la mer caspienne voit l’Iran et la Russie se rejoindre notamment sur deux points : un rejet commun de la présence de l’Otan et une opposition vis à vis des projets énergétiques des grands groupes occidentaux.  La Russie s’emploie à maintenir des liens forts avec tous les acteurs locaux et veille à l’établissement de partenariats stratégiques pour préserver ses intérêts. Elle semble y parvenir avec la construction de ce canal allant de la Caspienne au Golfe persique.

Philippe Dion