Le 11 octobre 2017, le Portail de l’Intelligence Economique était présent à la conférence organisée par l’ANAJ-IHEDN qui réunissait Pascal Drouhaud et Tito Marin autour de la problématique « Comment pénétrer le marché latino-américain ? ».
Tout d’abord l’Amérique Latine, malgré une relative unité sur les plans linguistique, culturel et historique, qui tend d’ailleurs à se renforcer, ne peut être appréhendée d’un bloc. Elle regroupe trente-trois pays et autant de réalités différentes et il faut, en tant que français s’y intéressant, lutter contre la perpétuelle tentation d’homogénéiser cet ensemble marqué par la diversité. Tentation alimentée également par la distance (onze heures de vol entre Paris et Bogota). Par ailleurs, notre vision est aussi trop souvent biaisée par des mythes (Che Guevara, dictatures, FARC) d’un autre temps, alors que le continent a connu de profondes évolutions et est aujourd’hui résolument tourné vers l’avenir.
En dépit de la complexité de ce vaste espace géographique, les opportunités sont nombreuses. Le marché latino-américain est prometteur : avec une classe moyenne de 186 millions de consommateurs aujourd’hui et en croissance, il renferme un fort potentiel économique. Dès lors comment peut-on expliquer que l’Amérique Latine ne représente que 2% du commerce extérieur français ? Quelles solutions peut-on envisager au niveau opérationnel pour s’insérer sur ce marché ?
« L’Amérique Latine pourrait devenir une nouvelle frontière pour la France »
L’un des principaux arguments qui devrait inciter la France à se positionner sur le marché latino-américain est la très forte adéquation entre ses savoir-faire historiques et les besoins d’un continent en plein développement, notamment urbain. En effet, de nombreux pays font face à des difficultés dans des domaines tels que la gestion de l’eau, la gestion de déchets, la mise en place d’un système de transport public efficace ou encore l’amélioration du réseau électrique. Autant de secteurs dans lesquels l’expertise de la France est reconnue. Mais elle pourrait également se placer avantageusement dans le cadre de la transition numérique.
Face à des besoins en infrastructure à satisfaire rapidement, l’Amérique latine n’attend pas. D’une part, des pays essaient de se rapprocher pour former des groupes économiques (Marché Commun du Sud ; Alliance du Pacifique…) et peser plus lourds dans les rapports de force géoéconomiques mondiaux. D’autre part, elle s’ouvre à bien d’autres horizons qu’une France et une Europe somnolentes, et n’hésite pas à tisser des liens avec les autres pays du monde : on peut citer la récente tournée du président turc Erdoğan, accompagné d’entrepreneurs, qui a rencontré un grand succès ; ou bien les investissements chinois faisant de l’Empire du Milieu le premier partenaire économique du Brésil.
Pour pénétrer ce marché, il semble que la France doit repenser sa stratégie en profondeur. Il s’agit de revoir son approche qui néglige trop souvent les spécificités des pays, d’apprendre à s’adapter à la demande plutôt que compter sur la qualité de son offre, et de développer et son sens du « networking » dans des pays où les réseaux familiaux et officieux structurent en partie la société. Les Allemands et les Espagnols semblent avoir bien compris cette nécessité de se mêler à l’économie et la société locale. Ils ont également appris à manœuvrer adroitement et dans le temps pour se rendre indispensables et contrebalancer la tendance naturelle à favoriser les entreprises nationales. Il faut tout de même noter que la France possède des outils, à renforcer, comme l’Agence Française de Développement (AFD) ou encore les deux-cent-cinq Alliances Françaises installées en Amérique Latine et aux Caraïbes. Surtout, la France jouit d’une très bonne réputation, et les liens « de cœur » qui existe entre elle et cette région du monde sont un levier trop peu souvent valorisé.
Les défis opérationnels
Pour pénétrer le marché latino-américain, il s’avère indispensable de s’approprier la dimension culturelle de l’Amérique Latine. Tout investisseur ou entrepreneur se doit donc d’assimiler certains aspects, qu’on peut croire relever du folklore, mais qui en réalité peuvent avoir des répercussions majeures sur le déroulement d’une affaire ou la création d’un partenariat.
Le rapport au temps en Amérique Latine diffère de celui qu’on connait en Europe. Que ce soit au niveau de la ponctualité ou de la durée des procédures, traiter avec un interlocuteur latino-américain n’est pas évident et peut se révéler frustrant, décourageant. Il faudra donc privilégier une approche souple, avec des suivis hebdomadaires et faire preuve d’une certaine ténacité pour patienter jusqu’à ce que tous les verrous sautent.
S’agissant de la langue, c’est un point important dans les relations d’affaires notamment parce qu’elle permet de créer un climat de confiance. Faire l’effort d’assimiler la langue locale sera un véritable atout au moment de pénétrer les cercles économiques, sociaux et politiques.
Un bon rapport commercial avec un interlocuteur latino-américain dépendra également de la capacité de l’étranger à faire preuve d’empathie, à développer une relation personnelle. Être introduit par un tiers peut être d’une grande aide. La famille sera toujours un aspect central des conversations, et croire qu’il est superficiel serait une grave erreur.
S'établir en Amérique Latine comporte certains pièges notamment au moment de s’associer avec des locaux. Pour cette raison, une bonne maitrise de l’environnement concurrentiel ajouté à une stratégie d’implantation réfléchie permet ainsi de garder le contrôle dans un océan de marchés informels. Dans ce contexte, effectuer une « due diligence » des dirigeants des entreprises adversaires permettra de déceler tout risque de contrefaçon ou l’éventuelle présence de corruption, tandis qu’une étude de marché permettra d’analyser le secteur d’activité et d’adapter la stratégie vis-à-vis de l’écosystème dans lequel on souhaite s’implanter.
En conclusion, l’Amérique Latine moderne, par son attractivité et son dynamisme, constitue une véritable région d’avenir pour la France. Mais cette dernière doit s’employer à renouveler ses méthodes et sa perception de cet espace riche en défis, qui pourrait voir naître tous les succès.
Sebastian Josselin et Marvin Looz