Le jeudi 1er février, Pierre Moscovici a donné une conférence à l’École militaire dans le cadre de l’ANAJ-IHEDN. Le commissaire européen aux Affaires économiques et financières, à la Fiscalité et à l’Union douanière est venu partager avec un large auditoire ses interrogations sur le thème, « Comment l’Union européenne veut nous protéger ».
« Tout va très bien, Madame la marquise… ». Ce refrain a été réfuté par M. Moscovici mais, en homme politique d’expérience, il a expliqué que la situation de l’Union européenne s’améliorait. Il constate que depuis la crise économique de 2008, les crises migratoires, ou encore le Brexit (qui sera effectif le 29 mars 2019), l’état de l’UE s’est amélioré. Elle connaît aujourd’hui la plus forte croissance depuis 10 ans, et la crise grecque sera close à l’été 2018 avec la fin du programme d’assistance.
L’ancien ministre français a tout d’abord procédé à un rappel historique. En effet d’après lui, la construction européenne a bien été réalisée dans l’optique de protéger les peuples de la guerre. Mais les pères fondateurs se sont heurtés à la résistance des gouvernements qui ont refusé la Communauté européenne de défense (CED), et se sont donc reportés sur l’économie comme facteur de cohésion et de concorde. Du marché commun, en passant par les différents traités jusqu’au fonctionnement des institutions, l’orateur a résumé avec brio plus de 60 ans d’histoire européenne.
Il ressort de cette conférence un sentiment mitigé. En effet, l’UE semble aujourd’hui tiraillée entre des positions difficilement conciliables. Elle se veut une économie libérale totalement ouverte, et d’un autre coté tente de limiter les effets de la mondialisation, tout en passant des accords de libre-échange. De même, la mobilité à l’intérieur de l’espace Schengen devient un handicap dans la crise migratoire sans précédent que traverse l’Europe. Le commissaire européen lui-même ne semble pas avoir résolu ces contradictions.
Après avoir abordé l’aspect commercial, M. Moscovici a traité la question de la protection douanière avant de conclure sur la thématique sociale.
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La protection commerciale
La protection économique et sociale de l’Union européenne passe d’abord par le renforcement de la zone euro. Elle doit encourager l’investissement économique et développer la formation professionnelle des jeunes.
L’UE doit ensuite apprendre de ses erreurs. L’entrée de la Grèce dans la zone euro s’est faite sur un malentendu affirme-t-il à titre d’exemple, avec des comptes falsifiés. Dans ce cadre, il est important que la France réduise ses déficits. Elle est dans le peloton de queue des pays les plus endettés, avec l’Espagne, et la Commission sera « intransigeante » si elle ne passe pas sous la fameuse barre des 3%.
Concernant la défense, l’UE possède six fois plus de système d’arme que les États-Unis. Il va donc falloir « rationnaliser » cette industrie, d’autant plus qu’au même moment, Donald Trump retire sa protection. M. Moscovici a précisé que la création d’un fonds européen de défense permettra un meilleur mécanisme d’intervention que le dispositif Athena.
Enfin, en termes de protection fiscale, l’UE a pour ambition de faire payer des impôts aux multinationales du net. Les GAFA, lorsqu’ils créent de la richesse, doivent être taxés sur leurs bénéfices.
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La protection douanière
Tout d’abord, M. Moscovici note que les droits de douanes n’ont pas disparu. Ils sont collectés par les États pour le compte de l’Union et cela rentre directement dans ses ressources propres.
Sur la Politique agricole commune (PAC), l’ancien ministre est assez pessimiste puisqu’elle est attaquée sur deux fronts. De l’extérieur de l’UE, où ses détracteurs la présentent comme un protectionnisme déguisé, et de l’intérieure car tous les pays ne bénéficient pas du même niveau d’aides.
Sur la protection des frontières, M. Moscovici a annoncé que l’accueil des réfugiés allait se poursuivre et qu’il fallait augmenter les budgets consacrés car les coûts vont croître. Il a ensuite affirmé que les douanes jouent un rôle fondamental, et que les pays vont donc devoir augmenter leurs effectifs. On pourrait être tenté de mettre ces deux éléments en corrélation, mais le haut fonctionnaire dévoile que le but de cette dernière manœuvre est de « réprimer le trafic des biens culturels illicites ». Pourtant, s’il est vrai que Daesh a fait énormément de contrebande d’objets d’art, elle n’est plus considérée comme une priorité car les pièces ont déjà franchi les frontières.
Sur la politique commerciale, le commissaire européen a adopté une posture paradoxale car, dans le moment où il se décrit comme « social-démocrate adepte du libéralisme », il faudrait mettre en place des traités protectionnistes. Le CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement) va bientôt être ratifié par le parlement européen et c’est « un des meilleurs accords de l’histoire pour l’UE », tandis que le TAFTA (Transatlantic Free Trade Agreement) fut un échec. Ils étaient voulu par l’UE, mais les négociations étaient déjà mal engagées avec l’administration Obama et l’arrivée au pouvoir de l’équipe Trump au pouvoir a définitivement enterré le dossier.
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La protection sociale
S’il y a un domaine où les disparités sont importantes, c’est bien dans le domaine social. Pour M. Moscovici, si l’Union européenne est faible en matière fiscale et sociale, c’est pour des raisons de compétence. L’harmonisation sociale ne pourra pas se faire tant que la règle de l’unanimité prévaudra. Cet argument pousse donc l’ancien ministre à vouloir changer le mode de gouvernance de l’UE. La démocratie, où les peuples peuvent encore un peu s’exprimer, n’étant pas assez efficace pour avancer, il faut donc aller vers plus de fédéralisme. Par ailleurs, l’UE ne peut pas tout, son budget n’est que de 1% du PIB européen. Pour continuer à avancer, M. Moscovici a rejeté l’idée d’une Union européenne à deux vitesses pour celle d’une UE à géométrie variable.
La conférence s’est terminée par un jeu de question-réponse avec la salle. Lors de ces échanges, les thématiques de la RGPD, de la gouvernance européenne et des paradis fiscaux ont été évoqués.
La question d’une étudiante a particulièrement attiré l’attention de l’auditoire. L’affaire Airbus a été abordée et il a été demandé au commissaire européen comment l’Union européenne va pouvoir défendre cette grande entreprise. En effet, les Américains se font de plus en plus pressants dans les affaires de corruption. L’extraterritorialité du droit américain a été fatale pour le fleuron français dans l’affaire Alstom-GE, et le dossier de l’avionneur semble en prendre le même chemin. De plus, la donne est en train de changer avec l’arrivée du chinois Comac sur le marché d’ici une dizaine d’année.
Après avoir reconnu que la guerre économique existait, le commissaire européen s’est montré très confiant dans l’entreprise et a argué que ce secteur étant stratégique, l’UE défendrait ses intérêts. L’interventionnisme keynésien n’est donc jamais très loin du social-démocrate même si l’économie libérale est son quotidien.
Franck Vidalo