Affaire Monsanto : la guerre économique bat son plein

Racheté en 2016 par l’Allemand Bayer pour un montant record de 66 milliards de dollars, et impliqué depuis de nombreuses années dans une guerre politico-médiatique concernant la dangerosité de ses produits, le géant Monsanto est aujourd’hui pris à parti dans une affaire de « collecte de données personnelles par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite ». Cinq jours plus tard, l’industriel se voit infliger une amende record de deux milliards de dollars.

Un document fichant des centaines de personnalités politiques et médiatiques

L’affaire est révélée par Le Monde et France le 9 mai dernier. Dirigeants, politiques, journalistes, scientifiques, fonctionnaires… pas moins de deux-cents noms figurent sur le fichier commandité par Monsanto, géant américain de l’industrie chimique. Résultat d’une fuite provenant de l’agence de communication d’influence et de lobbying Fleishman-Hillard, ce document recensait avec précision l’identité et les positions politiques des personnalités ciblées, sur la firme elle-même, mais aussi sur le glyphosate, les OGM et d’autres produits phares du groupe, ainsi que la propension de ces personnes à être influencées par des actions de lobbying. Cellule de crise en marche, Bayer présente ses excuses deux jours après l’ouverture de l’enquête par le Parquet de Paris, déclarant « ne tolérer aucun agissement qui soit contraire à l’éthique ». Plus facile pour Bayer de prendre les devants en termes de communication, quelques mois seulement après avoir racheté le groupe chimique. Muselant Monsanto, Bayer déclare dans son communiqué de presse datant du 12 mai « lancer une enquête interne, mandater un cabinet d'avocats externe et réaffirmer son engagement en matière de transparence et de traitement loyal envers toutes les parties prenantes ». Un mea culpa nécessaire, à l’ère du RGPD et de la protection des données.

En France, le Code pénal prohibe en effet la mise en forme de toute base de données comportant des informations à caractère personnel, telles que « les opinions politiques et philosophiques d’une personne sans son consentement ». La découverte de ce fichier pose donc problème. Celui-ci aurait dû permettre à Monsanto de mieux préparer sa défense et sa campagne d’influence, alors qu’il faisait et fait toujours face à une opposition particulièrement bruyante, agressive et organisée. Le prolongement d’une véritable guerre économique, où visiblement même les membres internes des cabinets de conseils peuvent faire défaut. La fuite d’un tel fichier n’est certainement pas un hasard, et les lanceurs d’alertes font partie intégrante de ce système. Le document date de fin 2016, époque où la molécule active du Roundup, le glyphosate, avait été classée comme « probablement cancérigène » par le CIRC, l’agence spécialisée de l’OMS sur la recherche contre le cancer.

Une amende de deux milliards de dollars

Hasard de calendrier, simple coïncidence ? Ce n’est que cinq jours après l’affaire des fiches en France que le jugement du procès californien est donné. Monsanto n’en est d’ailleurs pas à son premier coup d’essai. La firme, engagée dans pas moins de 13.400 actions en justice, connait bien l’exercice. Pour autant, il s’agit de la troisième amende qu’elle doit régler, et pas des moindres : deux milliards de dollars, soit 1.8 milliards d’euros. C’est un jury californien qui a décidé de sanctionner Bayer, propriétaire du groupe chimique. Plus que la substance en elle-même, c’est son comportement qui est mis en cause. « Le jury de la Cour supérieure d’Oakland a estimé que Monsanto aurait dû prévenir des dangers possibles de son produit vedette et qu’il était responsable du lymphome développé par chacun des deux plaignants, Alva et Alberta Pilliod », a déclaré la porte-parole du couple (propos rapportés par Le Figaro). Le procès s’était ouvert fin mars dernier juste après le versement par Monsanto de deux autres amendes pour des raisons similaires. 

Le plus curieux dans l’affaire, c’est que l’américain Monsanto ne soit condamné par la justice américaine que depuis son rachat par Bayer. Trois amendes à régler – 289 millions de dollars, 80 millions de dollars puis 2 milliards de dollars, respectivement en août 2018, mars puis mai 2019. Là encore : un hasard de calendrier ? En France, à titre d’exemple, aucune amende n’a encore été infligée par la justice alors que des agriculteurs sont en procès depuis des années contre le géant de la chimie. On ne peut que constater, une fois de plus, l’agressivité des pouvoirs publics américains envers les fleurons industriels étrangers.

« Aucune preuve scientifique ne justifie un lien entre le glyphosate et le cancer »

Après quatorze mois d’enquêtes et d’auditions, c’est la conclusion que tire le sénateur UDI de Haute-Garonne, Pierre Médevielle, lors de la remise d’un rapport dont il est cosginataire sur le glyphosate et le rôle des agences sanitaires jeudi 16 mai. Àcontre-courant des critiques mettant en cause la molécule et Monsanto, le rapport a été réalisé à partir d’auditions au CNRS, à l’INRA et à l’ANSES.

Toujours est-il que les événements du 9 et du 13 mai auront très largement contribué à la baisse de la cotation de Bayer en bourse. Aujourd’hui, le cours de son action atteint un niveau historiquement bas (le plus bas depuis 2013), 55.27 euros, soit une capitalisation boursière de 51 milliards d’euros (14 mai 2019) ; c’est moins que le prix d’achat de Monsanto deux ans auparavant (59 milliards) ! Monsanto aura donc coûté cher à son acheteur Bayer, qui continue toujours d’en payer le prix, à la fois financièrement, mais aussi en termes d’image et de réputation. La justice américaine aura-t-elle raison du groupe agrochimiste allemand ? L’affaire du glyphosate semble en tout cas loin d’être résolue…