Le 4 février 2020, le Portail de l’Intelligence était invité au Carrousel du Louvre pour la 24ème édition du colloque annuel de Coface, où se discutaient l’évolution de l’économie mondiale et des prédictions pour les années à venir. Chaque année, le groupe, spécialisé dans le risque pays, rassemble les savoirs et les regards d’experts français et internationaux issus de tous les milieux : monde de l’entreprise, politique, finance ou encore chercheurs en économie. Cette publication, divisée en quatre parties, retrace les évènements marquants de la journée. En termes d’introduction, cette première partie traite des tendances économiques globales et des risques liés.
Le colloque ouvert par Xavier Durant, Directeur Général de Coface, a été animé par Thierry Arnaud, Editorial Director chez BFM Business.
Bilan de l’économie mondiale : une ère de prudence
L’économie mondiale poursuit sa croissance, alors que la dette mondiale a doublé depuis 2009. Cette hausse est cependant rendue indolore par les politiques des banques centrales toujours plus accommodantes. Les risques de disruption majeurs, s’accompagnent de risques politiques et sociaux, illustrés par les mouvements de protestation français, libanais, hongkongais, équatorien… auxquels s’ajoutent les problématiques relatives à la croissance démographique et les déplacements des populations. Le modèle de croissance est mis à mal. Le ralentissement de l’économie laisse désormais entrevoir les limites du système international.
Un climat mondial anxiogène
Le climat anxiogène est renforcé par la problématique du risque climatique, face auquel les mesures émises par les gouvernements n’ont que trop peu d’impact, malgré la menace grandissante de la « Diagonale de la soif ». Le risque sanitaire est également pointé du doigt, alors que les conséquences économiques liées au coronavirus sont encore à mesurer. Malgré ce climat anxiogène, l’année 2019 n’a pas laissé les risques de récession se concrétiser.
3 risques majeurs pour les systèmes démocratiques
John Bercow, 157ème président de la Chambre des Communes, s’est exprimé sur trois risques qu’il estime majeurs pour les démocraties. Selon ses dires, la menace permanente du terrorisme nuit à la sécurité de l’ouest. La menace terroriste a évolué et cette préoccupation à l’échelle globale nuit désormais profondément aux systèmes démocratiques, notamment en France et à l’Angleterre. En outre, la menace du changement climatique demeure grandissante et John Bercow insiste sur le fait que si l’Union européenne (UE) est en bonne voie avec les accords qu’elle a promu, d’autres actions gouvernementales internationales devront suivre et ainsi influer sur les actions des individus et du privé.
Pour l’ancien président de la Chambre des Communes le troisième risque pour les démocraties parlementaires prend forme avec la montée des populismes. À l’ère des réseaux sociaux, les idées se diffusent rapidement mais sont souvent des discours simplistes ne pouvant apporter de solutions réelles et adaptées aux problèmes complexes qui se posent. La diffusion aux plus hauts niveaux de ces idées est la véritable menace. Alors, comment agir pour protéger les démocraties ? Sa réponse est sans équivoque : le rôle du parlement dans les démocraties doit permettre de faire face à ces dangers. Leur mission est de questionner, de contester et de disputer les notions, les idées et les moyens d’actions déployés. C’est ainsi qu’ils permettent la balance des pouvoirs.
Une tendance protectionniste à la hausse qui perdure
L’ère est à la prudence et la première baisse en 10 ans des échanges internationaux en est la preuve. Ainsi, une étude conduite par Ahir, Bloom & Furceri (2019) démontre que 70% de l’augmentation du risque de défaut des entreprises depuis le premier trimestre 2018 peut être expliqué par l’accroissement de l’incertitude liée au commerce. Julien Marcilly, chef économiste à la Coface, observe également une réduction de la croissance dû en outre à des incertitudes liées à la conjoncture internationale. D’après lui, le rebond des échanges internationaux restera timide en 2020, comme le montre le graphique ci-dessous :
Les diverses réponses des gouvernements tendent à renforcer la dimension anxiogène qui a saisi le climat des affaires. Les mesures protectionnistes sont en vogue : droits de douane, quotas, taxation… si bien que les chiffres révèlent qu’elles ont augmenté de 40% entre 2008 et 2019 par rapport aux trois années précédentes. Chine et États-Unis représentent à eux seuls un quart des mesures adoptées.
Le protectionnisme est-il efficient ?
Si l’observation globale d’une récession du secteur manufacturier étasunien témoigne d’un secteur industriel qui s’essouffle, le secteur des services se porte lui, plutôt bien. Si l’on prend un exemple précis dans le contexte d’un cycle économique baissier, le secteur de la construction résiste grâce à des taux d’intérêt bas et à des prix d’intrants plus bas :
Ainsi, pour la 1ere fois depuis 10 ans, le commerce international a baissé en volume, ce qui a touché toutes les économies sur le plan global. Les baisses les plus marquantes sont situées en Asie (hors Chine). En 2018, Coface prévoyait ces impacts après les mesures prises par les Etats-Unis, à la manière d’un effet domino. En termes de tendance, on passe d’un protectionnisme global diffus à un protectionnisme de sévérité.
Depuis le début de l’épidémie du Covid19, les marchés financiers célébraient l’accord de première phase entre les Etats-Unis et la Chine, mais ce dernier sera-t-il suffisant pour relancer le commerce mondial, alors même que la plupart des mesures protectionnistes sont décidées ailleurs ? D’après Julien Marcilly, cet effet de substitution ne fonctionne pas.
Les politiques de relance des banques centrales
La Banque centrale européenne (BCE) a lancé une politique d’achat d’actifs censée impacter les ménages. Par ce biais, la BCE essaie de relancer le crédit, l’activité et l’emploi. Les ménages les moins aisés sont ceux qui en profitent le plus : l’emploi redémarre, donc les ménages s’enrichissent. Le prix des actifs augmente également, notamment celui de l’immobilier, dont les ménages les plus aisés profitent. Les classes moyennes, qui se plaignent de payer trop d’impôts sont celles qui, par opposition, ne profitent pas de cette politique. Cette dernière est néanmoins perçue comme le seul moyen de garantir la solvabilité des entreprises très endettées. Elle a conduit à une baisse du nombre des entreprises à risque, car la charge des intérêts avec la politique des taux bas sur les bilans financiers a baissé. En outre, face au risque de « japonisation » de l’économie de la zone Euro, la France se démarque avec une accélération des créations d’entreprises en 2019.
En ce qui concerne l’économie américaine, un rapport de la réserve fédérale américaine pointe du doigt une économie divisée en deux : alors que l’industrie est à la peine, l’activité des services est à la hausse, expliquant la hausse des emplois créés. Une déconnexion apparaît notamment du fait de taux bas qui favorisent les portions de la population à plus faibles revenus et à hauts revenus. Ce faisant, la classe moyenne y perd. Pour la zone euro, un scénario à la japonaise semble se distinguer : les banques consacrent une majeure part de leur investissement à refinancer les entreprises très, ou trop endettées (entreprises zombies), ce qui empêcherait, en théorie, la création d’entreprises. Cela ne se confirme pas avec le cas Français, qui, à l’inverse de l’Allemagne, de l’Italie et de l’Espagne, voit le nombre de ces entreprises augmenter. Enfin, la dette publique des pays émergents est au plus haut niveau historique, mais sa structure a changé : elle est désormais largement libellée en monnaie locale. Aussi, l’endettement des entreprises dans les pays émergents est principalement imputable aux entreprises publiques.
En résumé, l’assouplissement quantitatif de la politique monétaire menée par la BCE est favorable aux ménages aux plus hauts et aux plus faibles revenus mais son efficacité sur le long terme est questionnée. Il convient de souligner que le protectionnisme ou les politiques des différentes banques centrales ne suffisent pas à calmer les revendications sociales.
Bilan 2019
Pour conclure cette première partie, les mots prononcés par Xavier Durand, CEO du groupe Coface sont évocateurs. Sur le plan mondial, 4 grandes tendances de fond se confirment :
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L’économie mondiale continue de ralentir ;
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La dette mondiale a augmenté de moitié, grâce à des politiques monétaires toujours plus accommodantes ;
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Conséquences du ralentissement économique, des mouvements sociaux se développent tout autour du monde … ;
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… Mettant ainsi en exergue la fragilité de notre modèle de développement et notre ordre social.
Face à l’émergence de nouveaux risques, Coface, dont la devise « For Trade » entend développer le commerce international, met en avant le concept d’agilité.
Le risque politique, élément prépondérant de l’analyse du risque pays. © Coface
Christophe Moulin & Louise Vernhes