Dans un contexte de raréfaction du foncier, les friches industrielles sont amenées à jouer un rôle clé dans la réindustrialisation de la France. Une démarche proactive de l’État est attendue pour valoriser et répertorier ces sites abandonnés, également convoités par le secteur immobilier.
Depuis la crise du Covid 19, le thème de la réindustrialisation est devenu une problématique majeure dans le débat public en France. Le plan France 2030 dévoilé il y a deux ans prévoit ainsi 54 millions d’euros d’investissement sur 5 ans pour préparer l’industrie française. S’il paraît utopique à l’ère de la mondialisation de détenir sur le territoire national l’ensemble de la chaîne de valeur de tous les biens consommés en France, garantir notre indépendance dans des secteurs-clés représente un enjeu majeur pour les prochaines années.
Une réindustrialisation difficile sur le territoire
La volonté politique seule ne suffit pas à faire revenir les usines en France : il existe bien des freins aujourd’hui au retour des entreprises délocalisées. Au-delà des problématiques de coûts, des normes écologiques, ou des oppositions locales, un des écueils majeurs est la recherche de foncier. En effet, construire une usine est un premier défi, auquel s’ajoute la recherche d’un terrain susceptible de l’accueillir. A ce titre, l’exemple du projet d’implantation de l’entreprise Bridor, à Liffré en Ille-et-Vilaine, est révélateur des contradictions qui entourent la réindustrialisation. Cinq ans après avoir obtenu un avis favorable de l’Etat, le projet est annulé face aux nombreux recours et manifestations des riverains, qui pointent une consommation excessive d’eau dans un contexte de raréfaction de la ressource.
Une solution semble tout de même permettre de combiner impératifs écologiques et nécessité de reconstituer le tissu industriel national. Cette solution est la réhabilitation des friches industrielles présentes sur l’ensemble du territoire. L’idée est évoquée dans un rapport remis fin juillet 2023 par le préfet Roullon Mouchel-Blaisot à Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’industrie et Christophe Béchu ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Il propose une stratégie nationale de mobilisation pour le foncier industriel en France, « visant à créer la première industrie verte en Europe. »
Le foncier industriel en tension
Depuis la fin de la Première Guerre mondiale, le territoire français a connu une importante artificialisation, c’est-à-dire l’altération durable des fonctions écologiques d’un sol : parfois vulgairement résumée en «bétonisation». Entre 1936 et 2021, la part des aires urbaines a augmenté de 15% pour répondre aux impératifs de consommation, de logement et d’industrie. Cette dynamique, couplée à un accroissement de la population urbaine avec aujourd’hui plus d’un français sur quatre vivant en ville, mène inéluctablement à une artificialisation des sols toujours plus importante. Les conséquences sont nombreuses : disparition de la biodiversité, amplification du réchauffement climatique, pollutions et risques d’inondations.
Face à ce constat, l’Etat français a mis en place la loi « Zéro Artificialisation Nette » (ZAN). L’objectif de cette mesure est la cessation complète de l’artificialisation des sols à l’horizon 2050. Pour ce faire, les procédures administratives avec en tête les différentes enquêtes publiques nécessaires à l’obtention d’un permis de construire sont plus lourdes et contraignantes qu’auparavant. Par conséquent, les projets industriels ont de plus en plus de difficultés à voir le jour sur des terrains encore vierges.
La loi ZAN n’est pas la seule responsable de la raréfaction du foncier, les mobilisations citoyennes sont aussi un frein à la construction. Dans l’affaire de l’usine de Liffré, les autorités ont donné un avis favorable aux projets, mais la consommation d’eau induite par l’activité de Bridor a provoqué une importante mobilisation de la part des associations pro-environnement locales. De nombreux recours ont été déposés, retardant de fait la construction. N’étant plus capable de supporter les coûts liés au retard, l’entreprise a finalement été contrainte d’annuler son projet d’implantation.
En ce sens, l’inégale répartition des infrastructures sur le territoire conduit à d’autres difficultés pour l’installation d’usines. L’implantation dans des zones non connectées induit des coûts importants pour se relier aux infrastructures hydrauliques, informatiques, et même routières. D’autre part, les zones déjà connectées sont ciblées en priorité par les projets de réindustrialisation, et accroissent les inégalités entre régions industrielles et régions désertées. Certaines captant l’ensemble des projets en laissant l’autre partie du territoire à l’abandon.
Les friches industrielles comme solution à la raréfaction du foncier ?
Le rapport de mobilisation pour le foncier industriel avance qu’il serait possible de contourner le problème via la remise en fonction des friches industrielles, représentant entre 87 000 et 170 000 hectares. Il préconise d’en mobiliser 10 000 hectares d’ici à 2030.
Une friche industrielle est un terrain laissé à l’abandon après la cessation d’activité d’une entreprise. La grande vague de désindustrialisation en France, en cours depuis la fin des années 70 a entraîné la multiplication de ce type d’espace. Les coûts étant trop importants pour que les collectivités locales puissent les dépolluer et les détruire, les friches dépérissent lentement et deviennent pour certaines des squats ou des terrains d’exploration urbaine.
Pourtant, elles représentent un véritable atout pour la réindustrialisation. Ces sites sont en effet déjà artificialisés, et de fait ne sont pas soumis aux contraintes administratives provoquées par la loi ZAN. Les entreprises peuvent donc construire ou réutiliser les infrastructures déjà existantes sur les friches. De plus, en tant qu’anciennes zones d’activités, elles sont généralement déjà connectées aux réseaux électriques, routiers et éventuellement internet suivant l’année de départ de l’ancien propriétaire.
Recenser et mettre en valeur
Les friches représentent donc une solution potentielle à la réimplantation de l’activité industrielle en France. Cependant, le rapport du préfet Roulon Mouchel-Blaisot souligne une préparation amont essentielle de l’État.
Un premier travail de recensement au sein des territoires semble nécessaire pour mettre en valeur certaines friches qui restent méconnues. Il n’existe aucun registre au niveau national qui les répertorie aujourd’hui. En parallèle, la mise en place d’un système numérique interne permettrait aux administrations de centraliser les informations.
Cette fois-ci accessible au grand public, une deuxième plateforme aiderait ceux qui souhaitent s’implanter en France grâce un catalogue de sites prêts à l’emploi, notamment à travers le site Dataviz. Cette plateforme présente les offres françaises, afin de faire gagner du temps aux investisseurs et d’éviter des fiascos du type Bridor. L’idée est de proposer des sites « clés en main » comme présentés par Emmanuel Macron en 2020 au sommet Choose France.
Une concurrence entre l’industrie et l’habitat sur les friches industrielles
Si les friches industrielles semblent être une des solutions à la raréfaction globale du foncier, d’autres secteurs convoitent également ces sites déjà artificialisés. Le principal concurrent des entreprises étant le secteur de l’habitat, lui aussi perturbé par la loi ZAN.
Plusieurs projets évoquent en effet une réhabilitation des friches afin d’en faire des habitations, évitant ainsi les restrictions de la loi ZAN. La construction de logements sociaux sur ces zones à l’abandon est particulièrement ciblée par les municipalités. Soumises à la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains depuis 2020, les villes de plus de 3500 habitants sont contraintes par des quotas de logements sociaux avoisinant les 20%. Dans un contexte de forte tension du marché avec des prix en hausse et une faible liquidité, empêcher la construction de nouveaux logements va nécessairement tendre d’autant plus la situation. Les friches industrielles apparaissent ainsi comme des terrains propices aux nouvelles constructions, incarnant un potentiel tremplin pour le renforcement de la souveraineté industrielle française.
Colin Guyon, pour le club Industrie & Souveraineté
Pour aller plus loin :
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