L’agriculture biologique à la dérive ?

Serait-ce la fin de l’Agriculture biologique ? Les habitudes de consommation ont évolué du fait du Covid-19 et de l’inflation. La filière bio est en pleine perte de vitesse, une réponse cohérente et de soutien à l’Agriculture biologique se faire attendre.

La filière bio en perte de vitesse 

En un an, la consommation de produits bio a chuté de 7 points en valeur absolue. Elle est passée de 6,4 % à 6 % du panier de courses alimentaires des Français. Cela a provoqué la fermeture de 200 points de vente bio sur les 3000 existants, et un repli des ventes de 8,6 % dans les grandes et moyennes surfaces (GMS). Alors que la conversion des exploitations et la production de produits biologiques augmentent, la consommation des produits diminue. La filière est confrontée à une crise sans précédent.

L’agriculture biologique est encadrée par des textes réglementaires qui définissent un cahier des charges européen. Les produits qui respectent le cahier des charges peuvent se voir apposer le logo Agriculture Biologique (AB). En France, elle représente 10,7% des surfaces agricoles utiles  ( +3,1 % en 1 an). Mais, ce nombre est encore très loin de l’objectif européen de 18 % de surface en agriculture biologique en 2027. D’autant que la crise que traverse la filière pourrait ralentir les conversions voire provoquer un retour en arrière de certaines exploitations. L’agriculture non conventionnelle représente 60 000 exploitations (14 % de l’ensemble des exploitations françaises). 215 000 emplois directs en dépendent, soit 16,3 % des emplois agricoles. La filière bio permet de générer 13 milliards d’euros de chiffre d’affaires, sur les 81,6 milliards que représentaient l’agriculture française en 2022.

Le covid et l’inflation : un point de rupture pour l’agriculture biologique 

Alors que la consommation de produits bio a connu une forte hausse :  + 272 % (hors restauration) entre 2013 et 2020, depuis 2020, le secteur connaît un repli (7 % hors restauration). La tendance semble se confirmer pour 2023. Cette chute de la demande pour les produits d’agriculture biologique trouve deux origines : le covid-19 et l’inflation. Le covid-19 a conduit à une baisse de la consommation, notamment des produits en vrac. L’inflation a poussé un grand nombre de consommateurs à réorienter leur consommation vers des produits moins chers et issus d’agriculture conventionnelle.

En effet, bien que l’inflation sur les produits bio soit moins forte que sur ceux d’agriculture conventionnelle (4 % contre 6,7 % en 2022), les marges commerciales des intermédiaires dans la chaîne de valeur bio sont nettement supérieures à celle des produits conventionnels. La difficulté que connaît aujourd’hui la filière est le résultat d’une stratégie qui ne cible que des consommateurs avec un pouvoir d’achat élevé. Ceux avec un pouvoir d’achat plus restreint, qui avaient fourni des efforts pour acheter bio au cours de dernières années, ne peuvent aujourd’hui plus se le permettre. En effet, l’agriculture biologique est en moyenne 20 à 30 % plus chère que l’agriculture conventionnelle.

Alors que les politiques publiques agricoles,notamment par l’intermédiaire de la PAC ont poussé de nombreuses exploitations agricoles à se convertir au bio, ce retournement de situation n’a pas pu être anticipé par la filière. En effet, la conversion se fait en plusieurs années. Le retournement de consommation soudain que connaît la filière, fait qu’aujourd’hui, les agriculteurs non conventionnels ne parviennent plus à trouver de débouchés. L’offre continue de croître, tandis que la demande chute. Les prix de marchés des denrées alimentaires brutes ont baissé à tel point que le prix d’une tonne de blé biologique était moins cher que le prix d’une tonne de blé conventionnel. Les agriculteurs font face à une situation qui n’est pas soutenable, car les coûts de production étant plus élevés en agriculture bio qu’en conventionnel font qu’ils produisent à perte.

La conséquence de la baisse du pouvoir d’achat a conduit à un repli du chiffre d’affaires de 9 % dans les GMS et dans les magasins bio par rapport à 2020. Seule la vente directe parvient à se maintenir (+ 12 % en deux ans), ainsi que la vente en restauration collective (+ 14 % par rapport à 2019). En effet, la loi Egalim prévoit que la restauration collective doit acheter des produits biologiques à hauteur de 20 %. C’est encore très loin des 3,5 % actuels. Les ventes dans ces secteurs sont donc artificiellement dopées. Toutefois, la vente directe et la restauration collective ne représentent qu’à peine 10 % de ventes bio, ce qui reste très marginal par rapport à la vente en magasins spécialisés et en GMS, et ne permet pas d’enrayer la dynamique.

Concurrence croissante d’autres labels environnementaux 

La concurrence accrue entre les différents labels, associée à une méfiance croissante à l’égard des certifications biologiques, accélère le déclin de la filière. Le fort développement de nouveaux labels comme le label HVE (Haute Valeur Environnementale) et la mention “zéro résidus de pesticides” constituent une concurrence directe pour le label Agriculture biologique. Quoique flous dans leurs contours, ils créent une confusion chez les consommateurs. Malgré la rigueur du label bio, le seul à interdire l’usage d’herbicides et de pesticides, une étude commandée par l’Agence Bio révèle que les trois quarts des pertes de valeur dans la filière profitent à d’autres produits labellisés. De plus, le nombre de Français accordant de l’importance au logo Agriculture bio a chuté de 11 points par rapport à 2021. Associée à la baisse du pouvoir d’achat, la concurrence grandissante d’autres labels nourrit la crise que traverse la filière. Cette baisse de la demande risque de fragiliser davantage les agriculteurs et éleveurs, compromettant ainsi la poursuite des conversions.

Des initiatives politiques sans grand succès pour soutenir la filière 

Pour aider les agriculteurs, le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, a annoncé une mesure d’urgence le 17 mai. Une enveloppe de 60 millions d’euros, s’ajoutant aux 10 millions d’euros précédemment alloués, ont été débloqués. Ce soutien s’inscrit dans l’objectif d’atteindre les 18 % de surfaces en agriculture biologique d’ici 2027. Cependant, ces mesures d’aides n’ont pas suffi à enrayer la crise que traverse la filière.

Lors du vote des lois pour le budget de 2024, les députés avaient décidé d’allouer 271 millions d’euros supplémentaires aux exploitations bio. Mais l’amendement voté a été balayé par le Gouvernement lors de l’usage du 49.3 pour adopter les lois de finances.

Le Gouvernement souhaite jouer sur le levier de la PAC pour aider l’agriculture biologique à se financer. La France prévoit de débourser 340 millions d’euros par an pour soutenir les conversions, une augmentation par rapport aux 250 millions précédents. Si des fonds restent disponibles d’ici la fin de l’année, ils pourraient être alloués aux exploitants bio en difficulté pour éviter des retours à l’agriculture conventionnelle. Mais est-ce une réponse appropriée au problème ? Soutenir l’offre quand la demande faiblit est-il vraiment pertinent ?

La seule mesure prise par le Gouvernement pour soutenir la demande est d’atteindre le plus rapidement possible les 20 % de bio dans la restauration collective même si cela ne saurait suffire pour répondre à la crise. Il serait intéressant que les enseignes de grande distribution revoient leurs marges à la baisse sur le bio. En effet, jusque-là, les marges sur les produits bio étaient plus élevées que sur les produits conventionnels. Les diminuer donnerait un peu d’air frais à la filière, qui regagnerait un peu en compétitivité. Autrement, dans les prochaines années, on risquerait de connaître un ralentissement des conversions des exploitations conventionnelles en exploitation biologique. Il est probable que certaines exploitations fassent aussi le choix de retourner à des méthodes plus conventionnelles, ou de produire pour des labels environnementalement moins contraignants.

Une concurrence européenne qui déstabilise la France 

Tandis que la France semble laisser les filières bio s’enfoncer dans la crise sans réaction, l’Allemagne adopte un nouveau plan bio ambitieux visant 30 % de surfaces en 2030, allouant 30 % du budget de la recherche (soit 35 millions d’euros) et s’engageant à financer l’aide au maintien dans les régions qui ne suivraient pas cette orientation. Dans un contexte mondial de crise écologique, le gaspillage des années de travail investies pour développer les filières biologiques apparaît comme une perte considérable et un manquement intolérable à la transition écologique.

Si la France ne réagit pas face aux mesures de soutien prises dans d’autres pays européens, les agriculteurs biologiques français vont être confrontés à un manque de compétitivité structurelle face à des exploitations bio européennes. La crise ne ferait alors que s’aggraver, et les perspectives pour en sortir deviendraient plus minces. Pour faire face à ce danger imminent pour les agriculteurs français, la France peut soit agir au niveau de l’Union européenne pour soutenir de manière homogène l’agriculture biologique entre les pays européens, ou limiter le soutien, soit s’aligner sur le soutien de l’Allemagne. Le Gouvernement a balayé d’un revers de main la seconde option, sans mettre en avant la première option. L’avenir de l’agriculture biologique française semble donc plus que jamais incertain.

Etienne LOMBARDOT

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