Le 20 octobre dernier, le gouvernement de Xi Jinping a décidé de restreindre les exportations de graphite vers l’étranger. Cette ressource stratégique, cruciale pour les batteries des véhicules électriques, expose une fois de plus la dépendance de l’Occident à l’approvisionnement chinois, alimentant ainsi les enjeux géopolitiques de la guerre économique mondiale.
Depuis des décennies, le graphite est devenu une matière première essentielle. Permettant de fabriquer les mines de crayons à papier, il fait partie du quotidien des écoliers ; et sur un plan plus stratégique, il est un composant clé dans la fabrication des batteries des véhicules électriques.
La Chine, acteur dominant dans l’approvisionnement mondial en graphite, a redéfini l’équilibre économique mondial en imposant des restrictions à ses importations fin octobre. Cette action suscite des inquiétudes considérables et pourrait marquer un tournant majeur dans la guerre économique qui se joue entre la Chine et l’Occident.
Le graphite : une ressource méconnue
Pendant des années, le graphite est resté dans l’ombre des matières premières critiques, alors que d’autres éléments étaient davantage mis en avant. Sous-estimé, le graphite est pourtant l’un des composants les plus présents dans les batteries de véhicules électriques, voués à devenir la norme de demain.
Il fait partie des cinq matériaux indispensables à la conception de ces batteries, avec le lithium, le cobalt, le nickel et le manganèse. Il s’agit du matériau principal pour fabriquer l’anode, partie de la batterie qui absorbe le courant. À l’inverse des autres composants, de plus grandes quantités de graphites sont requises pour la fabrication de batteries.
La Chine a rapidement pris le leadership dans la production de graphite naturel et synthétique, contrôlant environ deux tiers de la production mondiale et fournissant 98 % du graphite synthétique dans le monde. La dépendance croissante de l’Occident à l’égard de l’approvisionnement chinois a notamment conduit ce matériau à rejoindre la liste des matières premières « à surveiller » au sein du ministère américain de l’Énergie, aux côtés du cobalt, entre autres.
Les restrictions chinoises : un pas de plus dans la guerre économique
La position chinoise peut s’expliquer comme une réaction face aux restrictions occidentales sur les semi-conducteurs. En juillet, cette dernière avait aussi annoncé des restrictions sur les exportations de gallium et de germanium, des métaux essentiels à la fabrication des puces de silicium. Cette action était considérée comme une réponse à la loi Chips and Science Act, mise en place par l’administration Biden en 2022.
Comme les autres restrictions de matériaux « rares », le choix du graphite n’est pas le fruit du hasard. Composant vital pour les batteries des véhicules électriques, l’enjeu d’une telle restriction est bien réel, surtout lorsque les Européens devront stopper l’utilisation des voitures thermiques d’ici 2035. Les constructeurs chinois espèrent donc inonder le marché européen de voitures électriques, dont les batteries proviennent en majorité de leur pays.
Comme Ali Laïdi l’explique, la guerre économique se définit comme un affrontement pour capter les ressources, alors le message de la Chine est clair : les restrictions des minéraux critiques sont un moyen de pression dans sa guerre économique contre les Occidentaux, tout en les rendant davantage dépendants de ses approvisionnements.
Les répercussions économiques et géopolitiques
Ces restrictions chinoises sur le graphite auront des répercussions importantes sur l’approvisionnement mondial en matières premières rares déjà sous tension. Les pays occidentaux cherchent à diversifier leurs sources d’approvisionnement pour réduire leur dépendance à l’égard de la Chine, mais aucun de ces projets ne sera opérationnel avant le début des restrictions d’exportations chinoises, en décembre 2023.
L’UE intensifie notamment les négociations d’accords commerciaux avec d’importants producteurs de lithium, tels que le Chili et le Mexique. Une discussion est également en cours sur l’exploitation minière des ressources du sol européen.
L’Occident est confronté à un nouveau dilemme : comment réagir face à ces actions chinoises tout en continuant de maintenir une relation diplomatique cordiale ? La possibilité de porter plainte auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) est envisagée, une tactique utilisée avec succès lorsque la Chine a interrompu ses exportations de terres rares en 2014.
Cette situation confirme le nouveau paradigme qui régit les relations internationales, où les conflits économiques sont monnaie courante et s’inscrivent dans une perspective d’autonomie stratégique. La lutte pour les minéraux critiques est un enjeu majeur qui façonne les relations économiques internationales. Ces restrictions relancent aussi le défi auxquels sont confrontés les Occidentaux mais surtout les Européens : le contrôle de l’approvisionnement des ressources.
France 2030 : fer de lance d’Emmanuel Macron dans la guerre des ressources
Bien qu’en retard, la France innove afin de réduire ses dépendances aux importations. En 2021, Emmanuel Macron avait fait de la sécurisation de ces métaux critiques l’une des priorités du plan d’investissements France 2030. Il avait insisté sur la nécessité de constituer une chaîne d’approvisionnement de ces métaux sur le territoire national, notamment pour la fabrication de technologies stratégiques : batteries de véhicules électriques, panneaux solaires, petits réacteurs nucléaires (SMR)…
Le 24 octobre dernier, le gouvernement dévoilait ainsi les cinq premiers lauréats de l’appel à projets qui auront la lourde tâche d’assurer la résilience des chaînes d’approvisionnement de l’industrie française en métaux critiques, matérialisé par des productions locales et de recyclage.
Valentin Mathieu
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