L’élevage est indispensable pour soutenir l’agriculture biologique

En pleine crise de la consommation, l’agriculture biologique pourrait être confrontée à terme à des difficultés structurelles d’approvisionnement en matières fertilisantes organiques. Alors que des études prospectives alertent sur des carences liées au recul de l’élevage en France, l’objectif européen d’atteindre 25 % de surfaces bio n’a jamais été aussi loin.

Les MAFOR, une alternative aux engrais pour l’agriculture biologique

L’Agriculture biologique se caractérise en partie par l’interdiction des apports en engrais minéraux et synthétiques. Tout comme les humains ont besoin de nourriture pour vivre, les sols ont besoin d’éléments minéraux tels que l’azote (N), le potassium (K) et phosphore (P), pour permettre à des plantes de pousser. Puisque l’agriculture biologique ne peut avoir recours à des engrais de synthèse ou minéraux, elle est obligée de se tourner vers d’autres alternatives : les matières fertilisantes d’origines résiduaires (MAFOR).

Les MAFOR ont différentes origines : ils proviennent principalement des effluents d’élevage (77 %) et plus particulière de l’élevage bovin conventionnel, des boues industrielles (10%), des déchets ménagers et organiques (7%). Ceci représente plus de 40 millions de tonnes de matière sèche annuelles en France. Une partie seulement de ces matières fertilisantes peut être collectée et utilisée dans l’agriculture biologique. Les épandages se font principalement dans les prairies, secondairement dans les grandes cultures.

L’utilisation des MAFOR utilisables en agriculture biologique (MAFOR UAB) est extrêmement encadrée par des règlements européens et nationaux. Un règlement européen prévoit une liste complète des matières fertilisantes pour l’agriculture biologique selon leur origine. Toutefois, la France a choisi d’être beaucoup plus restrictive quant à l’utilisation des MAFOR dans le bio depuis le 1er janvier 2021, puisque les effluents issus de élevages dits industriels sont désormais interdits. Dans les faits, ce cadre posé par l’INAO (Institut national de l’origine et de la qualité) ne réduit que de 10% des volumes utilisables pour la filière bio. Les effluents dits industriels peuvent aussi trouver des débouchés dans l’agriculture biologique. Cela pose toutefois une contrainte supplémentaire sur l’agriculture non conventionnelle française par rapport à d’autres pays européens.

La limite régionale de l’exploitation de matière organique

En France, la spécialisation agricole des régions conduit à une polarisation de la production des MAFOR UAB. L’ouest de la France, principalement orienté vers l’élevage bovin, avicole et porcin est la principale zone productrice. Le sud de la France, où l’agriculture bio se développe plus rapidement, est quant à lui un espace agricole en très forte demande.

Cette inégalité territoriale face à l’offre et à la demande pose de gros problème sur la disponibilité des ressources. En effet, transporter de la matière organique d’un bout à l’autre de la France est logistiquement très compliqué et très coûteux. Les débouchés sont donc davantage régionaux que nationaux.

Quelques importations qui sonnent comme un paradoxe 

Les importations de MAFOR UAB représentent environ 1 million de tonnes de matière sèche. La France est donc importatrice nette. Les principales importations se font depuis la Belgique (90%) et en provenance de très gros élevages de poules pondeuses. En effet, les fientes de poules sont plus simples à sécher et moins coûteuses à transporter. Or 90 % de la matière importée est utilisable en agriculture biologique, ce qui est paradoxal puisque la France interdit les épandages d’origine industrielle dans les exploitations bio. Et il est quasiment impossible de vérifier la conformité à la réglementation française des importations de matière organique. On est donc dans un système à deux niveaux, où les règles qui s’appliquent aux agriculteurs français sont plus exigeantes que celles des agriculteurs européens. D’autant plus que les règles françaises peuvent être contournées par l’importation de produits étrangers.

L’effet ciseaux des MAFOR 

Aujourd’hui, l’agriculture biologique ne représente que 10 % des surfaces agricoles utiles. En 2027, elle devrait représenter 18 % et 25 % en 2030 pour répondre aux exigences européennes. Seulement, le développement de l’agriculture biologique est en partie conditionné par la disponibilité en matière organique. Il faudrait donc produire et permettre à la filière biologique d’utiliser beaucoup plus de matière organique. Par ailleurs, la forte hausse des coûts sur l’énergie et les engrais tend à rendre plus compétitive l’utilisation de MAFOR UAB, et certaines exploitations agricoles conventionnelles pourraient être tentées d’en utiliser.

D’un autre côté, l’essentiel de la matière organique provient de l’élevage et plus particulièrement de l’élevage bovin. Or l’élevage bovin est en recul en France, ce qui implique que la quantité de matière organique pourrait être amenée à diminuer dans les prochaines années. Pour le moment, cette baisse est compensée par la mise sur le marché d’une quantité plus importante de certains types de MAFOR UAB, notamment en provenance des déchets urbains et forestiers. Mais il n’est pas certain que cela puisse suffire à enrayer structurellement la baisse de la quantité disponible.

Face à une hausse de la demande et à une baisse de l’offre, l’agriculture biologique pourrait se retrouver dans une impasse si elle n’a pas recours à des importations ou si la réglementation n’est pas assouplie.

La projection alarmiste du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire

Dans une étude commandée par le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire (MASA), financée par le programme 215 du MASA et publiée en 2022, 4 scénarios prospectifs ont été établis. Si les surfaces bio stagnent autour de 10 % d’ici 2030, l’autosuffisance en MAFOR UAB serait en partie atteinte. Toutefois, si elles représentent 20 % de surfaces, sans évolution de réglementations, la France ne pourrait couvrir qu’une partie de ses besoins en matière organique et 5 à 8 % de ses besoins en azote. Elle serait donc très dépendante des importations. Si les réglementations venaient à être assouplies, la couverture de besoins en azote se situerait entre 56 et 100 %.

Cette projection met en exergue les difficultés structurelles de l’agriculture biologique à poursuivre son développement sans dépendre des importations étrangères. Ici, les projections se limitent à 20 % de surfaces bio, tandis que les objectifs européens sont fixés à 25 % d’ici 2030. On peut donc s’attendre à des scénarios plus pessimistes dans un cas à 25 % de surfaces. De la même manière, si la baisse structurelle de l’élevage bovin se poursuit au-delà de 2030, la filière fera face à une forte situation de dépendance.

De manière analogue, si les autres pays européens poursuivent leur développement de l’agriculture biologique, leurs besoins en MOFAR UAB vont aussi augmenter. Il n’est alors pas certain que la France puisse continuer à s’approvisionner dans l’espace européen comme elle le fait maintenant. Il faudrait alors se tourner vers des importations non européennes qui seraient logistiquement compliquées à mettre en place, contraires avec la stratégie environnementale européenne, coûteuses et probablement réglementairement insatisfaisantes face aux réglementations européennes.

L’élevage, complémentaire de l’agriculture biologique 

Bien que le scénario à 20 % d’agriculture biologique soit peu probable étant donné la crise que traverse actuellement la filière, cette dynamique semble renforcer l’impasse dans laquelle elle se trouve. Le recours à des méthodes alternatives comme l’agroécologie ou l’agriculture régénérative ne peut pas être une solution généralisée et économiquement viable dans une logique de marché commun européen. Ces formes d’agricultures sont aussi très compliquées à généraliser du fait de leur forte demande en main d’œuvre, alors même que le nombre d’actifs dans l’agriculture va se contracter très fortement dans les prochaines années. Une autre solution serait de soutenir le développement des légumineuses, notamment pour fixer de l’azote dans le sol. Mais là encore, les effets seraient limités.

L’agriculture biologique sans élevage est un paradoxe. La défendre devrait aussi conduire à maintenir des élevages en France. En l’espace de trois ans, trois études ou analyses ministérielles prospectives ont été publiées et en arrivent aux mêmes conclusions. La position et la réponse de la France sur ces sujets de premier plan dans l’agriculture se font attendre.

Etienne Lombardot

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