Face aux récents risques d’assèchement du marché des hydrocarbures, les États-Unis reviennent sur leurs relations avec l’Iran et le Vénézuela. À la clé, la sécurisation des approvisionnements en pétrole et gaz venant du Vénézuela pour supplanter une partie des apports manquants de la Russie et du Moyen-Orient, où l’influence de l’Iran s’est particulièrement accrue ces dernières années.
Hydrocarbures : les États-Unis se tournent vers le Vénézuela et l’Iran
En début 2022, l’invasion russe de l’Ukraine stresse les marchés pétroliers, déstabilise et force l’Administration Biden à relancer les négociations avec l’Iran au sujet de ses projets nucléaires et des sanctions qui y sont associées. La proposition américaine se résumait ainsi : une levée des sanctions pesant sur le régime iranien en échange de son pétrole et gaz, ainsi qu’un engagement à ne pas armer la Russie, alors que « l’opération spéciale » de celle-ci débutait. Stratégiquement non viable pour l’Iran, le potentiel de ce projet a été fortement limité, mais a permis de réduire les prix des hydrocarbures sur le marché.
Dans le contexte du conflit israélo-palestinien et de la tension qui règne sur les marchés, l’Amérique se tourne vers le Vénézuela pour s’approvisionner en hydrocarbures. Ainsi, d’un jour à l’autre, le Vénézuela de Nicolás Maduro n’est plus un État à asphyxier au regard de l’Amérique, mais un semblant de partenaire commercial. Les sanctions américaines pesant sur l’or, le pétrole et le gaz vénézuéliens sont alors levées grâce aux accords de Barbados signés le 18 octobre 2023.
Nonobstant, le Vénézuela offre une moins bonne alternative que l’Iran dû à l’infériorité de sa capacité de production. Depuis la fin 2022, l’Iran a augmenté son apport sur les marchés de 700 000 barils par jour (b/j) pour un total de 3 millions b/j. La majorité de ces barils ont été achetés par la Chine. Or, avec optimisme, le Vénézuela pourrait accroître son apport sur les marchés de 150 000 à 200 000 b/j pour un apport total de 1 million b/j : soit trois fois moins. Ceci s’explique par le manque d’investissements, le contrôle gouvernemental sur les activités, l’absence d’entretien des puits de pétrole et infrastructures associés, et finalement par l’inexistence de stocks de barils prêts à l’export. Avant les accords de Barbados, la majorité des exportations de Caracas partaient en direction de la Chine avec une réduction de 10 dollars sur le baril en raison des contraintes bancaires et du coût du transport. Suite aux accords, une grande partie des exportations vénézuéliennes devraient partir en direction des raffineries américaines au prix de 90 dollars le baril. À titre indicatif, avant les sanctions imposées par Donald Trump en 2019, les États-Unis étaient les plus grands importateurs de pétrole vénézuélien avec 150 000 b/j.
Les guerres en Ukraine et Israël, révélatrices des limites du dispositif énergétique occidental
En février 2022, la Russie lançait son « opération spéciale » contre le régime ukrainien. Dynamisant violemment le grand échiquier eurasiatique, Washington ordonne alors une liste de sanctions internationales à l’encontre de la fédération de Russie, et des personnes proches de Vladimir Poutine. L’inflation est une conséquence directe de ces mesures, notamment dans une économie mondiale en recherche d’air et croulant sous les bulles spéculatives. Cette hausse des prix concerne en particulier les hydrocarbures, ce qui affecte tous les secteurs de l’économie.
Malgré la lente stabilisation des prix au sein de cette conjecture contraignante, l’opération menée par le Hamas contre Israël en ce mois d’octobre remet en danger les plans d’approvisionnement des États. C’est en effet via le détroit d’Ormuz (entre Oman et l’Iran) que passe environ un cinquième du volume de la consommation mondiale totale de pétrole. En moyenne, 20,5 millions de barils par jour (bpj) de pétrole brut, de condensats et de produits pétroliers ont transité par Ormuz entre janvier et septembre 2023. En ce qui concerne les Gaz Naturels Liquéfiés (GNL), 80 millions de tonnes métriques, soit 20 % des flux mondiaux, passent par le détroit chaque année. C’est aussi via la mer Rouge (à la côte du Levant) que l’Orient et l’Occident commercent.
Ce conflit à portée régionale rappelle le poids que joue l’Iran à la fois en tant que puissance régionale, dont la puissance militaire ne fait que croître, mais aussi mondiale en tant qu’acteur pétrolier majeur. Le conflit israélo-palestinien met l’Iran en posture de force. De fait, en réponse au conflit entre le Hamas et Israël, Téhéran a appelé les pays membres de l’OPEP à cesser les exportations d’hydrocarbures aux pays soutenant Israël. La présence d’un axe de résistance pro-Iran dans une grande partie de la région, et la réintégration de la Syrie d’Assad dans la ligue arabe (alliée de l’Iran) accroît la légitimité de Téhéran sur la scène régionale.
Ce conflit permet ainsi à Téhéran de faire pression sur les marchés mondiaux d’hydrocarbures, et de déstabiliser son ennemi hébreu, sans souffrir les contre coups de l’escalade militaire sur son territoire. Seuls ses bases et convois en Syrie ou en Irak subissent des attaques. En ce sens, ni Israël ni les États-Unis ne souhaitent s’engager dans une confrontation directe avec l’Iran au risque de mettre à feu et à sang la région entière et d’y perdre leur potentiel de projection. Les activités minutieuses du Hezbollah libanais et de l’Iran traduisent aussi les défis politiques auxquels ont à faire face les composantes de « l’Axe de Résistance ». De surcroît, les violences commises à l’égard de la population palestinienne par Israël ont renforcé le narratif des groupes soutenant le Hamas, dont celui de l’Iran. Ces erreurs politiques dans la conduite de la guerre par Israël ont contribué à l’isolation de l’État hébreu dans la région, et terni son image sur la scène internationale.
Eurasie et Moyen-Orient en guerre : réécriture de la stratégie énergétique américaine
Dès lors le Hezbollah Libanais, allié de l’Iran, indique que « toutes les options sont sur la table » à plusieurs reprises. L’Iran quant à lui, projette d’orchestrer un troisième choc pétrolier en appelant les pays de l’OPEP à cesser les exportations à l’Occident tant que le conflit dure. L’Iran leur demande également d’arrêter d’utiliser leurs arsenals militaire et diplomatique, pour confronter Israël à l’aide de ses proxy et alliés: en Irak (Kata’ib Hezbollah…), Syrie (soutien de Bashar al-Assad…), Liban (Hezbollah) et Yémen (Houthi Ansar Allah). L’opposition de l’Iran face aux aspirations impérialistes de l’Amérique est d’autant plus dangereuse dans le contexte de son rapprochement avec la Couronne Saoudienne.
Nonobstant, si Téhéran et Riyad se sont spectaculairement rapprochés récemment, la probabilité que l’Iran convainque l’Arabie saoudite à la suivre dans son embargo est très mince. En effet, malgré les relations tendues entre l’Arabie saoudite et les États-Unis, il serait présomptueux de parier sur la construction d’une puissante alliance entre ces deux pays, qui n’entretenaient pas de relations diplomatiques il y a encore peu. Tout dépendra des développements du conflit, il est fort probable que finalement la Couronne Saoudienne se rattache au camp gagnant.
Cela sans oublier l’Égypte qui au départ était fière de critiquer les opérations israéliennes. Néanmoins, l’Égypte du président Abdel Fattah el-Sisi est bien consciente des intérêts que présente une proximité avec Washington et reste ambivalente dans ses propos au sujet du conflit entre Israël et le Hamas. Dès lors, elle reste active sur la scène arabe tout en contenant l’effervescence dans les rues égyptiennes. Le Caire dispose à la fois d’un puissant levier migratoire sur l’Europe, ainsi que du Canal de Suez, essentiel pour relier l’Orient et l’Occident. Voyant ainsi les perspectives d’un flux commercial stable s’amincir, Washington se doit de trouver un moyen de poursuivre la pérennité des voies d’alimentation en hydrocarbures, sans compromettre ni sa stratégie au Proche-Orient, ni en Eurasie.
L’Amérique gagnante ?
Le haut prix du baril en provenance du Vénézuela pose des problèmes financiers pour une administration en voie de réélection et dont l’approbation n’est certainement pas unanime. Pour autant, l’apport supplémentaire de la ressource en Amérique avec la redirection d’une part des exportations de la Chine vers Washington, est à la fois intéressant pour le Pentagone et les Big Oil Companies de Wall Street.
Hedi Sebahi
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