Burundi : 30 ans après le génocide, le spectre des violences ethniques resurgit 

 

Confronté à une instabilité chronique et à des tensions ethniques persistantes, le Burundi se trouve à nouveau au bord du précipice, trente ans après un génocide qui a profondément marqué son histoire. A un an des élections, une crise au Burundi perturberait considérablement l’équilibre géoéconomique de la région, affectant l’approvisionnement mondial en terres rares et autres minéraux stratégiques abondant sur place.

Résurgence des tensions ethniques entre Tutsis et Hutus 

Lorsque l’on évoque les conflits ethniques qui ont dévasté l’Afrique centrale dans les années 1990, le génocide rwandais est souvent le premier à venir à l’esprit. Pourtant, le Burundi, petit pays voisin du Rwanda, a lui aussi été le théâtre d’un génocide meurtrier opposant les ethnies Hutu et Tutsi conduisant à une guerre civile de plus d’une décennie. Le génocide a été déclenché en 1993 par l’assassinat du premier président hutu démocratiquement élu, Melchior Ndadaye. Les violences ethniques qui ont suivi ont fait des centaines de milliers de morts, principalement des Tutsis, mais aussi des Hutus modérés. Bien que le Burundi ait connu une période de relative stabilité politique depuis la fin de la guerre civile en 2005, les cicatrices laissées par le génocide sont toujours présentes dans la société burundaise.

30 ans plus tard, le Burundi est dans une situation économique désastreuse et le mécontentement gronde. À un an des élections législatives, les tensions ethniques deviennent à nouveau une arme politique avec entre autres la distribution de machettes à des groupes de jeunes affiliés au parti au pouvoir majoritairement Hutu, faisant craindre une résurgence des violences ethniques. 

Une réapparition des tensions au Burundi pourrait entraîner des répercussions dans toute la région des Grands Lacs, impliquant le Rwanda ainsi que d’autres acteurs régionaux susceptibles de bouleverser l’équilibre politique actuel.

Le Burundi, un pays prometteur aux ressources abondantes…

Le Burundi, pays enclavé d’Afrique de l’Est, partage ses frontières avec la Tanzanie, le Rwanda et la région du Sud Kivu de la République démocratique du Congo. Niché dans la région des Grands Lacs, le pays se caractérise par deux ethnies principales : les Hutus à 80% et les Tutsis à 18%.

Son histoire tumultueuse a été marquée par des périodes de conflit, notamment le 1er génocide Hutu dans les années 70 et la guerre civile des années 90, qui ont laissé des cicatrices profondes dans la société burundaise. Malgré ces défis, le Burundi possède un potentiel économique prometteur, notamment grâce à l’une des terres les plus fertiles du monde, des ressources naturelles abondantes et un potentiel hydroélectrique considérable en raison de sa géographie vallonnée. De ce fait, si le potentiel hydroélectrique du pays était pleinement exploité, il pourrait fournir une énergie propre et renouvelable non seulement pour satisfaire les besoins internes du pays mais aussi pour l’exportation vers les pays voisins, contribuant ainsi au développement économique régional.

Le Burundi est doté d’un sol exceptionnellement riche et fertile, faisant de l’agriculture qui représente près de 30% de son PIB. En outre, le pays recèle des ressources naturelles abondantes, notamment des gisements de nickel, d’or et d’uranium, qui représentent un potentiel économique significatif malgré une exploitation encore limitée. Le secteur minier, en particulier, est prometteur avec le gisement de Gakara, considéré comme l’un des plus riches au monde en terres rares. Ces minéraux sont essentiels dans la fabrication de technologies avancées telles que les écrans de smartphones, les moteurs d’éoliennes ou les systèmes de guidage de missiles, ce qui confère au Burundi un enjeu stratégique dans la géoéconomie mondiale. 

… victime d’une instabilité politique chronique 

En 2015, le pays a été secoué par une tentative de coup d’État visant à empêcher le président hutu Pierre Nkurunziza de se représenter pour un troisième mandat. Cette tentative de putsch a conduit à une répression sévère de la part du gouvernement. Nkurunziza est resté au pouvoir jusqu’à sa mort en 2020 à l’âge de 55 ans, des suites présumées du Covid, dans des circonstances controversées. Son successeur également hutu, Évariste Ndayishimiye, a dirigé le pays. 

Depuis, la situation s’est détériorée, avec un écart de développement croissant par rapport aux pays voisins comme le Rwanda ou la Tanzanie. Les pénuries d’essence paralysent le pays en raison du manque de devises de la banque centrale, rendant difficile l’importation de carburant. À Bujumbura, la capitale économique, les files d’attente pour le ravitaillement en carburant peuvent dépasser 10 heures. Le mécontentement s’accentue au sein de la population et aussi au sein du parti au pouvoir, le CNDD-FDD (Conseil national pour la défense de la démocratie – Forces de défense de la démocratie). De plus, dû  en partie au manque d’infrastructure, la capitale économique du pays fait face à la montée inexorable du lac Tanganyika mettant à la rue des dizaines de milliers de personnes sous les yeux du gouvernement sans que celui-ci s’en préoccupe.

Dans ce contexte, à un an des prochaines élections législatives cruciales, le spectre de l’ennemi intérieur est brandi par les cadres du gouvernement.

Une rumeur de distribution de machettes inquiétante

Selon le média burundais d’opposition Le Mandat le 5 avril 2024, quatre conteneurs de machettes auraient été récemment distribués aux membres de la ligue des jeunes du CNDD-FDD, connus sous le nom d’Imbonerakure, ce qui signifie “ceux qui voient loin” ou “sentinelles” en kirundi. Bien que cet article ait profondément affecté la vie publique burundaise, il est important de noter qu’aucune source indépendante n’est capable de confirmer ou de réfuter cette distribution. Importées de Chine et transitant par la Tanzanie, ces machettes sont d’après Le Mandat destinées à être utilisées pour “combattre les ennemis de la paix et de la sécurité”.

L’arrivée des machettes le 18 mars 2024 aurait été précédée de quelques jours d’un blocage à la frontière entre la Tanzanie et le Burundi en raison du défaut de dédouanement des camions transportant les marchandises. Bien que ces informations proviennent de sources non confirmées et que les médias d’état réfutent cette hypothèse , Le Mandat aurait mentionné dans son enquête de terrain l’intervention de hautes autorités pour permettre aux camions de poursuivre leur route malgré le blocage initial par l’Office Burundais des Recettes. Les machettes auraient ensuite été distribuées aux Imbonerakure dans plusieurs provinces, notamment Bujumbura, Cibitoke, Bubanza et Rumonge.

Que cette rumeur soit confirmée ou non, elle reflète la véritable tension qui règne au Burundi à un an des élections. Dans ce contexte, les inquiétudes croissantes concernant les tensions ethniques de machettes et leurs impacts potentiels sur la stabilité et la sécurité du Burundi soulignent l’urgence d’une surveillance internationale, et d’une action pour prévenir une escalade des tensions ethniques et politiques dans le pays et la région.

Rwanda et Burundi : deux modèles opposés de tentatives de réconciliation ethnique

Au Burundi, les stigmates du génocide demeurent profondément enracinés, révélant une société encore fragilisée par les divisions ethniques. Contrairement au gouvernement rwandais de Paul Kagamé qui a adopté des mesures strictes pour promouvoir la réconciliation en interdisant même la mention des termes “Hutu” et “Tutsi”, le Burundi continue de lutter pour surmonter les fissures qui ont déchiré le tissu social dans les années 1990. Cette disparité met en évidence un contraste frappant dans les approches adoptées par les deux pays pour traiter les traumatismes du passé.

Alors que le Rwanda a mis en œuvre des politiques de mémoire et de réconciliation radicales visant à effacer les divisions ethniques, le Burundi peine à instaurer un dialogue constructif entre ses différentes communautés. L’absence de progrès significatifs dans la promotion de la réconciliation interethnique au Burundi soulève des inquiétudes quant à une possible résurgence des violences. La persistance des tensions ethniques dans un climat politique déjà tendu souligne l’urgence d’une action concertée pour prévenir de nouveaux cycles de conflit et de souffrance. 

Sur fond de tensions ethniques, le Burundi et le Rwanda s’opposent également à travers des désaccords sur les frontières et des problèmes territoriaux. Un exemple récent est la fermeture des frontières entre les deux pays, conséquence des accusations du président burundais, selon lesquelles le Rwanda aurait fourni des armes et des uniformes à des rebelles burundais du groupe RED-Tabara et congolais du M23 qui déstabilisent le Burundi et le Sud Kivu voisins. Ces allégations ont intensifié les tensions déjà présentes entre les deux voisins, entraînant la fermeture des frontières et reflétant les divisions persistantes entre les deux nations. Ces tensions principalement ethniques et territoriales mettent en évidence les défis complexes auxquels sont confrontés le Burundi et le Rwanda dans leur quête de réconciliation et de stabilité régionale.

Ressources : les richesses naturelles du Burundi et leurs enjeux internationaux

Au cœur de la géoéconomie de l’Afrique centrale, le Burundi se distingue avec la région du Kivu  par ses ressources naturelles considérables, qui s’étendent bien au-delà de ses terres fertiles. Le pays est assis sur des gisements précieux de nickel, d’or et d’uranium, qui, malgré une exploitation actuellement restreinte, offrent des perspectives économiques d’envergure. Ces matières premières sont cruciales pour divers secteurs industriels mondiaux et représentent une source potentielle de croissance économique considérable pour le pays. La véritable perle de la couronne burundaise est le gisement de Gakara, une mine de terres rares parmi les plus riches de la planète. Ces éléments sont devenus indispensables à l’ère numérique et des énergies renouvelables, car ils sont intégrés dans la production de multiples technologies de pointe, des écrans de smartphones aux véhicules électriques, en passant par les turbines éoliennes et l’électronique de défense. La demande mondiale pour ces matériaux stratégiques ne cesse de croître, positionnant le Burundi comme un acteur potentiellement clé sur l’échiquier des ressources stratégiques mondiales.

Toutefois, l’instabilité politique et les tensions qui secouent le pays posent un risque significatif pour l’exploitation et le développement de ces ressources. Les conflits internes peuvent non seulement freiner l’investissement direct étranger, essentiel pour le développement du secteur minier, mais aussi entraîner des perturbations dans l’approvisionnement de ces ressources critiques, avec des implications directes pour les industries mondiales qui en dépendent. 

Les acteurs présents dans l’économie du Burundi, qu’ils soient locaux ou internationaux, se trouvent dans une situation délicate. Les entreprises extractives doivent naviguer entre les défis d’opérer dans un environnement instable et la nécessité d’adopter des pratiques responsables face à un cadre réglementaire qui peut être volatile. Par ailleurs, les dépendances économiques qui se créent entre le Burundi et ses partenaires commerciaux internationaux introduisent un rapport de force complexe, où la souveraineté nationale et le contrôle des ressources peuvent être mis à l’épreuve par les intérêts étrangers. Dans ce contexte, la vigilance de la communauté internationale est primordiale.

Une crise au Burundi pourrait avoir des répercussions majeures sur la stabilité régionale et perturber l’équilibre géoéconomique en affectant l’approvisionnement mondial en terres rares et autres minéraux stratégiques, puisque la situation politique du Burundi joue sur l’ensemble de la région. La communauté internationale comme l’Union Européenne, première donatrice du Burundi, doit donc s’engager activement pour aider à stabiliser le pays et à créer un environnement propice à l’exploitation éthique et durable de ses richesses naturelles.

Oscar Lafay

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