L’agriculture dans la Guerre économique

Voir et penser l’agriculture française autrement, dans un contexte de guerre économique, est le premier pas vers l’action de défense et de promotion de ce secteur vital. Comprendre les rapports de force qui s’y jouent, ses forces et ses faiblesses, ses points de dépendances, c’est aussi reconnaître la fragilité de ce qu’elle apporte : la souveraineté alimentaire. Dans l’équation de la guerre économique, l’agriculture ne doit plus être l’inconnue ; elle doit être un pilier du développement de l’économie française.

La nécessité d’une souveraineté alimentaire française

La notion de souveraineté alimentaire, écartée des considérations politiques depuis quelques décennies, a retrouvé un sens à travers une succession de crises : crise du Covid, guerre en Ukraine et plus récemment les manifestations des agriculteurs dans toute l’Europe. Il n’existe pas une définition unique de la souveraineté alimentaire. Mais la plus élémentaire serait de se référer à la capacité d’un pays à décider de se donner les moyens appropriés, centrés sur ses propres capacités productives, pour nourrir sa population, quel qu’en soit le contexte. Entre autres, il peut s’agir d’un contexte de guerre économique ou de situations de crise provoquées par des conflits géopolitiques ou des catastrophes climatiques.

Au-delà de la notion, ces ruptures successives ont redonné corps à la souveraineté alimentaire. Derrière ce concept, on découvre une réalité qui dépend de la capacité de l’agriculture à remplir sa mission. Aujourd’hui, plus que jamais, l’agriculture joue un rôle géostratégique de premier plan. Et, dans les rapports de force mondiaux, elle est un outil instrumentalisé au même titre que l’énergie, la monnaie ou l’industrie de l’armement.

Une nouvelle grille de lecture pour l’agriculture, sous l’angle de l’intelligence économique

Depuis 27 ans, dans la continuité du rapport Martre de 1994, l’École de Guerre Économique (EGE) s’est donnée pour mission de décrypter, d’analyser et de mettre à disposition l’information utile au service de l’action. L’EGE s’attache à construire des grilles de lecture transdisciplinaires pour mettre en lumière les rapports de forces qui commandent les relations entre acteurs aux intérêts divers, conjugués ou opposés, mais toujours stratégiques pour la survie de l’organisation, qu’il s’agisse d’entreprises privées ou de l’État. Dans cette perspective, l’agriculture est un champ d’études de prédilection pour l’EGE. De ces nombreux travaux sur le sujet, il ressort que ce secteur est particulièrement complexe et exposé aux logiques de guerre économique. Les enjeux croissants en matière environnementale, socio-économique et géopolitique ne font que renforcer ce constat.

En prenant acte de la complexité des enjeux et des défis qui s’imposent à l’agriculture française, l’École de Guerre économique a souhaité proposer au monde agricole une grille de lecture doublement originale. La première originalité réside dans la démarche de l’EGE : considérant que l’agriculture est déjà un des terrains de la guerre économique, l’étude des rapports de force dans le monde agricole et les logiques d’accroissement de puissance par l’agriculture sont au cœur de l’analyse. La seconde originalité repose sur la méthode : la grille de lecture proposée est le fruit du travail de 210 étudiants de l’EGE, tous issus de formations différentes. La diversité des points de vue et des compétences offre ainsi une analyse unique du monde agricole, sous l’angle de l’intelligence économique.

Cette nouvelle grille de lecture prend avant tout en compte les limites intrinsèques du secteur, à savoir son enracinement spatial, intimement lié à la terre, et sa dépendance naturelle au temporel. Elle considère aussi la complexité du secteur, composé d’une grande diversité d’acteurs et bâti sur une multiplicité de filières et de productions agricoles.

La grille de lecture intègre aussi la dimension européenne. Le soutien historique de la Politique agricole commune (PAC) et la libre circulation des biens et des marchandises sur le marché européen ont façonné l’agriculture française depuis plus de 60 ans. La PAC oriente les subventions accordées et structure certaines filières afin de bénéficier dans une logique de puissance. En France, cela permet en partie aux grandes cultures de maintenir leur compétitivité sur le marché commun et à l’international. D’autres filières, construites sur des produits de très haute qualité, sont aussi en bonne santé grâce à une logique de compétitivité hors prix.

Comprendre la guerre économique qui se joue aux différentes échelles du monde agricole

Il n’en demeure pas moins que la compétitivité de ces filières est aujourd’hui en baisse. La grille de lecture passe au crible les risques liés à la volatilité des marchés et les déstabilisations normatives qui se jouent à différentes échelles. La France soutient souvent des législations plus strictes que celles imposées par l’Union européenne, ce qui entraîne une perte de compétitivité. Dans le même temps, d’autres pays européens, très compétitifs sur les coûts et la recherche agronomique, utilisent des pratiques déloyales, comme le dumping social, pour défendre les intérêts de leur agriculture. Des déstabilisations au niveau mondial sont également visibles, avec des puissances agricoles employant des procédés particulièrement agressifs. Il semble que l’agriculture française subit la guerre économique plus qu’elle ne la pratique.

C’est donc un autre volet examiné par la grille de lecture : ses dépendances commerciales étrangères qui menacent les équilibres agricoles, comme celle liée aux importations d’intrants agricoles (engrais, machines agricoles, big data agricole émergent). Alors qu’elle était exportatrice nette de produits agricoles au niveau de l’UE il y a vingt ans, la France est désormais importatrice nette. 

L’importance de maitriser l’information dans un contexte de contestations

Cœur d’expertise de l’EGE, la grille de lecture met à jour les fragilités informationnelles. L’expression de contestations, de défiance voire de haine vis-à-vis du monde agricole prend de plus en plus une tournure de confrontation. Le cas récent des manifestations contre les bassines de Sainte-Soline en est un exemple. Elles divisent et fragilisent le dialogue entre les acteurs agricoles et les populations civiles. A d’autres égards, les confrontations informationnelles aboutissent à la remise en question d’évolutions technologiques et agronomiques pourtant essentielles, et touchent le cœur même de l’agriculteur. Dans un contexte d’évolutions profondes de l’art de l’information, ces phénomènes informationnels risquent de se renforcer.

La maîtrise de l’information ne sera pas le seul enjeu pour l’agriculture dans les prochaines années. Les bouleversements climatiques, géopolitiques, sociétaux et numériques vont structurellement modifier l’agriculture. La France et l’Union européenne doivent aussi se projeter et se préparer aux défis qui s’annoncent pour maintenir un équilibre entre qualité de l’alimentation, durabilité des pratiques, renouvellement générationnel, viabilité économique et maintien d’un savoir-faire. L’enjeu est de taille, et plus que jamais, une grille de lecture qui intègre des méthodologies analytiques de l’EGE s’impose pour appréhender la complexité de l’agriculture et se projeter dans l’avenir.

 

Consulter le rapport intégral L’agriculture dans la Guerre Economique

 

Ecole de Guerre Economique

 

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