Le corridor Grèce-Bulgarie-Roumanie : un miroir des mouvements géoéconomiques européens

S’inscrivant dans le cadre de l’Initiative des Trois Mers, trois nations d’Europe du Sud-Est construisent un corridor reliant le port grec de Thessalonique au port roumain de Constanta. Un projet essentiel pour le commerce régional, qui illustre parfaitement  les recompositions géoéconomique et géopolitique dans cette région de l’Europe. 

En novembre 2023, le ministre bulgare des Finances, Assen Vassilev, annonçait le projet d’un corridor Sud-Nord, passant par la Bulgarie et reliant le port grec de Thessalonique sur la mer Méditerranée au port roumain de Constanta sur la côte de la mer Noire. D’après Vassilev, ce projet comprendrait la construction d’autoroutes, de chemins de fer et d’un oléoduc. Avec le découplage progressif de l’Europe et de la Russie, les pays de la région cherchent à créer un axe de communication horizontal à la frontière Est de l’Europe.

Expansion et implication géoéconomiques du corridor Alexandroupoli-Constanța

Ce corridor, essentiel pour le commerce régional, est soutenu par un budget de 6 milliards d’euros par les trois pays en question. Sa finalisation est prévue d’ici cinq ans. Cette initiative démontre la volonté des nations de l’Europe de l’Est et du Sud-Est de diversifier leurs sources d’approvisionnement et leurs routes commerciales, réduisant la dépendance envers des acteurs externes. Cela permet d’éviter la Turquie en contournant la Thrace orientale ainsi que les détroits turcs du Bosphore et des Dardanelles.

Le projet, représente une étape cruciale dans la création d’un espace économique interconnecté. Il permettra de stimuler le développement économique en facilitant le transport des marchandises, en réduisant les coûts logistiques et en permettant l’ouverture de nouvelles voies commerciales. Cette initiative s’inscrit parfaitement dans la dynamique actuelle d’accession à l’espace Schengen pour la Roumanie et la Bulgarie

L’Initiative des Trois Mers et l’Europe du Sud-Est

Au-delà de son impact régional, le projet du corridor Alexandroupoli-Constanța s’insère dans le cadre plus large de l’Initiative des Trois Mers (ITM). Lancée en 2016, elle vise à renforcer la connectivité entre la Mer Baltique, la Mer Noire et la Mer Méditerranée. Elle est notamment portée par la Pologne qui renoue avec le concept d’Intermarium, cherchant à contrer l’expansionnisme russe dans la région et à réaffirmer ses ambitions géopolitiques. Ce recentrage géopolitique vers l’Est de l’Europe, soutenu par les États-Unis et accentué depuis la guerre en Ukraine, marque une étape significative dans le renforcement des pays d’Europe de l’Est et du Sud-Est. Il symbolise leur aspiration à s’intégrer davantage dans les circuits commerciaux et économiques européens, à poursuivre leur rattrapage économique sur l’Europe occidentale et à s’affranchir des héritages soviétiques et de leurs dépendances associées. 

Par ailleurs, le ministre bulgare a évoqué la possibilité d’étendre le corridor jusqu’en Moldavie et en Ukraine. Cette extension permettrait, entre autres, de faciliter les exportations ukrainiennes, bloquées en Mer Noire par la guerre avec la Russie. Dans le même temps, des progrès sont observable avec l’annonce conjointe de la finalisation de l’autoroute bulgare Struma, reliant la capitale Sofia à la ville de Struma à la frontière grecque. Ces développements marquent l’avancement des projets de l’ITM avec notamment l’ambitieux projet d’axe Nord-Sud Via Carpatia destiné à relier la Lituanie à la Grèce. 

Une stratégie géopolitique atlantiste ?

Dans le contexte actuel, marqué par des tensions géopolitiques accrues, l’Initiative des Trois Mers prend une dimension stratégique particulière, se positionnant comme une priorité de la diplomatie américaine. La Pologne continue d’émerger en tant que partenaire privilégié des États-Unis, contrastant avec la perception de certains pays d’Europe occidentale. L’exemple de l’Allemagne, qui s’est rendue dépendante de la Russie sur le plan énergétique, en est une illustration. Dans ce paysage en mutation, des nations telles que la Roumanie se rapprochent également des États-Unis. 

Les craintes sécuritaires, exacerbées par la guerre en Ukraine, conjuguées à un besoin accru de garanties de sécurité participent à la tentation de la Roumanie d’acheter du matériel militaire américain. Ce rapprochement est aussi visible avec la Grèce, qui envisage d’accueillir une nouvelle base américaine sur l’île de Skyros en 2024.  La crise ukrainienne a rehaussé le statut de la Grèce en tant qu’alternative énergétique à la Russie et comme hub stratégique majeur

Dans le cadre du corridor Alexandroupoli-Constanța, on s’aperçoit que le port d’Alexandroupolis est devenu un hub gazier pour le gaz natuel liquéfie (GNL) américain, mais également un « hub militaire » américain. Cette position offre un avantage économique et stratégique notable face à la Russie. Le projet devrait même passer à proximité de bases où est déployée une présence américaine. On peut notamment citer la base aérienne bulgare « Bezmer » à Yambol et la base aérienne roumaine « Mihail Kogalniceanu », près de Constanta. Dans un contexte de conflit, cet axe faciliterait donc le déploiement rapide des forces, le transport de matériel militaire et la coordination entre ces bases stratégiques, renforçant ainsi la capacité de réponse rapide dans la région. Enfin, on peut ajouter que la position ambiguë de la Hongrie et une possible hostilité de la Serbie envers l’Europe et l’alliance atlantique pourraient isoler les Balkans, bloquant l’accès à la région. Le corridor devient ainsi stratégique, menant vers le gap de Bessarabie en Roumanie, une zone clé pour la connectivité régionale. Il pourrait donc servir de voie alternative cruciale pour la sécurité et le soutien logistique dans une région où l’équilibre des pouvoirs est instable.

Au-delà des intérêts économiques, le corridor Alexandroupoli-Constanța serait donc un élément clé dans la stratégie de défense atlantiste, offrant un accès rapide pour les forces militaires. 

 

Jules Basset

 

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