Les manifestations au Kenya, symptômes d’une impossible réforme

Depuis plusieurs semaines, le Kenya est agité par des manifestations d’ampleur. Initialement menées pour s’opposer à des réformes fiscales impopulaires, elles ont débouché sur une protestation plus large contre la cherté de la vie et la corruption des élites. La brutale répression policière, ayant entraîné 40 morts, 400 blessés et de nombreuses arrestations a attisé les tensions, conduisant les manifestants à réclamer le départ du président William Ruto. Souhaitant conserver la main, ce dernier a limogé son gouvernement et nommé au cabinet des figures de l’opposition. Le Kenya s’enfonce dans une crise politique qui ne fait qu’aggraver la crise sociale et financière qui traverse le pays. Victime de ses contradictions, le Kenya est déchiré entre les pressions extérieures et ses problèmes internes.

Les manifestations : le symptôme d’un pays en pleine crise sociale et économique

Une situation politique et économique instable

Le président William Ruto a été élu en 2022 après avoir été le vice-président d’Uhuru Kenyatta de 2013 à 2022, dans une alliance de circonstances. Celle-ci s’était d’ailleurs mal terminée. En effet, le président sortant, limité à deux mandats, avait conclu une alliance et soutenu la candidature de Raila Odinga, multiple candidat à l’élection présidentielle et double opposant d’Uhuru Kenyatta en 2013 et en 2017. Ce dernier avait d’ailleurs créé une crise politique en 2018 en se déclarant « président du peuple », en refusant de reconnaître les résultats de l’élection, avant de signer une réconciliation avec Uhuru Kenyatta. La réélection de Mwai Kibaki en 2007, également face à Raila Odinga, avait également été très contestée. Marquée par d’importantes violences, elle avait valu à Uhuru Kenyatta et à Willam Ruto des accusations de la Cour pénale internationale.

Depuis le début de son mandat, William Ruto poursuit une politique de développement économique et social. Il favorise le développement des entreprises locales, l’implantation des entreprises étrangères et cherche à attirer des investissements internationaux. Pour cela, il mène une politique étrangère ambitieuse, multipliant les visites diplomatiques et cherchant à resserrer les liens avec plusieurs pays : les Etats-Unis, la Chine, l’Italie ou la France au premier plan. Il se présente parfois comme le porte-parole de l’Afrique indépendante, dénonçant « l’autoroute à deux voix » d’un système économique mondial décrit comme injuste, ou se faisant le champion de la transition énergétique.  Signe de ses ambitions de peser sur la scène internationale, c’est sous son impulsion que le Kenya a obtenu la tête de la mission internationale de maintien de la paix en Haïti et doit y envoyer un millier de policiers.

William Ruto a hérité de son prédécesseur des finances publiques très mal en point. Entre 2013 et 2023, le taux de croissance moyen du Kenya a été de 4,52 %, bien en dessous des 10 % envisagés dans le programme Vision 2030 du président Mwai Kibaki (2002-2013). La conjoncture économique, avec une inflation galopante, plombe ses efforts (5,1 % en mai 2024). Le prix des transports a ainsi gagné 13,1 % en un an et les denrées alimentaires 7,5 %. Le taux de chômage, notamment des jeunes, est estimé à 35 % de l’économie formelle. Surtout, sous la présidence d’Uhuru Kenyatta, la dette publique, majoritairement détenue par la Chine, s’est envolée : en 2013 elle était déjà estimée à 18,470 milliards d’euros, soit près de 40 % du PIB. Aujourd’hui elle est d’environ 71 milliards d’euros (10 000 milliards de shillings kényans), ce qui représente 70 % du PIB. Une situation intenable par rapport aux objectifs affichés du président Ruto et surtout par rapport aux exigences du FMI. Ce dernier met la pression sur les économies africaines, comme au Nigeria, et William Ruto a dû négocier la mise en place de réformes drastiques contre la mise en place d’un programme de prêts de 3,6 milliards de dollars. Tout un symbole, alors que le président appelait à la réforme de cette institution. Cette dernière est d’ailleurs prise pour cible par les manifestants et dénoncée dans les slogans.

C’est dans ce cadre que le gouvernement a élaboré un projet de loi de finance 2024 visant à rembourser la dette en augmentant sensiblement les impôts et en créant de nouvelles taxes. Ces mesures ont mis le feu aux poudres. En effet, les nouveautés élargissaient l’assiette fiscale et visaient directement des produits de première nécessité, aggravant la situation économique d’une majorité de la population déjà très précaire. Les mesures sont particulièrement critiquées alors que William Ruto avait fait du pouvoir d’achat sa mesure phare de campagne, dans le cadre de son plan Bottom Up Economic Transformation Plan 2022-2027.

L’échec d’un modèle de réforme ?

La situation économique, sanctionnée par les manifestations et les tensions sociales, signe l’échec d’un modèle de réformes économiques. Les gouvernements précédents, comme dans d’autres pays africains au modèle similaire, avaient mis la main au portefeuille, en recourant massivement aux emprunts internationaux, pour s’assurer de la paix sociale, sans toutefois contribuer suffisamment au développement de la population. Les tentatives de réforme de William Ruto ont échoué à réformer ce cercle vicieux : déjà avant les manifestations de juin 2024, certaines de ses mesures étaient remises en question.

Mesure phare de son programme, le Hulster fond (littéralement le fonds des débrouillards) est un fonds pour l’inclusion financière visant à accorder de petits crédits sans conditions drastiques, pour développer l’économie « par le bas » et favoriser les petits entrepreneurs. Les sommes empruntables sont peu élevées, mais le taux d’intérêt est de 8 % et le crédit doit être remboursé sous quinze jours. Un système assez peu efficace selon certains, le délai de remboursement et le plafonnement des sommes ne permettant pas de monter une affaire rentable et entraînant plutôt un cercle vicieux de micro-endettement permanent. Popularisée notamment par l’économiste bangladais Muhammad Yunus, couronné du prix Nobel de la Paix en 2006, la microfinance a été vue par certains pays du sud comme un moyen de développer leur population. C’est tout l’inverse qui s’est produit, ce système a plutôt contribué à accroître l’endettement.

De même, les problèmes de fond de l’organisation politico-économique rendent vaines toute tentatives de réforme. Le président Ruto avait ainsi demandé le 26 mars aux présidents et directeurs généraux des entreprises publiques de réduire leur budget de fonctionnement d’environ un tiers à partir de juillet. Les économies visées concernaient des dépenses non nécessaires, tel que le paiement d’adhésion à des clubs pour les dirigeants, les réparations ou le recrutement de nouveaux employés. Les entreprises en question ont réussi à convaincre le Comité de sélection du budget et des crédits du Parlement d’exempter de cette réforme pas moins de seize départements d’États. Au total ce seront 6,73 milliards de shillings qui ne seront pas économisés. Un camouflet pour la politique d’austérité, symbolisée par le chef de cabinet de la présidence et chef de la fonction publique, Felix Koskei. De même, les gouvernements de comtés, avec les gouverneurs et les sénateurs, ont refusé de renoncer à un centime des 400,1 milliards de shillings dédiés dans le budget aux collectivités décentralisées.

Le président Ruto lui-même ne se montre pas le plus vertueux. A titre d’exemple, le journal Nation a estimé que la présidence, composée de la State House et du bureau exécutif du président, dépense à elle seule 21 % du budget des dépenses de luxe du gouvernement.

Une critique généralisée de la corruption et du style de vie des élus

Au-delà du faible niveau de vie au Kenya, la corruption ambiante et les très fortes inégalités entre la population et la classe dirigeante ont attisé la colère des manifestants. Uhuru Kenyatta est un exemple de ces dynasties qui trustent le pouvoir, étant le fils du premier président du pays, Jomo Kenyatta, tout comme Raila Odinga est le fils du vice-président puis opposant de Jomo Kenyatta, Jaramogi Oginga Odinga. Beaucoup sont accusés d’utiliser leur position pour accroître leur fortune : tant William Ruto que Daniel arap Moi (président de 1978 à 2002, on estime qu’il aurait détourné près d’un milliard de dollars) ont été poursuivis pour s’être accaparé des fermes en expropriant leurs propriétaires. Autre exemple symbolique, les très fréquents déplacements à l’étranger de William Ruto suscitent les critiques. Leur nombre (une cinquantaine depuis 2022, soit plus de trois par mois) et leur coût (1,3 milliard de shillings kenyans pour les voyages nationaux et à l’étranger) lui ayant valu le surnom, de la part du journal The Standard de « président volant ». Il est notable de souligner que Bola Tinubu, président du Nigeria, fait face aux mêmes critiques, étant baptisé « touriste en chef » par le leader de l’opposition.

Symbole du style de vie luxueux des élites, Kipchumba Murkomen, ancien ministre des transports et des routes, limogé avec l’intégralité du gouvernement puis nommé ministre de la jeunesse et des sports, s’est ainsi excusé publiquement pour ses prises de position et son mode de vie.

Les manifestations : un tournant social et politique

La présentation du projet de loi de finances a ainsi entraîné d’importantes manifestations, vite émaillées de violences et brutalement réprimées par la police kényane. Elles se singularisent par leur ampleur, rassemblant, sans estimations précises, des milliers de manifestants et touchant la capitale et au moins la moitié des États du pays.
La principale phase de manifestations se déroule autour du processus de vote du projet de loi. Le projet est tout d’abord amendé, face à l’ampleur de la contestation, mais tout de même voté le 20 juin. Les manifestations se poursuivent jusqu’au 25 juin, jour d’adoption de la loi, où les manifestants prennent d’assaut le parlement. William Ruto cède alors, retire le projet de loi et limoge son gouvernement.

Les manifestations se caractérisent par l’âge des participants. Agés d’une vingtaine d’années en moyenne, le mouvement prend le nom de « GenZ ». Il se présente également comme inter-ethnique, rompant avec le jeu politique installé de longue date au Kenya, qui voit d’ordinaire une plus grande cohérence des ethnies, des États et des régions. Les manifestations se singularisent également par une utilisation très importante des réseaux sociaux. La contestation est née sur Tiktok avec le #RejectFinanceBill2024, et s’est développée sur Facebook, Instagram, Whatsapp et X. Les manifestants utilisent massivement ces outils, générant des messages grâce à ChatGpt, ou faisant circuler les numéros des députés et des ministres pour les harceler afin de voter contre la loi. Ces outils servent également dans les manifestations, pour communiquer sur les violences policières, en filmant et photographiant les policiers responsables pour les dénoncer.

Un certain nombre de politiques sont également accusés de manœuvrer en infiltrant des participants violents au sein des manifestations pour les décrédibiliser. Le vice-président Rigathi Gachagua est particulièrement visé. Le directeur des services de renseignement Noordin Haji l’a accusé frontalement de payer des casseurs pour ternir l’image de William Ruto. De son côté, le vice-président lui a reproché de ne pas avoir anticipé la colère populaire. Deux députés, James Gakuya et Benjamin Gathiru, fidèles du vice-président, ont d’ailleurs été interrogés sur leur rôle durant la prise du Parlement par le Directorate of Criminal Investigations.

La réaction de William Ruto et sa reprise en main de l’initiative politique

Même si les manifestants appelaient explicitement à sa démission, William Ruto a préféré limoger son gouvernement et tenter un coup politique pour conserver l’initiative. Il a ainsi annoncé le 26 juillet nommer à des postes clefs des figures du principal parti d’opposition, l’ODM de Raila Odinga. Cette alliance, qui ne dit pas son nom, lui permet de reprendre politiquement la main et appliquant les vieilles recettes de la politique kényanes.

Une alliance avec l’ODM de Raila Odinga ?

L’ODM est le principal parti de la coalition Amizio qui avait porté la candidature de Raila Odinga, en 2022 face à la coalition Kenya Kwanza de William Ruto. En nommer des membres à son gouvernement permet au président de fissurer la coalition de ses opposants et d’amorcer un rapprochement. Si dans un premier temps, Raila Odinga affirme n’avoir conclu aucun accord, il a par la suite reconnu avoir une sorte d’entente de compromis avec William Ruto. Il se justifie en affirmant que l’ODM demeure toujours dans l’opposition mais qu’il était nécessaire que les quatre nouveaux ministres participent au gouvernement pour aider à réformer le pays et maintenir la stabilité politique. C’était, selon lui, le seul moyen d’éviter un recours à l’armée et une dictature militaire.

Dans le même temps, signe que les alliances évoluent, les relations entre William Ruto et son vice-président Rigathi Gachagua ne sont pas au beau fixe. Leurs dissensions sont à lire derrière les manœuvres politiques émaillées de violence entourant l’éviction du poste de secrétaire général de l’UDA. Cleophas Malala, qui occupait ce poste stratégique au sein du parti présidentiel, est un proche du vice-président. Des députés du mont Kenya ont même déposé une motion de destitution visant Rigathi Gachagua, finalement rejetée par William Ruto. Pour certains analystes, le président préfère éviter une nouvelle crise et entend bien ne pas consolider le capital politique de son rival en vue des nouvelles échéances électorales. Trahissant ses promesses de campagne, il commettrait la même erreur qu’Uhuru Kenyatta à son égard. De plus, avec les hommes de Raila Odinga au gouvernement, ses options pour contourner les alliés de Rigathi Gachagua au sein de la majorité sont plus nombreuses.

Le recours aux vieilles habitudes politiques locales

Ces retournements d’alliances sont monnaie courante au Kenya, recoupant des questions ethniques et régionales. William Ruto en avait lui-même fait les frais en 2022. William Ruto, Kalenjin de la vallée du Rift, Raila Odinga d’origine Luo et Uhuru Kenyatta, Kikuyu du mont Kenya, représentent trois des quatre principaux groupes ethniques du Kenya. Leur histoire personnelle est émaillée d’alliances de circonstances puis d’oppositions. William Ruto pratique donc exactement ce qu’il avait dénoncé en 2022, faisant face à l’alliance Odinga/Kenyatta, déclarant vouloir mettre fin à ces manœuvres antidémocratiques pour conserver le pouvoir. L’ODM n’est pas en reste. Parti d’opposition, il n’a pas du tout été impliqué dans l’explosion de la contestation sociale, bien qu’il en ait épousé les revendications. Son alliance avec William Ruto illustre toutefois que Raila Odinga et son parti préfèrent se maintenir au pouvoir que réformer.

Dans le même temps, William Ruto se rapproche de ses soutiens non-politiques, en rencontrant les chefs religieux et traditionnels du pays. Il a ainsi obtenu le soutien des chefs traditionnels Pokot, Kalenjins comme lui et des anciens du clan Talais, extrêmement influents sur l’ensemble du pays. Leur action avait été déterminante pour apaiser la vague de violence qui avait enflammé le Kenya après l’élection de 2007. Des initiatives qui tranchent avec le positionnement inter-ethnique de GenZ mais qui portent des fruits. William Ruto en est un fin connaisseur. Il avait créé la surprise en 2022 en devenant le premier candidat à remporter la majorité des suffrages dans la déterminante région du mont Kenya, fief Kikuyu. Il s’opposait pourtant à Uhuru Kenyatta, enfant du pays. Mais, comme l’explique Kung’u Muigai, chef du conseil des anciens, la communauté s’estime liée par un serment prêté en 1969. À la suite des violences ayant suivi l’exclusion de son parti par Jomo Kenyatta du vice-président Jaramogi Oginga Odinga, le clan avait juré ne jamais s’allier aux Oginga pour la conquête du pouvoir. Un interdit transgressé en 2022 par Uhuru Kenyatta ; les choses pourraient d’ailleurs changer pour Willam Ruto en 2027.

Affaiblissement de l’ODM

Le coup politique de William Ruto apparaît comme habile. Il nomme à des postes sensibles de son administration des leaders de l’opposition. Les portefeuilles confiés sont ceux de l’Énergie, des Finances, des Coopératives et des TPE/PME/ETI et celui des Mines. Ce sont ceux en charge des dossiers chauds, exposés de plein fouet aux critiques. Selon certains analystes politiques, ce seront maintenant, aux yeux de l’opinion, des membres de l’ODM responsables de la hausse du prix des carburants, de la mauvaise qualité du réseau électrique, pollué par les pannes et les raccordements illégaux ou bien du fonds Hulster. Le tout alors que l’ODM épousait le point de vue des manifestants.

L’ODM apparaît divisé par ces manœuvres. Si la voix de Raila Odinga prévaut encore, certaines critiques apparaissent. Le gouverneur de Siaya, James Orengo, a ainsi rappelé la nécessité d’un engagement structurel avec le gouvernement plutôt que d’un engagement bancal. Surtout que les quatre nouveaux ministres occupaient jusqu’alors des postes clefs au sein de l’ODM et de la coalition Amizio, et les candidats à leur succession sont à couteaux tirés.

En effet, Opiyo Wandayi, maintenant ministre de l’Énergie et du Pétrole, n’était rien de moins que le chef de la minorité au Parlement et secrétaire aux affaires politiques de l’ODM. John Mbadi, désormais ministre du Trésor national et de la Planification économique, était chaiperson de l’ODM au Parlement tandis que l’ancien gouverneur de Kakamega, Wycliffe Oparanya, maintenant ministre des Coopératives et des TPE/PME/ETI et Hassan Joho, ministre des Mines et de l’Économie bleue, étaient tous deux vice-présidents (Deputy leaders in the Party) du parti de Raila Odinga.

Affaiblissement de la coalition Amizio

La politique de Willam Ruto pour saper la coalition Amizio a vite porté ses fruits. Les dirigeants de plusieurs partis de cette dernière, Kalonzo Musyoka (Wiper), Eugene Wamalwa (DAP-K), Peter Munya (PNU) et le professeur George Wajackoyah (Roots), aux côtés du secrétaire du Jubilé du Parti Jérimiah Kioni, ont annoncés qu’ils ne rejoindront pas le gouvernement kényan Kwanza (l’alliance qui soutient William Ruto). La dirigeant de NARC Kenya, Martha Karua, colistière de Raila Odinga en 2022, a déjà émis une notification de sortie d’Amizio.

De son côté, l’ODM n’entend pas abandonner la présidence de la coalition, malgré les virulentes critiques de ses alliés, au nombre desquels on retrouve principalement le Parti du Jubilé d’Uhuru Kenyatta, la National Alliance of Rainbow Coalition et vingt autres partis. Le parti affirme donc, comme l’a fait à la télévision publique son secrétaire général, Edwin Sifuna, que ses membres ayant rejoint le gouvernement l’ont fait à titre privé.

Reprise en main de William Ruto

La politique de William Ruto pour reprendre la main s’avère efficace. Après avoir nommé son gouvernement, il est vite reparti en tournée dans les régions qui lui sont favorables. Il a toutefois élargi son cercle, se rendant notamment sur la côte, bastion traditionnel de Raila Odinga. Il a notamment visité les fiefs d’Hassa Joho, ancien gouverneur de Monbassa et de Salim Mvurya, l’ancien gouverneur de Kwale, tout juste nommés ministres. Le complexe portuaire de Mombassa est d’ailleurs l’un des symboles des volontés de développement économique de William Ruto. Ces visites rappellent ses voyages dans les fiefs de ses nouveaux ministres, après son élection de 2022. Déclarant bâtir un gouvernement d’union nationale, il multiplie les appels au cours de sa tournée des régions, promettant des postes à ceux qui le rejoindraient, sapant la cohérence de l’opposition.  Autre habitude pour solidifier son capital politique, sa tournée est émaillée d’annonces de plan de financement pour s’attacher les populations.

Signe de sa détermination à conserver l’initiative politique, il a maintenu au même poste le ministre de l’Intérieur, Kithure Kindiki, pourtant violemment critiqué pour sa gestion violente des manifestations. Parmi son nouveau gouvernement, six ministres restent, changeant simplement de portefeuille.

Les manifestants se sont opposés farouchement aux figures du nouveau gouvernement, puisque 1368 mémorandums ont été déposés. La constitution kényane permet à toute personne de s’opposer, par écrit et sous serment, en présentant des preuves, à une désignation à une fonction publique. Sans résultat, puisque, même sous pression, la Chambre a bien vite approuvé l’ensemble du gouvernement, même si elle a toutefois examiné les patrimoines des ministres et fait le bilan politique de leurs actions. Leur patrimoine cumulé est estimé cependant à plus 15 milliards de shillings (environ 120 millions de dollars) sans justification suffisante. Les appels des USA à la plus grande des transparences sont restés vains et ces derniers se sont montrés récemment plus fermes.

Mi-juillet, William Ruto a déclaré voir l’influence de traitres ou de puissances étrangères derrière les manifestants. Il a annoncé être déterminé à châtier les responsables, ciblant peut-être indirectement son vice-président. Le président a martelé que les manifestions et le temps des violences étaient terminés. Si certains manifestants se sont contentés de la présence de membres de l’ODM au gouvernement, beaucoup ne sont pas calmés.

William Ruto a beau en apparence avoir repris la main politiquement, la situation économique et sociale demeure toujours aussi explosive. Ses efforts de réforme semblent coincés. Il se retrouve dans l’obligation d’assainir ses finances publiques, problème rendu insoluble par l’impossibilité d’augmenter les impôts ou de réformer le système kényan dans son entier. Le Nigeria, agité récemment par des manifestations causées par les mêmes effets, apparaît également comme un symptôme de cette Afrique prise entre l’étau des exigences internationales et de ses problèmes internes.

Hubert Le Gall

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