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L’uranium convoité au Niger : entre jeux d’influence et rivalités de puissances 

Au mois de mai 2024, les médias ont rendu public un projet portant sur l’acquisition par l’Iran de près de 300 tonnes de « yellow cake » nigérien, du concentré d’uranium servant de combustible aux centrales électriques ainsi qu’à la fabrication d’armes nucléaires. La divulgation de cet accord, conclu clandestinement entre la République islamique et la junte au pouvoir, a fortement ravivé les préoccupations des États-Unis et des chancelleries occidentales. Au-delà des inquiétudes sur l’avancement du programme nucléaire iranien, cette « affaire » met surtout en lumière la convoitise que suscite l’uranium du Niger auprès de nombreuses puissances étrangères. Qui sont-elles ? Où sont-elles présentes et dans quel but ?

La France, un acteur historique

Les premières mines d’uranium du Niger ont commencé à être exploitées par une société française, l’ancêtre d’Orano (ex-Areva), en 1971 à Arlit, au nord du pays. Orano est historiquement présente sur la mine à ciel ouvert de l’Aïr, exploitée par la Société des mines de l’Aïr (Somair), dont le groupe français détient 63,4% des parts de capital et la SOPAMIN (Niger) 36,66%. Orano œuvre actuellement à sa prolongation au-delà de 2035. La mine souterraine d’Akouta exploitée par la Compagnie minière d’Akouta (COMINAK) et détenue à 59% par Orano, 31% par la SOPAMIN et 10% par la société espagnole Enusa a mis fin à ses activités en mars 2021. Après 47 ans d’exploitation, celle-ci était arrivée à épuisement de ses ressources. 

En 2009, Orano a obtenu un permis d’exploitation du gisement d’Imouraren, situé à 80 km au sud d’Arlit. Selon les études de faisabilité, c’est l’un des sites contenant les réserves mondiales les plus importantes. La société d’exploitation, Imouraren S.A, est détenue à hauteur de 63,52% par Orano, 33,35% par la SOMAPIN et 3% par la KHNP. Ce projet est toutefois en suspens depuis 2015. Si le gisement d’Imouraren est un jour exploité, en utilisant une technologie innovante, appelée extraction par aspiration (In situ recovery), celui-ci pourrait produire plus de 174.000 tonnes d’uranium, sur une capacité annuelle de 5.000 tonnes, pendant 43 ans. Selon Matthieu Davrinche, directeur de Imouraren S.A, des essais pilotes pourraient démarrer au cours de l’année 2024, dans la perspective de décider, d’ici les quatre prochaines années, d’exploiter ou non ce gisement mobilisant près de 85 millions d’euros d’investissement de la part du groupe français. 

Pendant plusieurs décennies, la France est restée la seule puissance étrangère à exploiter des mines d’uranium au Niger. A partir du milieu des années 2000, la situation évolue et de nouveaux acteurs apparaissent dans ce secteur de plus en plus stratégique sur le plan international : Chine, Canada et indirectement Etats-Unis et l’Iran aujourd’hui. 

 

De nouveaux concurrents

La Chine fait son apparition dans ce secteur économique, au Niger, à partir de 2007, lorsqu’est créée la Société des mines d’Azelik (Somina), majoritairement détenue par la China national Uranium Corporation (CNUC). La mine d’Azelik fut en activité entre 2011 et 2014, année où la Chine décida de suspendre l’extraction en raison de la baisse importante des cours mondiaux du yellow cake. Depuis, ils ont été multipliés par 5, avoisinant aujourd’hui les 100 dollars la livre d’uranium. Ce renchérissement a conduit en juin 2023 à la signature d’un protocole d’accord entre la CNUC et l’Etat du Niger, pour relancer la SOMINA.

Le Canada, un des plus importants producteurs d’uranium au monde, convoite lui aussi cette ressource stratégique du Niger, via deux compagnies minières : Global Atomic Corporation (GAC) et GoviEx. En décembre 2020, la première obtint un permis d’exploitation des gisements du projet DASA, pour une durée initiale de 10 ans. Les activités de cette mine ont commencé en 2022. En septembre de cette même année, GoviEx annonçait pouvoir démarrer l’exploitation de la mine de Madaouela à l’horizon 2025. Selon les résultats d’études de faisabilité rendus publics par le groupe, celui-ci prévoit une production d’uranium de près de 20 millions de tonnes pendant 19 ans. Jusqu’à présent, le groupe a investi un peu moins de 343 millions de dollars dans ce projet. 

GAC a découvert les premiers gisements du projet DASA entre 2007 et 2010. Trois autres sites potentiels feront l’objet d’études de faisabilité ultérieures. Selon les informations communiquées sur son site internet, la compagnie canadienne estime que la production d’uranium sur DASA devrait atteindre plus de 68 millions de tonnes pendant les 23 ans d’activités espérées. La société canadienne prévoit de mettre en service l’usine de traitement au premier trimestre 2026. GAC détiendrait environ 90% des parts de la Société Minière de Dasa S.A, le reste appartenant à l’Etat du Niger. Depuis 2007, plus de 50 millions de dollars US ont été investis dans ce projet. 

A la faveur de la hausse des cours mondiaux d’uranium, les nouvelles autorités nigériennes comptent utiliser de manière plus importante cette richesse nationale afin de capter des devises étrangères. Elles pourraient être tentées de le vendre au plus offrant, dont l’Iran. Bien que Niamey et Téhéran démentent tout pourparlers en ce sens, en février 2024, Mahdi Safari, vice-ministre iranien des affaires étrangères, s’était rendu dans la capitale nigérienne et avait notamment évoqué la volonté de son pays d’acquérir une partie de ce minerai. Officiellement, le Niger aurait refusé un tel accord au motif qu’il ne disposait pas de stock disponible. Deux mois plus tard, le régime putschiste menaçait de suspendre d’ici juillet 2024, les permis d’exploitation des gisements d’Imouraren et de Madaouela, exploitées respectivement par Orano et GoviEx. Dans l’hypothèse où cet ultimatum serait mis à exécution, ces permis pourraient être attribués à d’autres acteurs…

La compétition autour de l’uranium inquiète les Etats-Unis

Si les Etats-Unis et probablement le Canada, sont particulièrement inquiets de l’arrivée de l’Iran comme potentiel client du « yellow cake » nigérien, des interrogations apparaissent sur les motifs de celles-ci. Le programme nucléaire de la République islamique n’est peut-être pas la seule et unique raison. En effet, le projet DASA est en parti financé par les agences de Credit-export du Canada et des Etats-Unis et la Banque de Développement des Etats-Unis. Washington soutiendrait également ce projet. Au moins deux services publics nord-américain ont manifesté leur volonté d’acquérir une partie de l’uranium extrait à DASA. Par ailleurs, un opérateur d’énergie nucléaire européen se serait également porté candidat selon le site internet de GAC. Face aux enjeux géostratégiques que représentent l’approvisionnement en « yellow cake », les Etats-Unis regardent de près l’évolution de la situation politico-économique au Niger. En mars dernier, la Chambre des représentants américaine a adopté l’Atomic Energy Advancement Act, censé accélérer le développement sur le sol américain des réacteurs nucléaires de nouvelle génération. Or, pour les alimenter, les Etats-Unis auront besoin d’accroître leur stock d’uranium.

Les exigences de décarbonation des économies mondiales s’accompagnent d’une demande croissante d’énergie. Par conséquent, les besoins planétaires en uranium enrichi ne pourront qu’augmenter, qu’il s’agisse de programmes civils ou militaires. Les enjeux liés à son extraction, à sa production et à sa commercialisation accompagneront cette évolution, dont les conséquences sur la guerre économique pour ce minerai stratégique ne font que commencer…

 

Julie Saché et Benjamin Liets

 

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