Taïwan : la bataille électorale terminée, la guerre cognitive continue

A l’issue des élections du 13 janvier, les électeurs taïwanais ont choisi de maintenir le PDD au pouvoir, et de porter William Lai à la présidence de la République. Qualifié d’indépendantiste par les uns et de souverainiste par les autres, il est au cœur de la guerre cognitive qui fait rage autour de Taïwan, et qui oppose plusieurs camps qui tentent d’imposer leur vision du monde à travers leurs mots. 

Des élections sous tensions, très observées

Le 13 janvier 2024, à l’issue d’un scrutin sous haute tension, le Parti démocrate progressiste (DPP) a remporté pour la 3e fois les élections générales, une première pour un parti taïwanais, avec plus de 40% des suffrages exprimés. Ainsi, c’est l’actuel vice-président William Lai (ou Lai Ching-te), qui vient d’être élu. La pression émanant du continent n’aura donc pas suffi à ramener l’île dans le giron de la Chine, et à faire élire le candidat du Kuomintang, historiquement proche de Pékin.

Toutefois, il est difficile de considérer cette élection comme une victoire totale pour le DPP. En effet, aucune majorité ne se dégage des élections législatives qui ont eu lieu en même temps, le DPP ayant même perdu 10 sièges. La campagne a été marquée par la forte pression exercée par Pékin, qui s’est notamment exprimée par l’intermédiaire de satellites espions ou de déclarations d’officiels chinois mettant en garde contre les velléités indépendantistes de l’île. 

Le narratif d’une victoire indépendantiste

Maintenant que la partie électorale des élections est jouée, il faut décider des mots à employer pour la raconter. Par l’intermédiaire de son agence de presse historique Xinhua, Pékin n’hésite pas à évoquer des « activités séparatistes » et des « ingérences étrangères », tout en rappelant que la « réunification est inévitable ». Du côté de William Lai, l’heure est aux remerciements faits à l’allié américain, à l’affirmation de la victoire de la démocratie sur l’autoritarisme. Le président nouvellement élu, qui prendra ses fonctions le 20 mai, promet même de « protéger Taïwan des menaces et intimidations continuelles de la Chine ».

Le narratif d’une victoire supposée « indépendantiste » est globalement repris. Pourtant, pour Antoine Bondaz, spécialiste de l’Asie-Pacifique, ce narratif ne sert en réalité que la Chine continentale, qui jugeait William Lai comme un grave danger. Selon le chercheur, cette manière binaire de penser la politique taïwanaise sans assez connaître les nuances locales ne contribue qu’à accroître les antagonismes ; ce que souhaite Pékin pour justifier son emploi de la coercition et potentiellement de la force.

Ce qualificatif indépendantiste sert Pékin, mais permet aussi de justifier la position américaine. Dans un contexte similaire à une « nouvelle guerre froide », qui écrase toute possibilité de troisième voie qu’essaie d’incarner la France, les États-Unis s’opposent de plus en plus violemment à la Chine et soutiennent Taïwan. Ainsi, si la guerre informationnelle a fait rage pendant la campagne, il semblerait que la Chine ait un train d’avance sur ce terrain. Malgré la victoire de son adversaire, son narratif est repris partout, contribuant à l’escalade des tensions.

Rémi Bessiere pour le Club Asie de l’AEGE

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