Célèbre pour son avion militaire Rafale, Dassault Aviation se distingue également dans le secteur de l’aviation d’affaires avec sa gamme Falcon. Alors que le marché des jets privés fait face à des défis économiques et environnementaux, l’entreprise française s’efforce de maintenir son leadership en s’adaptant aux nouvelles réalités du marché mondial. Et si le marché chinois semble se refermer, de nouvelles perspectives émergent en Asie-Pacifique, où le marché de l’aviation privée présente un potentiel de croissance significatif.
4 mai 1963, Mérignac : le premier Falcon, qui portait alors le nom de Mystère 20, s’envole pour la première fois de son histoire. Soixante ans plus tard, c’est son héritier, le Falcon 6X, qui est entré en service. Le lancement de ce dernier marque un tournant prometteur pour Dassault dans sa quête de revitaliser son secteur des avions d’affaires, dont les ventes se sont effondrées entre 2010 et 2020.
Un équilibre délicat entre aviation militaire et aviation d’affaires chez Dassault
Si Dassault est souvent associé au Rafale, on oublie trop souvent que l’entreprise possède un double visage assez unique : le militaire, bien-sûr, mais aussi l’aviation d’affaires qui est une face moins visible de l’entreprise. Dassault Aviation figure pourtant sur le podium mondial des constructeurs d’avions privés avec sa gamme Falcon.
La diversification des activités de l’avionneur offre un avantage majeur : pouvoir opérer des transferts de charges entre ses équipes, permettant ainsi une gestion efficace des ressources et une adaptation rapide aux besoins du marché. Au sein de Dassault, l’aviation militaire et l’aviation d’affaires ne sont finalement que les deux faces d’une même pièce. En période de difficultés financières dans l’une des branches, l’autre intervient comme un soutien vital, garantissant ainsi la stabilité globale de Dassault, dont la dépendance aux seules ventes de Rafale serait risquée.
À environ 50 millions de dollars par appareil, les jets d’affaires représentent, selon les années, 50% à 30% du chiffre d’affaires de Dassault Aviation. Sans cette activité, l’avionneur aurait eu du mal à subsister uniquement grâce aux commandes de Rafale de l’armée française il y a quelques années. De la même façon, le succès actuel des Rafales a permis de compenser les périodes de ralentissement dans le secteur de l’aviation d’affaires. En outre, Dassault Aviation a effectué des modifications substantielles sur de multiples modèles Falcon, afin de les adapter à l’évacuation sanitaire, le transport de fret, la surveillance maritime et la guerre électronique. Il est aujourd’hui utilisé dans la Marine nationale française.
Des pressions économiques et sociales à la hausse
En 2023, Dassault Aviation n’a livré que 26 Falcon, contre les 35 initialement prévus. De plus, 23 nouvelles commandes ont été enregistrées, en net recul par rapport aux 64 de l’année précédente. Outre les difficultés rencontrés dans la chaîne d’approvisionnement, le Falcon 6X n’est entré en service qu’à la fin de l’année, et ce malgré sa certification fin août. Face aux nouveaux modèles de son rival canadien Bombardier et américain Gulf Stream, Dassault mise désormais sur les innovations de son dernier-né pour défendre sa position sur le segment haut de gamme, et notamment sur la capacité de très long rayon d’action de ce nouveau jet d’affaires.
L’aviation d’affaires est un thermomètre de l’économie. La baisse des ventes de jets d’affaires ne fait que refléter les défis économiques actuels : l’inflation, la hausse des taux d’intérêts ou encore les répercussions économiques post-Covid. De plus, cette industrie est confrontée à des pressions croissantes liées aux préoccupations environnementales, notamment en Europe. En effet, l’aviation d’affaires se trouve aujourd’hui au centre des débats, devenant la cible de critiques et de réglementations plus strictes.
Lointaine est l’époque où ce secteur connaissait un essor fulgurant en Europe. En 2005, la France était pourtant devenue le plus grand vendeur d’avions privés au monde. À cette époque, l’avenir de l’aviation d’affaires était prometteur, avec l’Europe et l’Amérique du Nord comme principaux marchés.
À la conquête du ciel chinois : les années 2010 et le développement de l’aviation d’affaires sur le continent asiatique
Dans les années 2010, le marché chinois est devenu particulièrement attractif pour les entreprises de l’aviation d’affaires. Le pays connaît alors une croissance économique rapide malgré la crise financière de 2008, avec une augmentation significative du nombre de millionnaires et de milliardaires. Le marché chinois des jets privés pouvait profiter de l’ouverture progressive du ciel à ces avions, appelés à devenir un nouveau signe extérieur de richesse. Cette évolution a ouvert de nouvelles perspectives pour les fabricants, notamment Dassault, désireux de pénétrer un marché en pleine expansion.
Les changements progressifs dans la réglementation chinoise ont également joué un rôle important. En 2010, le Conseil d’État et la Commission militaire centrale ont introduit de nouvelles règles permettant d’élargir l’utilisation des jets privés dans le pays. Ces changements incluaient notamment l’augmentation de l’altitude à laquelle les jets privés pouvaient voler. En outre, l’implantation de filiales sur le territoire chinois était essentielle pour établir une présence à long terme dans le pays, ce que Dassault Falcon a reconnu en créant une filiale à Pékin. Cette présence locale permettait non seulement de mieux servir les clients chinois, mais également de renforcer les relations avec les autorités et les partenaires locaux, favorisant ainsi le développement commercial à long terme.
En 2011, le fleuron de l’industrie français effectuait plus de la moitié de ses ventes en Chine. À l’époque, la filiale aéro mondiale estimait même que la région regroupant la Chine, Taiwan, Hong Kong et Macao devait représenter 20% de ses livraisons mondiales dans cinq ans. Près de dix ans après, qu’en est-il vraiment ?
Les principaux obstacles rencontrés par Dassault Falcon
Malgré les signes encourageants de reprise après la pandémie, le marché de l’aviation d’affaires en Chine n’a pas répondu aux attentes de Dassault Aviation. Si la Chine prévoyait de doubler la taille de son secteur de l’aviation générale d’ici 2020, le ralentissement de la croissance économique, le contrôle des couloirs aériens par les autorités militaires et le manque d’infrastructures adaptées ont entravé le développement du secteur des jets privés. La campagne anti-corruption menée par le gouvernement chinois a également suscité une certaine prudence chez les acheteurs potentiels.
De plus, Dassault doit se préparer à une concurrence accrue à l’avenir alors que des entreprises aéronautiques chinoises telles qu’Avic et Comac entrent sur le marché. Actuellement, le secteur de l’aviation privée demeure largement dominé par des entreprises occidentales. L’analyse graphique qui suit met en évidence la concentration du marché entre les mains d’un nombre restreint de sociétés. En effet, les cinq principales entreprises contrôlent quasiment la totalité du marché asiatique, avec une part de marché atteignant 98,87%.
Les opportunités offertes par le marché asiatique
Face à ces défis, et notamment en réponse à la fermeture du marché chinois, Dassault Aviation se doit de diversifier ses efforts vers d’autres marchés de l’Asie-Pacifique, où la demande d’aviation d’affaires est en forte croissance. En Asie Pacifique, la taille du marché des avions d’affaires devrait passer de 1,67 milliard USD en 2023 à 4,14 milliards USD d’ici 2028. Cette demande est particulièrement élevée en Asie du Sud-Est où l’augmentation des investissements étrangers dans des pays comme Singapour, la Thaïlande, le Cambodge et la Malaisie s’accompagne d’une demande grandissante de charters privés. Conscient de cela, Dassault Aviation a acquis l’activité de maintenance, de réparation et de révision (MRO) d’ExecuJet à l’aéroport de Subang en 2019, dans le cadre d’une initiative visant à renforcer considérablement sa capacité de support après-vente en Asie du Sud-Est. À travers ses filiales et centres de services, Dassault Falcon est aujourd’hui présent dans de nombreuses villes, notamment à Singapour, Pékin, Shanghai, Taipei ou encore Hong Kong.
Cette stratégie s’inscrit également dans la possibilité pour Dassault Aviation de capitaliser sur ses liens avec les forces militaires de la région, où ses avions de chasse Rafale et Mirage 2000 sont déjà bien établis. L’entreprise peut ainsi envisager d’implanter ses avions Falcon militaires dans le cadre de coopérations bilatérales, offrant ainsi une voie pour accroître sa présence et son influence dans la région.
Cette expansion vers les marchés asiatiques offrirait à Dassault Aviation une chance de stimuler sa croissance et de diversifier ses activités. Une stratégie nécessaire devant les difficultés que rencontrent les ventes de sa gamme de jets Falcon, tandis que les critiques envers l’aviation privée sont de plus en plus marquées.
Kenza Lemkadmi pour le Club Asie-Pacifique de l’AEGE
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