Sanctions européennes contre la Russie : véritable entrave ou obstacle illusoire ?

Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les pays occidentaux ont imposé une série de sanctions à l’encontre de Moscou. Ces mesures visent à isoler diplomatiquement la Russie et à entraver sa capacité à poursuivre son offensive sur le territoire ukrainien. Cependant, deux ans après le début du conflit, une question se pose : les sanctions européennes sont-elles une véritable entrave ou un simple obstacle illusoire ? 

Au sein de l’Union européenne, des mesures répressives visant la Russie étaient déjà entrées en vigueur suite à l’annexion de la Crimée en 2014. Dès 2022, elles n’ont cessé d’être étendues pour soutenir l’effort de l’Ukraine face à la résilience de l’économie de guerre russe. Bien que les sanctions aient été importantes dès leur entrée en application, la Russie a déjoué les statistiques. Si sa croissance a subi une sensible contraction en 2022 du fait des premiers effets des mesures adoptées, l’adaptation de son système économique a permis au pays de poursuivre le financement de ses opérations et de maintenir sa croissance au-delà des 3% en 2023.  

L’adoption des sanctions : un arsenal protéiforme

Les sanctions couvrent de nombreux domaines et ont pour objectif  de tarir les ressources militaires russes. L’une des premières mesures adoptées a été le gel des activités des institutions financières russes à l’étranger. Par les règlements du 2 et 9 mars 2022, le Conseil de l’Union européenne a exclu plusieurs banques russes du principal système interbancaire utilisé à l’échelle mondiale, la Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication (SWIFT). Au premier rang des banques visées se trouvent notamment VTB, Bank Otrkitie, Novikombank, Promsvyazbank, Bank Rossiya, Sovcombank et VEB, en raison de leur proximité avec la puissance publique russe et donc de leur implication dans le financement de la guerre. Cette exclusion représente une difficulté majeure pour Moscou, le système SWIFT étant le plus utilisé à l’échelle mondiale. En effet, plus de 11 000 institutions financières y ont recours du fait de sa reconnaissance en matière d’efficacité et de sécurisation des transactions. D’autres sanctions ont ensuite entraîné le gel des actifs de la banque d’État russe ainsi que ceux détenus par les oligarques à l’étranger. Outre ces entraves de nature financière, les institutions de l’UE ont également promulgué plusieurs textes instaurant des restrictions aux échanges avec les entreprises russes. Au-delà de cet objectif visant à enrayer l’économie russe, les interdictions d’échange ont également été pensées pour empêcher Moscou d’acquérir des biens à double usage qui pourraient participer à la modernisation de ses équipements militaires, comme c’est le cas par exemple avec les semi-conducteurs. Sur les 7500 produits concernés par les sanctions, 50 produits sont ainsi surveillés en priorité du fait de leur double intérêt, civil comme militaire. Il s’agit notamment de puces, de cartes mémoires ou encore de lecteurs optiques. 

La stratégie de contournement russe

La Russie a établi plusieurs stratégies qui permettent de contourner les tentatives de répressions mises en place par l’Union Européenne (UE). D’abord, le Kremlin est parvenu à réorienter ses échanges commerciaux. Pour exporter ses hydrocarbures, Moscou a développé ses partenariats avec la Chine et l’Inde, devenus respectivement ses premier et deuxième clients importateurs. La Russie importe quant à elle de Chine les semi-conducteurs qu’elle ne peut plus se procurer auprès des pays européens. Le volume des échanges entre la Russie et la Chine a ainsi augmenté de 40% en 2023. D’autres États comme le Kazakhstan, l’Arménie, et le Kirghizistan ont également intensifié leurs échanges avec Moscou. Les exportations du Kazakhstan vers la Russie sont ainsi passées de 40 millions de dollars en 2021 à 298 millions en 2023. 

Les limites européennes : un manque d’uniformité

Dès le début du conflit russo-ukrainien, l’UE a elle-même été contrainte de reconfigurer ses circuits commerciaux pour compenser la perte des échanges avec la Russie. Pour le pétrole par exemple, certains  États se sont davantage tournés vers des pays comme l’Inde, qui revend une partie du pétrole russe qu’elle raffine elle-même. Les pays européens importent donc toujours l’hydrocarbure provenant de Moscou, bien qu’il ne soit plus directement acheté auprès de la Russie. Comme l’explique Céline Bayou, chercheuse associée au Centre de recherches Europes-Eurasie de l’Inalco (CREE), « Les intérêts économiques priment, les décideurs ne veulent pas déstabiliser nos sociétés. C’est pour cela que les Européens ferment les yeux sur la provenance du pétrole acheté en Inde. Parce qu’on a besoin de ce pétrole ». Finalement, bien que des États tiers interviennent désormais au sein des transactions, l’impact des sanctions visant les hydrocarbures reste limité pour la Russie. De la même façon, concernant le Kazakhstan, l’Arménie, ou encore le Kirghizistan, le volume d’échanges avec les États européens a augmenté au même titre qu’avec la Russie. Entre 2021 et 2023, les exportations européennes ont doublé vers le Kazakhstan, tandis qu’elles ont été multipliées par 10 au Kirghizistan, selon les statistiques d’Eurostat.  

Le bilan des sanctions : des effets encore limités ?

Finalement, si les sanctions sont significatives, elles ne sont pas univoques, ce qui explique leurs effets parfois limités. À l’instar du pétrole acheté à l’Inde, l’UE s’est montrée réticente au moment d’adopter des sanctions péremptoires sur certaines banques russes, dont elle reste très dépendante. Sberbank et Gazprombank, constituant les canaux de paiement principaux des pays membres de l’UE pour le pétrole et le gaz russe, ont ainsi été épargnées lors de l’adoption des premières sanctions européennes. Cela s’explique par le fait que les importations vers l’UE n’aient pas complètement cessé. La conjonction de l’ensemble de ces facteurs permet de comprendre la résistance dont l’économie russe a fait preuve depuis l’adoption des premières sanctions en 2022. Ce constat est cependant de plus en plus nuancé. L’Union européenne poursuit le renforcement des mesures avec l’adoption d’une quinzième salve de sanctions qui devrait renforcer les mécanismes adoptés pour entraver l’économie russe. Les effets sont d’autant plus importants pour Moscou que d’autres pays suivent ce mouvement, à l’image des États-Unis qui ont récemment sanctionné une cinquantaine de banques russes. L’Ukraine use également des leviers qu’il lui reste pour mettre le Kremlin sous pression. Volodimir Zelensky a en effet annoncé début 2025 son refus de renouveler l’accord permettant à l’entreprise russe Gazprom d’acheminer son gaz vers l’Europe par l’intermédiaire de l’opérateur ukrainien GTSOU. Cette décision porte un coup important de plus à l’économie russe, Gazprom ayant enregistré une perte à hauteur de 7 milliards de dollars suite à sa mise en application. Le contrecoup prend de l’ampleur pour le Kremlin, qui peine à endiguer son inflation comme sa chute du rouble, et qui subit une perte conséquente de main-d’œuvre affectant ses capacités productives.  

La position de Moscou pourrait toutefois encore changer avec la prise de fonction de Donald Trump à la Maison Blanche. Alors que la Russie subit les conséquences de la chute du régime syrien sur l’image de ses capacités militaires et économiques, Vladimir Poutine pourrait user de ses relations avec le Président américain pour infléchir le rapport de force en sa faveur face à l’Ukraine, contraignant Kiev à des concessions importantes pour tendre vers la conclusion d’un accord de paix. En dépit des signaux alarmistes sur la situation économique russe qui s’élèvent en interne, notamment du côté des grands patrons proches du Kremlin comme Sergueï Tchemezov, le dirigeant du Kremlin semble finalement toujours peu enclin à transiger pour parvenir à mettre un terme au conflit et aux sanctions qui ébranlent les finances moscovites.

Sarah Goyette

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