Fonds d’investissement éthiques, quelle cohérence ?

La crise économique a vu se multiplier les fonds d’investissement éthiques basés sur le concept d’Investissement Socialement Responsable (ISR). Selon le rapport annuel de Novethic paru en 2011, l’Investissement Socialement Responsable a progressé, tiré par une croissance de 34,8% des encourts en 2011.

Quelle cohérence pour les fonds d'investissement dit éthiques ?
En Septembre 2011, Novethic, filiale de la Caisse des Dépôts a publié la liste de 156 fonds d'investissement ayant obtenus son label ISR.
Le label récompensera les fonds dont la gestion prendra en compte des critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG). Il prendra en compte également leur approche de l'ISR, son évolution et la composition en détail du portefeuille du fonds.
Cette labellisation aura deux impacts, l'une directe et l'autre indirecte.

La première touchera directement les fonds car cette labellisation sera un indicateur pour les investisseurs et les marchés de la fiabilité du fonds. En effet, la méthode de labellisation est très stricte et met l'accent sur la transparence financière ce qui a une importance particulière en période de crise économique marquée par une perte de confiance des investisseurs dans des produits et des fonds stables et responsables. Ainsi, le label ne sera remit à un fond que s'il répond à des critères strictes.

Tout d'abord, le fond ne sera labellisé que pour un an et devra se soumettre à des évaluations semestrielles. Ensuite, il sera pris en compte l'analyse de l'ESG, à savoir il faudra que 90% des ressources du fond soient orientées vers  un ISR en accord avec l'ESG.
Le fond devra mettre également en avant la transparence de sa politique et le gérant se verra obligé de s'appuyer sur une conformité au code de transparence AFG-FIR. Ce document devra être accessible par les sociétés qui souhaiteront investir dans le fond, cela en vue d'accroitre la confiance des investisseurs et dynamiser celui-ci. Il verra donc son image valorisée par l'obtention du label comme gage de sureté.

Par ailleurs, ce document devra informer sur le processus d'ISR et les valeurs retenues pour l'ESG. Cette transparence sera accrue par l'obligation pour le fonds d'un reporting extra financier, mensuel ou trimestriel qui devra informer sur les investissements ou désinvestissements qui auront un impact sur l'ESG. Ces informations devront couvrir les actifs du fond et les caractéristiques ESG de celui-ci.
Le dernier critère pris en compte pour la labellisation va s'inscrire dans la conduite de cette transparence car il oblige le fond à publier de façon claire l'intégralité de la composition de son portefeuille.


Il est également à souligner que le label ISR se décline en deux mentions
Une mention indicateurs ESG qui est une mesure de la valeur ajoutée extra financière du fond et concerne les indicateurs environnementaux, sociaux et de gouvernance mis en avant par la politique marketing de celui ci. Il peut en effet se baser sur le label pour attirer les investisseurs et adopter une politique marketing en conséquence.
La deuxième est la mention Engagement qui vise a promouvoir un engagement actif des valeurs de l'ESG. En effet, elle oblige le gérant du fond à contacter les entreprises dans lesquelles il a investit pour un reporting régulier qui en l'absence d'amélioration conduira au désengagement du fond par le biais de déclarations  publiques par exemple.


La labellisation du  fond par Novethic conduit indirectement à favoriser les PME car les fonds pour respecter leur labels favoriseront les investissements dans les entreprises respectant les critères de l'ESG ou de la RSE.
Les normes Responsabilité Sociétale de l'Entreprise (RSE) et les critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG) sont devenus une méthode de gestion des risques. L'adoption de normes traduisant ces deux concepts minimisent en effet les risques et augmentent de facto la confiance des investisseurs en  l'entreprise. Ainsi, les démarches d'intégration des (ESG) représentaient en 2009 prés de 2500 milliards d'euros, le double de 2008. Cette nouvelle démarche des entreprises et des investisseurs traduit une politique prenant davantage en compte un meilleur contrôle des risques notamment après la crise financière de 2008. La corrélation entre la crise et l'augmentation des encours ISR et des démarches ESG est à ce titre illustrative.

La réorientation de certains fonds d'investissement vers l'ISR se traduit pour exemple par la nouvelle politique du Norwegian Government petroleum fund qui vise à promouvoir les entreprises ayant une bonne Corporate Social Responsability (RSE) en vue d'investissements durables. Cela a eu notamment pour conséquences dans les années 2000  du retrait du fond de certaines entreprises dans le domaine de l'armement.
En effet, il s'est retiré de plusieurs entreprises fabriquant par exemple des mines anti-personnelles ou des armements pouvant causer des dommages humains considérables et allant à l'encontre des standards humanitaires en vigueur par certaines conventions. Il a ainsi placé sur sa liste noire EADS et Thales par leur filiale commune Thomson Dasa Armements qui développait des armes à sous munitions. Ce fond souverain est un des plus puissant sur le marché avec une dotation de plus de  170 milliards d'euros dans les années 2000 ce qui représente un "capital d'opportunité" si les entreprises présentent une bonne gestion.

Néanmoins l'ISR, les fonds d'investissements éthiques et les labels posent de nombreuses questions.

En effet, la question de la cohérence se pose, si on prend l'exemple du fonds norvégien, celui-ci a exclu de ses investissements certaines banques finançant des entreprises du domaine de l'armement à l'image de Dexia, Axa ou Fortis. Or, il faut savoir que certaines de ces banques ont été labellisés par le forum Ethibel (organisme européen de labellisation) comme des fonds de placements  durables tel Dexia ou même Fortis. Ainsi, on peut se demander si ces banques sont bien ou non des fonds de placements durables respectant les normes de RSE ou d'ESG.
Il faut également savoir que la stratégie du fond norvégien conduit à boycotter certaines entreprises étrangères dans le domaine de l'armement et peut ainsi laissée place à des investisseurs ayant un intérêt à s'approprier les technologies de ces entreprises par prise de participation directe dans celles-ci en remplaçant ce fond. On pensera notamment aux fonds souverains Russe ou Chinois.

De plus, il ne faut pas confondre morale et éthique et la stratégie du fonds norvégien s'apparente davantage à la morale qu'a une véritable éthique des affaires. En l'espèce, le fond se retire des entreprises fabriquant des armes prohibées par certains traités alors même que les entreprises en cause peuvent parfaitement respecter leurs engagements en matière d'ISR ou de RSE.
Par ailleurs, cette stratégie du fonds pourrait être préjudiciable pour son industrie elle même et particulièrement son industrie d'armement surtout quand on sait que l'industrie norvégienne fournissait  en partie par le biais de filiales les États Unis en matériels de guerre lors de la guerre en Irak de 2003.

On peut également continuer le raisonnement en se demandant si avoir une stratégie aussi stricte ne va donc pas pénaliser l'industrie du pays en question et laisser des concurrents s'installer et si cette stratégie n'est pas paradoxale étant donnée que les revenus du fond reposent sur les recettes pétrolières de la Norvège. L'éthique et l'ISR ne doivent donc pas freiner les investissements et conduire a un désengagement dans des secteurs stratégiques, tel que l'armement.
En outre, il ne faut pas oublier que l'éthique et la morale sont deux choses différentes et une entreprise peut avoir une conduite parfaitement éthique même si le secteur dans lequel elle travaille n'apparait pas forcément moral. Après son déclassement par le fond norvégien, le directeur du groupe SAFRAN précisait  «Nous n'avons pas avoir honte de travailler pour la défense Nationales», il évoquait ainsi le cadre non seulement légal mais éthique de sa production militaire.

Mathieu Dupressoir