L’Intelligence Economique c’est aussi savoir utiliser ses atouts et son savoir faire de manière efficiente pour influencer favorablement son environnement. Le Brésil l’a bien compris. Deuxième exportateur de bioéthanol, il tente aujourd’hui de structurer un marché international du bioéthanol par l’influence en s’appuyant sur la culture commune qu’il peut avoir avec certains pays africains.
Pour conquérir le marché africain, le Brésil base sa stratégie sur deux axes : une stratégie d'influence d'origine diplomatique et institutionnelle et une stratégie d'implantation d'entreprises brésiliennes et de conquête de marchés.
Le Président Lula a très rapidement affiché sa volonté de rapprochement avec l'Afrique et l'a illustré par plusieurs déplacements diplomatiques au cours de ses mandats. Promoteur de la "révolution verte", de nombreux accords de coopération ont été signés entre le Brésil, les pays africains et les organisations économiques régionales. La promotion du bioéthanol et son implantation culturelle dans les pays africains résultent en premier lieu des organismes brésiliens de coopération. La négociation des accords incombe à l'agence de coopération brésilienne qui encourage l'implantation du bioéthanol dans le cadre d'accords globaux de coopération. La phase opérationnelle de l'implantation du savoir faire brésilien en Afrique passe quant à lui par l'Entreprise Brésilienne de Recherche en Agronomie (Embrapa).
La stratégie de l'Embrapa vise à convertir les africains et notamment les ingénieurs aux techniques brésiliennes. Le but est de former les futurs cadres africains aux technologies brésiliennes et à la filière du bioéthanol brésilien basé notamment sur la culture de la canne à sucre. L'Embrapa multiplie les accords avec les pays africains et trois mois après son implantation au Ghana en 2007, elle réunit 18 ambassadeurs de pays africains pour promouvoir sa technologie et les orienter vers les biocarburants. Moins d'un an après, la première raffinerie d'éthanol est construite au Ghana pour faire de celui-ci un pays producteur et exportateur de bioéthanol.
En 2007, le Bénin et le Brésil concluent un accord pour la formation de huit spécialistes béninois et des transferts de technologie inhérents à la filière bioéthanol. En 2007 toujours, le Burkina Faso passe un accord avec le Brésil pour la création de son programme de biocarburant et le Mali crée l'Agence Nationale de Développement des Biocarburants sollicitant l'expertise du Brésil pour la création de sa filière.
En 2010, c'est au tour du Kenya de passer un accord avec le Brésil en vue de développer une filière éthanol, celui-ci s'engage alors à fournir son savoir-faire et les infrastructures nécessaires. L'objectif à long terme est de "phagocyter" l'Afrique de technologies brésiliennes ou plutôt convaincre de sa supériorité technologique en ce domaine. En formant les futurs ingénieurs africains, le Brésil s'assure d'un soutien dans l'acquisition de futurs marchés pour ses entreprises. Ceux-ci auront toujours une tendance naturelle à choisir du matériel sur lequel ils ont été formés. De même, ils choisiront une technologie meilleure, que le Brésil n'a pas hésité à partager.
C'est également un bon moyen pour le Brésil d'influencer les organisations régionales en Afrique et particulièrement les zones de libre échanges ou unions douanières qui peuvent avoir un intérêt économique, notamment pour dynamiser les échanges d'éthanol. Par ailleurs, le Brésil cible des Etats qui font notamment partie de la SDAC ou de l'UEOMA pour bénéficier des accords à taux préférentiels dans les échanges avec l'UE et avec les autres Etats développés. Il n'hésite d'ailleurs pas à négocier des accords triangulaires entre Etats africains, UE et Brésil comme ce fut le cas pour l'accord entre le Mozambique et l'UE en 2010. Durant ces négociations, le Brésil a réussi a obtenir que les droits de douanes pour l'importation d'éthanol par l'UE soient extrêmement bas.
Le fer de lance de cette politique?
Les entreprises, publiques et privées qui sont, pour certaines, déjà installées en Afrique. Le Brésil peut compter sur un socle d'entreprises bien implantées à l'image de la minière Vale, de Petrobras, d'Odebrecht ou encore de Camargo Corréa.
L'achat de terres pour le développement de cultures pouvant alimenter le marché brésilien de l'éthanol se corrèle avec l'implantation d'entreprises du secteur des biocarburants. Le Brésil tente en effet de limiter l'exploitation de terres pour développer la culture de la canne à sucre et entend faire des investissements en Afrique afin d' augmenter sa production et éviter des pénuries comme ce fut le cas en octobre 2011. Par ailleurs, la diversification par l'achat de terres dans d'autres pays rend moins sensible le Brésil aux aléas climatiques qui peuvent jouer sur ses propres cultures de canne à sucre.
Le Mozambique est illustratif de cette politique. Dès 2006, le Brésil et le Mozambique signent un accord de 6 milliards d'investissements dans le secteur du bioéthanol à base de canne à sucre. L'entreprise publique Petrobras y collabore avec la Guarani dans l'exploitation d'une usine de production de sucre et profite de cette implantation pour construire avec sa filiale Biocombustivel sa première usine d'éthanol au Mozambique en 2011. La construction de cette deuxième usine précède un achat important de terres du Mozambique par de grands propriétaires brésiliens, achat représentant en superficie l'équivalent des deux tiers du Portugal. Pour exemple, le groupe Guarani possède une concession de 50 ans pour l'exploitation de 91 000 hectares de terres. Le Mozambique quant à lui a vu construire sa première usine de raffinerie éthanol avec l'assistance technique des brésiliens.
L'implantation de cette première usine s'effectue en corrélation avec l'achat massif de terres du Mozambique, terres propices à la culture de la canne à sucre. Le Mozambique se présente ainsi comme un nouveau débouché pour l'éthanol brésilien et sa position stratégique permet également de devenir un point d'export vers l'océan indien et les pays d'Asie du sud. Après plusieurs problèmes d'approvisionnement, Petrobras est mandaté par l'Etat pour développer une filière de production de bioéthanol et profite de son installation en Afrique pour développer sa filière biocarburant. La cible est en premier lieu les pays lusophones pour faciliter son exploitation sur le continent. L'Angola et le Mozambique servent ainsi de porte d'entrée sur le marché Africain par le biais de la société Odebrecht et sa filiale ETH Bioenergya.
L'Angola, allié naturel du Brésil voit également se développer une filière éthanol trustée par le savoir faire brésilien en la matière. Les entreprises Petrobras et Odebrecht, implantées depuis les années 80 dans le pays, profitent de leur position pour encourager la production de biocarburants. En 2010, le parlement angolais autorise la production de bioéthanol par des investisseurs étrangers ou locaux. Trois mois plus tard, le président angolais, lors d'une visite officielle au Brésil, s'entretient avec le président d'Odebrecht au sujet du futur projet angolais de production de biocarburants, la Biocom au sein de laquelle Odebrecht possède 40% des parts.
Outre les pays lusophones, le Brésil s'intéresse dès 2007 au Ghana et au Bénin. Au Ghana, c'est la société brésilienne Constran qui s'illustre en construisant une usine de production d'éthanol. Celle-ci peut s'appuyer sur l'exploitation de 27 000 hectares censée produire 150 millions de litres d'éthanol. Cette capacité de production doit permettre au Ghana de diversifier son économie et le place de facto dans la position de pays exportateur par le biais d'un accord avec la société suédoise Svensk Etanolkemi, celle-ci s'engageant pour l'achat d'éthanol pour une durée de dix ans. Ce projet de 306 millions de dollars est subventionné à hauteur de 260 millions par le biais d'un prêt consenti au Ghana par la BNDES. Premier prêt public du Brésil au Ghana et méthode qui rappelle les prêts à taux préférentiels de la China Eximbank en Afrique.
En 2009, c'est au tour du Soudan de lancer son programme national de bioéthanol avec l'inauguration d'une usine du groupe Kenana qui devrait produire 65 millions de litres d'éthanol et qui est construite par l'entreprise brésilienne Dedini. La sous-traitance de l'usine sera bien sur assurée par celle-ci. Le Soudan a volonté à devenir chef de file en ce domaine et là encore, sa production lui permet d'exporter une première cargaison de 10 millions de litres d'éthanol à l'Union Européenne en avril 2011.
Outre ces deux destinations, Petrobras s'implante également en RDC, au Gabon et au Sénégal. La RDC, centre du continent africain, est bordée par 9 pays et représente une bonne base en vue de l'exportation à travers toute l'Afrique centrale. Elle dispose par ailleurs d'un potentiel d'exploitation agraire important avec seulement 10% des terrains cultivables exploités. Parfait pour cultiver la canne à sucre alors que l'année 2010 a vu naître au Brésil des problèmes d'approvisionnement de bioéthanol. Dans cette optique, les investissements du Brésil au Gabon et au Sénégal pourraient être motivés par la construction de ports en eaux profondes pouvant servir de plateformes d'échange commercial. En ciblant chacun de ces pays, le Brésil se place en position d'influencer dans toutes les organisations régionales d'Afrique les décisions liées aux biocarburants et cela permet également aux sociétés brésiliennes de ce domaine de bénéficier de taux préférentiels dans le cadre des échanges. Elles utilisent ainsi les accords de libre échanges pour exporter sur l'ensemble du continent africain et également pour exporter à l'extérieur à partir de pays tel que le Mozambique.
Par ailleurs, en concluant en 2010 un partenariat avec la Chine pour la construction de projet de bio carburant en Afrique, le Brésil s'évite des concurrents directs et damne le pion aux sociétés chinoises par son avancée technologique et les liens privilégiés avec certains pays.
En encourageant la production de bioéthanol auprès de plusieurs pays africains, il s'assure tout d'abord des débouchés pour sa filière de véhicule flex fuel : Le Malawi déclarait en 2007 entamer un programme de 5 ans d'un million de dollars pour convertir son parc automobile en véhicules à carburants mixtes ou carburants modulables. Par les transferts technologiques et l'implication de ses entreprises, le Brésil s'assure une certaine dépendance technologique des pays africains. Le seul risque pour lui serait que des pays comme l'Afrique du sud et la compagnie Ethanol Africa ne viennent concurrencer directement ses entreprises.
Pour le Brésil, numéro deux mondial du secteur, l'intérêt est tout autre. On peut se demander s'il n'y a finalement pas une volonté de la part de ce pays de créer justement des géants en Afrique capables d'exporter leur production. En effet, sur une vision à long terme, celui-ci a tout intérêt à structurer plusieurs pays exportateurs qui auraient volonté à promouvoir le bioéthanol sur les marchés internationaux. Si le Brésil parvenait à modeler plusieurs dizaines de pays exportateurs en structurant également leur marché interne (au niveau des véhicules etc..), il aurait un poids plus important dans les négociations actuelles du cycle de Doha. Par ailleurs, en créant une offre et une demande suffisantes, il ne serait pas exclu de créer une véritable OPEP du bioéthanol où le Brésil pourrait profiter du manque de normes dans ce secteur pour imposer les siennes comme référence. Il pourrait ainsi avoir un poids décisif à l'OMC sur des questions telles que les critères de durabilité des agrocarburants qui sont actuellement en débat au sein de l'UE.
Mathieu Dupressoir