Affaire ISL, collusion politique, conflits d’intérêts, Coupe du monde au Qatar…La FIFA est régulièrement critiquée, voire même accusée de corruption. Quels sont les enjeux qui pourraient expliquer de telles pratiques au sein d’une organisation qui place l’éthique au cœur de ses valeurs? Qui sont les acteurs et quels sont leurs pouvoirs? Quelle est la frontière entre lobbying et corruption? Retour sur deux décennies d’influence.
La Fédération Internationale de Football Association (FIFA) est une association regroupant 209 fédérations nationales de football du monde entier. Elle est investie de cinq missions de deux natures différentes. Des missions législatives, comme fixer et surveiller les règles du jeu ou contrôler le football sous toutes ses formes, et des missions exécutives, telles qu’améliorer et diffuser le football dans le monde, organiser des compétitions internationales ou veiller à l’intégrité du football et des institutions qui le représentent. La FIFA est composée d’un organe législatif, le Congrès, qui élit le Président, approuve les entrées de nouvelles fédérations, valide le rapport annuel et modifie les statuts de l’association. L’organe exécutif est le comité exécutif qui nomme le Secrétaire Général, ainsi que les dirigeants des commissions permanentes et des organes juridictionnels. C’est au sein et autour de ces deux organes et de leurs membres que se concentrent les stratégies de lobbying.
En 1995, la Cour de Justice des Communautés Européennes rend l’arrêt Bosman. Cet arrêt, en se basant sur la libre circulation des travailleurs, rend illégaux les quotas liés à la nationalité des joueurs. La libéralisation des transferts est alors engagée. Selon la FIFA, l’augmentation du nombre de joueurs étrangers, qui représenteraient entre 30% à 50% des effectifs, serait une conséquence directe de cette décision. Ce chiffre apparaît démesuré par rapport aux autres secteurs économiques. C’est pourquoi la FIFA tente à partir de 2008 de renverser l’arrêt Bosman. L’association invoque le non-respect de plusieurs principes d’intérêts généraux, comme les principes d’égalité des compétitions, d’éducation des jeunes joueurs et de protection de l’identité nationale. La FIFA prône le retour des quotas, symbolisé par la « règle du 6+5 ». Selon ce projet, chaque équipe débutant un match devrait aligner au moins 6 joueurs sélectionnables pour l’équipe nationale. Une vaste campagne de lobbying est alors organisée et visera aussi bien les fédérations sportives internationales (Allemagne, Pays Bas, FIFPro), les décideurs politiques (ministres francais, espagnol, russe et luxembourgeois des Sports, Premiers Ministres serbe, monténégrin, roumain, belge, chef du Parlement géorgien) et même le Président du Parlement européen. Malgré tous ces soutiens, le projet s’est heurté au refus conjoint de la Commission Européenne et du Parlement Européen. Bien qu’une étude juridique menée par l’Institute for European Affairs (INEA) soutient que la règle du 6+5 n’est pas incompatible avec le droit européen, la FIFA a pourtant abandonné le projet.
En 2007, une autre campagne de lobbying est menée auprès de la FIFA pour faire adopter le principe de bi-nationalité. Selon ce principe, les jeunes joueurs possédant la double nationalité et n’ayant jamais encore porté le maillot de l’équipe nationale A seraient libres choisir le pays pour lequel ils souhaitent jouer. Cette modification a été possible grâce à une action d’influence menée par les fédérations africaines auprès de fédérations étrangères et relayées par quelques icônes du football africain telles que Didier Drogba, Roger Milla ou Samuel Eto’o. L’objectif étant pour les demandeurs de rapatrier des joueurs formés à l’étranger et possédant la nationalité du pays. Le Congrès adoptera le texte à l’unanimité.
Si ses règles internes peuvent être modifiées, la FIFA milite pour modifier certaines dispositions législatives étatiques, qui relèvent pourtant de la souveraineté nationale.C’est le cas du Brésil, pays hôte du Mondial 2014 et théâtre d’un lobbying institutionnel mené par divers acteurs (membres du Congrès FIFA, représentants de la FIFA auprès des Institutions publiques, Confédération brésilienne de football). La FIFA souhaite ainsi modifier le statut des personnes âgées et des étudiants, ceux-ci bénéficiant de tarifs réduits pour assister aux matchs. La loi « ville propre » de Sao Paulo qui interdit l’affichage publicitaire dans certains lieux devrait également être mise en suspens. Enfin, l’association fait pression pour introduire une nouvelle disposition pénale qui frapperait de deux ans d’emprisonnement toute personne portant atteinte à l’image des sponsors officiels. En cas de non coopération, le Brésil pourrait perdre l’organisation du Mondial ou voir certains matchs déplacés dans certains Etats fédéraux plus coopératifs.
L’exemple Brésilien met en lumière l’existence d’un second type de lobbying davantage orienté sur les problématiques marketing ou financières. Au Brésil ou dans les pays hôtes précédents, la FIFA a souvent effectué un lobbying intensif afin d’imposer le choix des entreprises prestataires. Comment ? En imposant un cahier des charges uniquement réalisable par une entreprise partenaire historique, comme pour les sièges des stades au Brésil. En donnant le label FIFA et l’exclusivité de la vente d’alcool ou de billets à des entreprises proches de l’organisation. Ce fut notamment le cas de la société Match Hospitality AG, dont l’un des quatre actionnaires est InFront Sports and Media, compagnie détenue par Philippe Blatter, neveu de l’actuel Président de la FIFA.
Pourquoi une telle situation ? La Coupe du Monde représente un énorme gain financier pour la FIFA. Lors du Mondial 2010, la FIFA a perçu entre 3.2 et 4Md €. Les revenus télévisuels (2Md€), marketing (1Md€), hébergement (120M€) et octroi de licences (80M€) sont directement reversés à l’organisation. Ces recettes ont augmenté de 50% depuis 2006. Placer des entreprises « partenaires » permet donc de mieux contrôler cette manne financière. La FIFA, ONG la plus puissante financièrement, est considérée par Pascal Boniface comme un « acteur central des relations internationales » et pivot des relations politico-sportives. Une situation qui s’auto-entretient par le cercle vertueux pouvoir politique-pouvoir financier.
Du côté des Etats, organiser un Mondial permet, outre d’importantes rentrées financières, de développer son soft power. Au regard de ces enjeux, les pays candidats mobilisent d’importantes ressources pour emporter les votes de du Comité exécutif. Pour L.Courtois, ex-membre du comité d’organisation Hollando-Belge, «l’aspect sportif compte pour 10 % dans cette course à l’investiture, le reste tient du lobbying géo-économico-politique». Financièrement moins puissante que les autres candidatures, la délégation a créé une cellule lobbying, appuyée par la société Hill & Knowlton, rendue célèbre pour son implication dans l’affaire des couveuses. Parallèlement, plusieurs personnalités, dont E.Mercks, proche du frère du fils héritier du Qatar, et ambassades à l’étranger ont été mobilisées pour influencer les pays votants et les membres du comité exécutif.
La candidature Hollando-Belge fut soutenue par des multinationales comme KLM, ING ou Randstad, ces dernières espérant profiter des futurs marchés. La délégation a également proposé aux pays africains, pays clés du scrutin, la mise en place d’accords de coopération dans les domaines de la sécurité dans les stades et dans la formation d’entraîneurs. Insuffisant pour gagner le droit d’organiser le Mondial 2018. Le même jour, le Qatar remportait l’organisation du Mondial 2022, grâce notamment à une campagne de communication dont le budget fût de 34M€. Mais la manière dont ces sommes ont été allouées pose questions. En 2010, une employée de la délégation Qatari accusait l’Emirat d’avoir acheté les voix de deux membres du comité exécutif (MM Anouma et Hayatou) contre le versement d’1,5M$, avant de se rétracter. Des exemples similaires existent comme le versement de 78,4M$ à la fédération Argentine pour « aider le championnat national à sortir de la crise » ou le sponsoring du Congrès de la confédération africaine de football à hauteur de 1,25M€… Seraient-ce ces évènements qui ont amené le secrétaire général de la FIFA à écrire dans un mail interne qu’«ils ont acheté le Mondial 2022» ou S.Blatter à déclarer que le choix du Qatar était « une erreur » ?
La frontière entre lobbying, conflit d’intérêt et corruption est ténue à la FIFA. L’affaire ISL, une histoire de pots de vins versés aux anciens présidents de la FIFA par cette société de marketing contre l’acquisition de droits télévisuels exclusifs, prouve que la mission d’intégrité que s’est donnée la FIFA n’est pas encore respectée, malgré la mise en place récente d’une commission d’éthique.
Charles Casta