Au sein de l’économie de la connaissance, un marché revêt une importance stratégique pour la France : celui du livre. Pourtant, il présente trois enjeux fondamentaux : économique, technique et culturel. Son futur peut le rendre compétitif. Un défi digne de Jules Verne …
Malgré la crise, ce secteur stratégique résiste plutôt bien grâce à la jeunesse et à la diversification culturelle
La vente des livres se maintient à un niveau stable malgré la crise alors que la vente des biens culturels connaît une récession en 2011 et en 2012. Le livre représenterait 52% du marché des biens culturels selon GFK. Le SNE (syndicat National des Editeurs) annonce un revenu net des éditeurs de livres de 2,80 milliards d’euros en 2011 soit une baisse de 1,2% par rapport à 2010. Dans le même temps, le chiffre d’affaires du marché du livre est de 4,3 milliards d’euros d’après une évaluation de GFK réalisée à partir des ventes en sortie de caisse. Cela représente un volume de 450,5 millions de volumes vendus en 2011. Le marché est fragilisé en 2012 avec une baisse des ventes de 5.9% et une baisse des chiffres d’affaires de 2,7%. Avec 28% de du chiffre d’affaires du livre, la littérature générale représente la plus forte vente. Les livres « jeunesse » ont connu, pour leur part, une légère régression du fait de la baisse du segment de la lecture grand format mais il conserve néanmoins une bonne santé. Grâce au succès de plusieurs BD jeunesse adaptées au cinéma en 2011, le secteur a vu ses ventes augmenter en 2011 par rapport à 2010. Les romans raflent 9 place dans le Top 10 des ventes.
Forte de son éclectisme, la France favorise les traductions de livres étrangers qui représentent maintenant 15,6% du total des livres commercialisés, en augmentation constante depuis 2009. Les livres britanniques sont les plus traduits 6130 livres vendus soit 60% des traductions. Ensuite, les livres japonais représentent 8,8% des traductions (2011) grâce aux mangas, véritable engouement des jeunes pour ces documents de culture japonaise. Certaines séries mangas connaissent une véritable explosion en 2012 à la suite de l’adaptation des séries à la télévision. Cependant, le chiffre d’affaires en France est en baisse car ce segment est arrivé à maturité. Ce sont les jeunes qui tirent le marché du livre vers le haut en 2012 grâce notamment à la vente en ligne ; des jeunes dont les goûts littéraires s’accentuent vers les productions anglo-saxonnes et japonaises : une dérive qui contient peut-être en elle une menace ?
Selon les éditeurs, le livre en tant que patrimoine culturel est menacé par les nouvelles technologies numériques
La filière économique du livre peut être considérée comme la première des industries culturelles. Chaque livre est un prototype dont la mise en vente est un pari de la réception du produit par les lecteurs. Malgré un travail de tri et de sélection effectué par les autorités reconnues que sont les critiques, les bibliothécaires et les libraires, et malgré l’importance d’un réseau de détaillants, aucun livre n’a le succès assuré. Le marché du livre occupe 80 000 emplois, soit environ 20% des emplois du secteur culturel (environ 430 000). Ainsi de multiples acteurs interviennent dans « la chaîne du livre ». La conservation des emplois est un enjeu humain, clé de la stratégie des éditeurs.
Par ailleurs, le livre se distingue des autres produits commerciaux en ce qu’il « n’est pas un produit comme les autres ». Cet enjeu est clairement d’ordre culturel. Ce courant de pensée est apparu dans les années 70 lors de la mise en vente des livres à prix réduit par les centres commerciaux qui avait provoqué une réaction des petits libraires et des éditeurs. Il ne s’est pas démenti en France depuis lors tant et si bien que les éditeurs ont fait voter la loi Lang qui oblige les prix fixes en France. La loi pose également le principe de la préservation de la richesse et de la diversité de la création littéraire afin de contrecarrer les politiques de best-seller de certains éditeurs. Le livre comme marchandise était devenue une menace. Une tentative en 2008 d’amender les articles concernant le prix unique dans la loi a finalement été rejetée. De son côté, l’Union Européenne a statué sur le fait que le livre est un bien culturel et que le traité de Rome donne une compétence nationale à chaque état-membre en matière de culture.
Dans la conception française, le livre est le moteur principal de la culture avec un « grand C » ; c’est la dernière barrière ultime au doute et la seule source fiable du savoir. Cependant, le développement d’autres technologies tels que internet, modifie profondément les comportements et constitue un enjeu technique fort. Ces autres représentations de la culture, plus américaines, sont ressenties comme des menaces à la Culture. Une contradiction évidente s’impose alors car, dans le même temps, la diversité est ressentie comme l’objectif fondamental de chaque secteur culturel. L’attrait de ces nouvelles technologies est source de diversification culturelle mais, de fait, la marchandisation de la culture n’est pas acceptable. Immanquablement, l’évolution des produits conduit à la raréfaction des produits performants et à la vulgarisation des « low-costs », à très faible valeur ajoutée, concept difficilement acceptable pour un bien culturel.
Dès lors, la problématique du livre numérique se pose, d’après l’ENSMP, à la fois sur le champ de la création et sur celui du « livre en tant que produit ».
Cependant ces nouvelles techniques innovantes peuvent être une opportunité pour le marché du livre
La foire du livre à Paris en mars dernier a été l’occasion de s’interroger sur la part du numérique dans l’économie du livre et sur la position ferme des éditeurs pour la version papier. Ainsi aux Etats-Unis, la vente des e-books de fiction dépasse celle des romans brochés. L’association des éditeurs américains (AAP) a confirmé que les e-books représentaient 22,55% des revenus des éditeurs américains (en hausse exponentielle dans les dernières années : 0,5% en 2002, 3,17% en 2009, 16,98% en 2011), une progression notable après 10 ans d’existence sur le marché américain.
Avec une progression de 3,6millions de tablettes contre 1,5 millions en 2011 et 300000 liseuses vendues, la France n’est pas en reste dans cette évolution. 100 000 œuvres littéraires numériques sont actuellement disponibles en France. Les e-books, en augmentation de 80% cette année, ne représentent néanmoins que 0,6% du marché global du livre. 2 millions d’e-books auraient été téléchargés en France. Le ministère de la culture affirme que 1 français sur 6 possède une tablette et 41% d’entre eux lisent des e-books régulièrement. Seul 10% le faisait l’année précédente.
Force est de constater que le marché du livre numérique double en France chaque année. La littérature classique et contemporaine domine les ventes d’e-books. Mais ce qui est en jeu en réalité ce sont les nouvelles formes d’interactions avec les auteurs et les lecteurs. Ainsi Apple comptabilise, par exemple, 130 millions de téléchargements dans le monde pour son application iBooks, nouvel écosystème d’édition numérique. Les auteurs auto-publient leurs œuvres principalement destinées à l’éducation grâce à la polyvalence et à la simplicité des applications. L’intégration dans les contenus de vidéos, d’audio, de graphiques évolutifs, d’images 3D mais aussi de glossaire ringardise les manuels numériques au format pdf. Seul hic, les fichiers produits ne sont lisibles en l’état que par les seules les tablettes Apple et le monde de l’éducation est voué à être enfermé dans l’écosystème d’Apple … une menace qui conduit à prôner le développement d’autres écosystèmes plus nationaux.
Le marché du numérique continue néanmoins sa progression en France. Les études prospectives font état d’une évolution globale du livre numérique qui représenterait 3% du marché total du livre en 2015. Un segment nouveau se développerait vers les 50 ans et plus qui souhaitent désormais accéder aux livres numériques. Le site frenchweb.fr, le magazine des professionnels du digital table sur de nouvelles start-up pour « franciser » le numérique en offrant des solutions originales et simples interactives avec le lecteur. A suivre …
Marie-Christine Michel