« Pour un lobbyiste commis d’office » par Stéphane Desselas d’Athenora Consulting

Le lobbying fait partie de la démocratie mais n’est pas… démocratique. En démocratie, il est légitime que tous les intérêts particuliers puissent être entendus par les pouvoirs publics. À charge pour ceux-ci de définir ensuite l’intérêt commun qu’ils représentent (international, européen, national ou local).

Le lobbying n’est, rien de plus, rien de moins, que la technique qui permet de défendre efficacement cet intérêt auprès des pouvoirs publics. En effet, le lobbying est la technique de communication visant à influencer les pouvoirs publics pour la promotion d’un intérêt particulier[1]. Certains pourront y voir un lien certain avec les sophistes de l’antiquité grecque.

Le lobbying est une technique limitée par la loi…

Comme toute technique, le lobbying vise à la plus grande efficacité, et ne peut trouver de limites en lui-même. Le lobbying, envisagé en tant que technique, a pour objet d’influencer au mieux les pouvoirs publics et ne connaît intrinsèquement aucune limite. Pourtant, comme tout moyen d’action, le lobbying doit être limité, quitte à ce que son efficacité s’en trouve réduite[2]. Ces limites sont posées par la loi, en particulier dans les dispositions relatives au trafic d’influence[3] et à la corruption active. Mais, la loi ne suffit pas pour limiter le lobbying. En effet, celle-ci ne punit pas le mensonge, la tromperie ou la malhonnêteté, qui sont pourtant condamnables comme techniques d’influence[4] des pouvoirs publics.

… et les codes d’éthique et de déontologie

Ces comportements que la loi ne condamne pas, mais qui sont condamnables, ce sont les codes d’éthique ou de déontologie qui doivent en prévoir la sanction et la répression. Il en va ainsi des points b. et d. du code de conduite applicable aux organisations inscrites au registre de transparence des institutions européennes[5]. La première question qui se pose, comme souvent pour les codes d’éthique et de déontologie, est la nature de la sanction et son caractère suffisamment ou insuffisamment dissuasif. L’autre question est celle de la qualification du comportement violant le code d’éthique. Qu’est-ce effectivement qu’un comportement malhonnête, une pression abusive ou une information trompeuse ?

Il appartient à la Commission et au Parlement européen de préciser ce qui est entendu par ces comportements contraires à l’éthique du lobbying, afin de pouvoir ensuite les sanctionner.

Au final, ce sera toujours au lobbyiste lui-même de se fixer en conscience les critères moraux et éthiques de l’exercice de sa profession ; la loi ou les codes ne peuvent en effet prévoir toutes les situations. Le lobbyiste devra ainsi décider, au cas par cas, des causes qu’il entend défendre et de la manière de les défendre ; au-delà du seul respect de la loi et des codes éthiques.

L’encadrement des activités de lobbying et du comportement des lobbyistes ne répond cependant qu’à une partie des critiques dont le lobbying est souvent l’objet. Il convient également de traiter de son caractère non démocratique.

Le lobbying serait-il réservé aux puissants ?

Il est en effet souvent reproché au lobbying d’être le fait des puissants ou des organisations ayant les moyens d’être représentées à Bruxelles ou de recourir aux services de lobbyistes professionnels, avocats ou consultants. En pratique, le lobbying n’est pas que le fait des puissants, mais également des associations et des ONG. Il n’en demeure pas moins qu’il faut disposer de moyens humains ou financiers importants pour pouvoir mener à bien une campagne de lobbying.

Imaginons qu’une association de citoyens souhaite se faire entendre auprès de la Commission européenne. Comment va-t-elle procéder ? Qui va-t-elle contacter ? Quel message va-t-elle présenter ? À l’image du plaignant qui se fait représenter par un avocat devant un tribunal, l’association a plus de chances d’être entendue si elle se fait aider par un lobbyiste professionnel. À défaut, elle souffrira d’un désavantage certain par rapport à ceux dont les intérêts seront défendus par un lobbyiste.

Un nouveau droit pour les citoyens ?

En matière d’accès à la justice, les États ont reconnu à tous les citoyens le droit d’être défendus et représentés par un avocat, professionnel du droit. C’est ce que l’on appelle, en France, un avocat commis d’office. Il est mis à la disposition du plaignant et pris en charge financièrement par l’État, afin, et c’est là l’un des principes d’une société démocratique, de garantir à tous le droit d’accès à la justice.

S’agissant de l’assistance et de la représentation auprès des pouvoirs publics, un tel droit n’existe pas à l’heure actuelle. Cependant, compte tenu du souhait de plus en plus exprimé par les citoyens de participer au débat public (y compris en dehors des périodes d’élection) et d’être entendus par les pouvoirs publics sans devoir en passer par des actions directes telles que manifestations, grèves ou violences exercées contre les biens publics, il existe véritablement une demande de lobbying – même si le mot n’est pas utilisé du fait de sa connotation péjorative et négative aux yeux du grand public.

 Le lobbyiste commis d’office

Nous pensons qu’il est temps que tous les intérêts spécifiques bénéficient d’un égal accès aux pouvoirs publics, quels que soient leur taille ou leurs moyens financiers. À condition bien évidemment que ces intérêts soient légaux et respectent les valeurs démocratiques. Cette égalité d’accès pourrait prendre la forme de lobbyistes commis d’office, dont la rémunération serait prise en charge par l’État, voire la constitution d’un corps de lobbyistes publics spécialisés et indépendants. Un tel système permettrait de donner aux citoyens de peser de manière plus concrète sur la décision politique et lèverait l’impression d’une démocratie captée par les intérêts des plus puissants.

Un nouveau cadre à définir

Le cadre de ce nouveau droit reste à définir. Ceci pourrait être l’objet d’un texte très précis, afin d’éviter les abus et les dérives que l’on peut aussi rencontrer en matière judicaire (procéduriers abusifs). Ce texte devrait notamment préciser les conditions et critères d’accès à ce nouveau droit, le montant de la prise en charge par l’État, ainsi que les personnes qui pourraient se voir désignées comme lobbyiste commis d’office.

Nous sommes conscients que la route menant à la reconnaissance d’un tel droit sera longue, que ce soit pour des raisons budgétaires ou par crainte de l’apparition d’une forme de démocratie directe qui viendrait ralentir le processus de décision publique. Sans parler de la dimension de nature proprement philosophique, liée à la relation entre électeurs et élus. Le lobbyiste commis d’office « médiatiserait » en quelque sorte cette relation. Dans notre système démocratique représentatif, ceci reviendrait à accepter l’existence d’intérêts spécifiques concourant à la définition de l’intérêt commun. Un intérêt commun, non plus transcendant (imposé d’en haut) mais immanent (initié par la base) ; une véritable révolution au pays de Rousseau et de Descartes !

Le chemin vers la création du lobbyiste commis d’office sera long, mais nous pensons néanmoins que c’est un chemin que nos démocraties modernes pourront être amenées à emprunter si elles ne veulent pas prendre le risque de s’enfermer dans une vision purement technocratique, voire oligarchique, de la prise de décision publique.

Stéphane Desselas

Fondateur et Président d’Athenora Consulting
 

[1] Pour une présentation des techniques du lobbying, voir « Les règles d’or du lobbying » de Stéphane Desselas et Natacha Clarac (éditions du Palio, 2012).

[2] Nos réflexions sont largement inspirées de la pensée d’André Comte-Sponville présentée dans son ouvrage « Le capitalisme est-il moral ? » (éditions Albin Michel, 2004).

[3] Le trafic d’influence couvre une large palette de comportements punis par la loi. Pour rappel, celui est défini comme suit : « Le trafic d’influence est le fait, par quiconque, de solliciter ou d’agréer, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques, pour lui-même ou pour autrui, pour abuser ou avoir abusé de son influence réelle ou supposée en vue de faire obtenir d’une autorité ou d’une administration publique des distinctions, des emplois, des marchés ou toute autre décision favorable. » (article 433-2 du Code pénal).

[4] Il ne s’agit d’ailleurs plus ici selon nous d’influence mais de manipulation. La manipulation implique la dissimulation de la qualité du lobbyiste et/ou une présentation mensongère ou trompeuse de son argumentation, et/ou une pression abusive sur les pouvoirs publics.

[5] « Dans leurs relations avec les institutions de l’Union européenne, ainsi qu’avec les membres, les fonctionnaires et les autres agents de celles-ci, ceux qui s’enregistrent : […]b. n’obtiennent pas ou n’essaient pas d’obtenir des informations ou des décisions d’une manière malhonnête ou en recourant à une pression abusive ou à un comportement inapproprié ; […] d. veillent à fournir, lors de l’enregistrement et, ensuite, dans le cadre de leurs activités relevant du champ d’application du registre, des informations qui, à leur connaissance, sont complètes, à jour et non trompeuses ».