La seconde édition de ReputationWar – organisée par Christophe Ginisty, Syntec RP et l’IPRA – s’est tenue le vendredi 17 janvier 2014 à Paris, dans le somptueux Théâtre des Variétés. Dans ce cadre d’une résonance volontairement dramatique, le Portail de l’Intelligence Économique assistait au lever de rideau sur les « Foules sentimentales ».
Lancement de la journée : un septuagénaire vêtu d’un flamboyant costume rouge et d’un chapeau à plumes entre en scène, cloche à la main. L’audience est partagée entre rires et haussements de sourcils. Pourtant cet homme, nous le connaissons tous. Tony Appleton est le faux crieur de rue qui avait annoncé au monde la naissance du prince George, et trompé une Nation toute entière en se faisant passer pour l’envoyé de la couronne anglaise. Il est la représentation des foules sentimentales : ce que les gens sont prêts ou non à croire, leurs émotions – liens irrationnels qui forgent la réputation – et leur capacité à se mobiliser.
Croyances
Gérald Bronner, professeur de sociologie et auteur de La démocratie des crédules est intervenu par vidéo. Internet joue un rôle fondamental sur le développement des fausses croyances car il a conduit à une massification de l’information. La multitude des sources et l’instantanéité facilitent la propagation des rumeurs, Internet est ainsi devenu un « biais de confirmation » et un « incubateur de mythologie contemporaine ». Sur le marché de l’information, les croyances sont plus nombreuses et plus performantes. En effet, le vraisemblable l’emporte maintenant sur le vrai, car « le vrai a des exigences que le vraisemblable n’a pas ».
Hisham Zaazou, ministre égyptien du tourisme est ensuite venu témoigner des efforts du gouvernement pour relancer l’activité touristique du pays. Selon lui, le secteur est frappé par une guerre de l’information qui propage à l’étranger une image d’insécurité subsistante en Egypte. Dans un plaidoyer plein de ferveur, il a expliqué la stratégie d’e-réputation mise en œuvre pour rassurer les voyageurs et redorer l’image du pays. Le gouvernement a par exemple installé des webcams en livestream pour montrer le quotidien des lieux touristiques, dans une région pourtant voisine de théâtres de conflits.
Guillaume Brossard, co-fondateur de Hoaxbuster.com nous a parlé des « fakes » démasqués par son site Internet, mais aussi des rumeurs finalement avérées comme la liaison entre François Hollande et Julie Gayet, détectée depuis plusieurs mois par la communauté du site. Les réseaux sociaux sont les médias de l’émotion et non de l’information, c’est pourquoi les rumeurs ont tant de succès sur le web social et que les internautes vont plus facilement partager une information tenant de la croyance.
Bruno Jeanbart nous a présenté la nouvelle étude d’Opinion Way qui analyse la rumeur. 49% des internautes ne font pas confiance aux médias en ligne, et 72% pensent que les informations véhiculées sur les réseaux sociaux ne reflètent pas la réalité. Pourtant, 42% des Français pensent qu’une rumeur cache une vérité et « qu’il n’y a pas de fumée sans feu ». 63% des gens affirment cependant qu’Internet facilite la rumeur.
Philippe Spanghero et Eric Walter on témoigné sur les défis de réputation personnelle auxquels ils ont dû faire face : l’un pour sauver l’honneur de son nom de famille lors de la crise de la viande de cheval, l’autre pour défendre son intégrité personnelle face à la déferlante d’attaques ayant suivi sa nomination en tant que Secrétaire général d’Hadopi. Sur des problématiques de réputation personnelle, la proximité et l’humanisation des éléments de langage se sont révélées particulièrement efficaces pour conserver le caractère authentique du discours.
Emotions
Tout le monde a une opinion sur Total, une de ces entreprises françaises qui déchaine les passions. Jacques-Emmanuel Saulnier, directeur de la communication du groupe a insisté sur l’importance pour une entreprise comme Total de se montrer autant réactive que proactive face aux foules sentimentales, au lieu de subir leurs passions. Terminant sur une note d’humour, Saulnier nous a dévoilé des couacs évités de peu par l’entreprise sur le web social. On retiendra un malencontreux tweet publié au hasard – 2 postes vacants à Anvers – à la suite d’un accident dans une raffinerie ayant provoqué la mort de deux salariés.
Henri Verdier, directeur d’Etalab, nous a parlé de la multitude et des données publiques dans une intervention passionnante. Spinoza, qui se méfiait de la foule et de ses liesses conseillait pourtant à la souveraineté de ne pas trop s’en éloigner. Il incombe au gouvernement d’être attentif à la dynamique des subjectivités et des émotions de la multitude. Internet, à l’image de l’humanité, renferme le meilleur comme le pire. Donner un cadre : voilà une solution pour canaliser les foules et n’en tirer que le meilleur. La nouvelle plateforme opendata du gouvernement est ainsi « un outil pour la multitude, travaillé avec la multitude », un espace collaboratif sur lequel les internautes sont invités à coproduire des données d’intérêt public.
François Brice Hincker, Directeur de la Communication de Vinci Autoroutes est venu nous présenter le court métrage « Ivresse » réalisé par Guillaume Canet pour la sécurité routière. Une très belle vidéo qui a préféré l’exaltation des émotions à l’esthétique du trash. Un pari réussi : le résultat est percutant. Julien Villeret, Directeur de la Communication de SFR est ensuite intervenu pour exposer les dommages causés par l’arrivée d’un concurrent low-cost sur la réputation des autres entreprises du secteur. « Ce qui était prévisible, c’était l’arrivée ; Ce qui l’était moins c’était le culot « .
L’impopularité du Président François Hollande s’explique par son incapacité à raconter une histoire émotionnelle, selon Denis Pingaud, auteur de L’homme sans comm. Le storytelling – ou l’art de raconter une histoire – aide à illustrer un propos, mais la technique est aussi utilisée pour détourner l’attention de son auditoire. Il est évidemment important pour un politique de savoir nouer des liens émotionnels avec son électorat, élément indispensable pour mobiliser les foules sentimentales. Nathalie Nadaud-Albertini – sociologue spécialiste de la téléréalité – et Kenza Braiga – ancienne candidate de Loft Story – se sont ensuite succédées pour intervenir sur les liens entre télé-réalité et émotions, ainsi que sur la difficulté de se créer une nouvelle réputation.
Activisme
Le thème de l’activisme a été ouvert par Robert Philips, fondateur de Jericho Chambers. Dans la gestion de la réputation d’une entreprise, les mots ont peu d’importance face aux actes et la communication doit être fondée sur « l’honnêteté, l’ouverture et la transparence ». Pour mobiliser les foules sur Internet, l’entreprise doit elle-même devenir activiste et agir selon des croyances plutôt que par contrainte. Paul Hilder, Vice-Président de Change.org est ensuite venu nous parler des phénomènes pétitionnaires sur internet, en insistant sur l’importance des émotions et de la réputation pour créer l’engagement au delà de l’adhésion. Un discours soutenu par le témoignage d’Adrien Sergent, Auto-entrepreneur et initiateur du mouvement des poussins, lancé sur change.org.
Audrey Bourolleau nous a brillamment présenté la campagne menée par l’association Vins et Société pour faire pression sur le gouvernement. 95% des Français pensent que le vin est le meilleur produit pour promouvoir la France à l’international, pourtant l’Etat lance de nombreuses mesures pour lutter contre la filière. S’appuyant largement sur les réseaux sociaux, l’association est parvenue à mobilier les foules grâce à une campagne internet – cequivavraimentsaoulerlesfrançais.fr – et des call-to-action : Soutenez, Interpellez et Agissez. Cet appel à l’activisme pour sauver la filière viti-vinicole française a été savamment orchestrée, soutenue par quelques efforts de relations publiques et une parution unique dans la presse.
« Ulule, c’est 320 000 membres, 3 800 projets financés et 62% de réussite ». Alexandre Boucherot, fondateur de la plateforme est intervenu pour nous parler de la réputation au cœur du financement participatif. Le crowdfunding est principalement composé de petits financements venant d’anonymes désirant suivre l’histoire d’un projet. Comme pour le cas de change.org, ce sont les émotions et la réputation qui véhiculent l’engagement. Raphaël Sergent de la Netscouade nous a ensuite présenté les tops et les flops de 2013 en termes de gestion de la réputation. Selon lui, les meilleures campagnes de buzz restent celles qui s’appuient largement sur la cristallisation émotionnelle et sur les trois piliers : temporalité, exclusivité et contagion. Virales et efficaces.
Pour conclure la journée, Aude Baron – Rédactrice en Chef, Le Plus du Nouvel Obs – et Morvan Boury – Directeur marketing digital, Groupe le Nouvel Observateur – ont débattu de l’avenir des foules sentimentales. Les journalistes nous ont confié que dans les comités de rédaction il ne suffit plus d’avoir une actualité, on cherche à mettre en avant des histoires fortes qui vont toucher les gens. Il s’agira donc dans le futur de savoir trouver un juste équilibre entre émotion et information.
Si l’on a pu avoir quelques doutes après les interventions exposant les dangers de la multitude, on retient finalement que les foules sont – bel et bien – sentimentales. Selon Ginisty, elles sont devenues un média à part entière. L’enjeu est donc de séduire les foules par la croyance, puis de les canaliser pour les engager efficacement. S’intéresser aux comportements et non aux technologies : voilà la richesse si singulière de ReputationWar, qui s’annonce définitivement comme un événement à suivre de près.
Camille MARTIN
Pour aller plus loin:
– Retrouvez l’interview de Christophe Ginisty pour le Portail de l’Intelligence Economique
– Lisez le compte-rendu de Christophe Ginisty pour ReputationWar 2014
– Qu’il y a-t-il de social dans les réseaux?
– L’E-reputation globale n’existe pas