Géopolitique du goût : la bataille des terroirs

A l’occasion de la 7ème édition du Festival de Géopolitique de Grenoble, organisée du 12 au 15 mars 2015 par Grenoble École de Management en partenariat notamment avec CCI France International, s’est tenue une table ronde franco-suisse « Géopolitique du goût : de la bataille des terroirs à la diplomatie culinaire » animée par CCI France. Le Portail de l’IE y était. Compte-rendu de la première partie, la bataille des terroirs.

Réunis autour de Thibault Renard, Responsable Intelligence Economique, Département Industrie, Innovation, Intelligence économique de CCI France, y intervenaient quatre éminents spécialistes, avec pour la France Messieurs Dominique Dhyser et Gilles Bragard, et pour la Suisse Mesdames Dominique Barjolle et Allessandra Roversi. Compte-rendu de la première partie, la « bataille des terroirs ».

Dominique Dhyser, chef d’entreprise, L’Ecluse, ouvre la conférence sur la bataille des terroirs. Dans une époque bercée par les phénomènes de mondialisation, la dilution des frontières, les populations se mélangent, les barrières s’affranchissent.

Il en découle l’importance de protéger l’harmonie de l’Homme et de la Terre. Là est le credo de la fondation Aveterre, une école de pensée qui considère que le terroir, véritable levier d’un développement harmonieux de la société, doit être défendu, en mettant en relation des professionnels et des passionnés, via 4 actions :

  • Groupes de réflexion
  • Production de connaissance
  • Identification des problématiques stratégiques
  • Protection des labels et des brevets

Mais finalement, qu’est ce que le terroir ? Dominique Dhyser, et la fondation Aveterre  en donnent cette définition :

« Le terroir est un espace géographique et social délimité dans lequel une communauté humaine construit au cours de son histoire un savoir collectif de production fondé sur un système d’interactions entre un milieu physique et biologique et un ensemble de facteurs humains.

Il en découle une originalité, une typicité et une réputation (validées et reconnues en tant que telles par tous) spécifiques au produit final. Ce qui conduit à avoir une vision enracinée de l’homme dans son environnement physique et sociétal.Grâce à cette originalité, cette typicité et cette réputation, le terroir est un outil d’influence culturelle essentiel et remarquable pour être utilisé par toutes les parties prenantes. »

Dominique Dhyser illustre ensuite son propos par des études de cas :

La diversité de la France, sa culture et son terroir, peuvent donc devenir le modèle altruiste du monde, la véritable éthique qui créera des richesses insoupçonnées entre les Hommes, avec les Hommes, ce qui redonnera un véritable projet, un sens à la vie des générations futures qui pourront ainsi vivre dans l’harmonie.

Il faut prendre conscience que l’espace, l’eau, deviennent des biens immatériels de plus en plus recherchés. Il est vital d’être créatif et de retrouver des valeurs en combattant l’égoïsme. Pendant longtemps la Terre a sauvegardé l’Homme, c’est maintenant à l’Homme de sauvegarder la Terre.

 

Dans la seconde partie de l’intervention, Dominique Barjolle, directrice adjointe de l’Institut de recherche de l’agriculture biologique (FiBL), co-auteure de l’ouvrage « La bataille des AOC en Suisse » poursuit la réflexion sur les batailles des terroirs et vient compléter le propos de Dominique Dhyser.

L’exemple de la Suisse est frappant, puisqu’elle est en bataille pour faire reconnaître ses produits en AOP. Si pour les « locaux », les demandes sont évidentes, il n’en reste pas moins que le terroir est difficile à objectiver. Les définitions que l’on retrouve dans les accords et dans les lois ont deux dimensions 

  • Une dimension objective, notamment au travers des caractéristiques organoleptiques, la saveur, texture, forme
  • Une dimension subjective, presque offensive car chargée de symbolique (valeur identitaire, authenticité…)

Malgré les difficultés, le terroir est donc bien une valeur objective puisqu’il est issu de deux dimensions :

  • Physique – géographie, facteur naturels ( caractéristiques du sol, climat, terrain)
  • Humaine – histoire, savoir-faire (Culture, traditions, environnement socio-économique)

Le terroir est indéniablement une source de forts enjeux économiques et commerciaux, puisque les produits qui en sont issus attirent la sympathie du consommateur qui est enclin à les payer plus cher. Il est nécessaire de le protéger et d’en défendre les traditions pour éviter les utilisations abusives des appellations.

On note par conséquent de vives controverses visant à décrédibiliser ces notions de terroir. Certains opposants, dont les pays anglo-saxons hors de l’Union Européenne en première ligne, développent plusieurs lignes d’arguments complémentaires qu’il s’agit de contrer :

  • La protection serait contraire au droit de la concurrence : l’usage des noms de produits réservé aux producteurs d’une région délimitée serait contraire aux principes de la libre concurrence
  • Les indications géographiques n’auraient pas besoin d’un régime spécial de protection : la protection en tant que marque est suffisante
  • Le système d’enregistrement et de contrôle serait trop complexe et trop coûteux pour les Etats
  • Le contrôle de l’usage des noms protégés ne serait pas possible
  • La certification des AOC, IGP, IG serait un coût supplémentaire non compensé par les avantages économiques apportés par la protection

Bien évidemment, les arguments contraires, et les mesures règlementaires, ne manquent pas. Par exemple, dans l’Union Européenne, des règlements régissent le terroir depuis 1992. Récemment modifié, en 2012, le règlement sur les AOC et IPG s’est mué en un règlement unique pour tous les signes de qualité : AOP, IGP, Spécialité traditionnelle garantie, Produit de Montagne, Produit des îles. La possibilité d’introduire d’autres termes optionnels a été décidée, laissant libre d’accès la définition de nouveaux terroirs.

La réglementation sur l’agriculture biologique fait aussi partie de la politique de qualité de l’UE mais dépend quant à elle d’un règlement distinct.

Il est à noter que la France est en troisième place en nombre d’appellations AOP / IGP, après l’Italie et l’Allemagne, cette dernière déposant systématiquement toutes les bières qu’elle produit.

Au niveau international, et depuis 1995, l’accord ADPIC requiert que l’ensemble des membres de l’OMC possède un cadre réglementaire national pour la protection et l’utilisation des noms des IG pour les produits spécifiques.

L’extension de la protection additionnelle accordée aux vins et spiritueux et un registre international des indications géographiques sont en débat depuis le début des années 2000, sans progrès notable depuis 2010.

L’OMPI quant à elle, a défini deux textes concernant la répression des indications de provenance fausses ou fallacieuses :

  • Arrangement de Madrid
  • Enregistrement multilatéral des marques, y compris quand elles ont une composante d’indication géographique
  • Arrangement de Lisbonne
  • Donne une définition de l’Appellation d’Origine
  • En œuvre dans 28 Etats
  • En révision à l‘heure actuelle pour une extension de la définition, de la protection et la création d‘un véritable registre multipartite élargi à plus d’Etats membres

Dominique Barjolle conclut sur l’exemple du Gruyère, véritable enjeu culturel et commercial, source d’un contentieux entre la France et la Suisse, mais qui devait néanmoins être résolu afin que le Gruyère, au niveau international, ne devienne pas un nom générique. Les deux pays ont donc trouvé un accord : au niveau européen, le Gruyère français (avec des trous notamment, à la différence de son voisin suisse) bénéficie d’une Indication Géographique Protégée (IGP) tandis que le « Gruyère suisse » dispose lui d'une Appellation d'Origine Protégée (AOP).

Le compte-rendu de la seconde partie de la table ronde, dédiée à l’influence via la diplomatie culinaire et la gastrodiplomatie, sera prochainement mis en ligne. Seront également réalisées par le Portail de l'IE des interviews des différents intervenants, leur permettant d’approfondir leur propos.

Compte-rendu réalisé par Stéphanie Gino