« Le spectacle de la peur »

A l’aune des événements récents, Christian Harbulot, directeur de l’École de Guerre Économique et auteur de nombreux écrits d’Intelligence Économique, présente le nouvel ouvrage d’Eric Delbecque et Laurent Combalbert intitulé « Le Spectacle de la peur ». Les deux auteurs offrent une analyse fine des mécanismes de la peur et son instrumentalisation dans la sphère politique, la stratégie de marketing, mais aussi dans des logiques géopolitiques.

Nous vivons dans un monde où les repères se sont perdus au fil du temps. Les médias ont largement contribué à cette tendance des sociétés de consommation de mettre en scène de manière opportuniste les faits les plus provocateurs. La pacification des démocraties après la seconde guerre mondiale et la montée progressive du consumérisme ont abouti à un « désarmement » de la pensée collective malgré la menace sous-jacente de la guerre froide et les retombées intérieures des guerres coloniales pour la France.

Le dernier ouvrage d’Eric Delbecque et Laurent Combalbert démonte les mécanismes de ce spectacle de la peur qui est au cœur du marketing de la société de consommation. Cet ouvrage aborde les différentes formes de rapports de force géopolitiques, économiques, sociétaux qui donnent lieu à une résonance médiatique plus ou moins forte selon l’intensité de l’évènement. Il souligne aussi l’importance des mécanismes de désinformation qui affectent de plus en plus nos sociétés. Cette perméabilité à la rumeur et aux fausses informations résulte de la perte de repères des organismes de presse qui ne prennent plus le soin de vérifier ou de recouper des sources d’information qui peuvent avoir un caractère vital.

C’est notamment le cas en Syrie où un organisme proche des jihadistes a pris la dénomination d’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme qui est cité comme une référence neutre par l’AFP et relayé comme tel par la plupart des médias français alors qu’il s’agit d’un instrument de propagande. L’habillage humanitaire a suffi à convaincre les journalistes de sa bonne foi. On pourrait multiplier ce type d’exemple. Il est rare que cette dérive soit rectifiée. L’affaire Snowden est l’exception qui confirme la règle. Il a fallu le témoignage d’un ancien consultant de la NSA pour mettre en évidence l’ampleur de l’espionnage américain sur le monde, qui était considéré jusqu’à cette révélation comme une théorie du complot. Mais le scandale ne débouche pas forcément sur une mise en valeur de l’importance de l’évènement. Lorsque la presse publie les documents de WikiLeaks sur les écoutes américaines de Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande entre 2006 et mai 2012, les médias relatent le problème sans pour autant dimensionner le niveau de crise. Qu’en aurait-il été si la Russie avait été l’accusée ?

L’instrumentalisation de la peur est donc à géométrie variable. Elle est la plupart du temps de nature marchande lorsqu’il s’agit de faire vendre des exemplaires de journaux ou des consultations de sites. Mais la plus pernicieuse est la manière dont certaines puissances jouent de cet artifice pour masquer ou banaliser le sens caché de leur manipulation de l’opinion publique.

Eric Delbecque et Laurent Combalbert, Le spectacle de la peur, Paris, Jacques Marie Laffont, 2015.

Par Christian Harbulot