Les avancées de l’OIF, qu’en est-il ?

Suite à notre article du 17 décembre 2014 sur l’Organisation Internationale de la Francophonie, un de nos lecteurs a souhaité y répondre, en soulevant notamment la question des avancées de l’organisation.

Le « Forum Economique de la Francophonie » (2014, au Sénégal) fait suite à de nombreuses initiatives dans le cadre de la francophonie économique, terminologie qui semble faire son chemin depuis quelques années. En effet, il y a d’abord eu les Premières « Rencontres Internationales de la Francophonie Economique » (RIFE), à la suite du sommet de la Francophonie en 2010 à Montreux puis les secondes « Rencontres Internationales de la Francophonie Economique », au Québec, en 2012, dont l’enjeu était déjà de « créer les conditions d’une Francophonie économique dynamique, ambitieuse et solidaire ».

Par ailleurs, une première étude académique publiée en fin d’année 2012, a tenté de définir « le poids économique de la langue française dans le monde »[1]. Au travers d’une définition de périmètre originale et d’une solide méthode, les deux auteures du FERDI montrent la réalité de l’idée de francophonie économique et l’intérêt qu’il y aurait à fournir des efforts en vue de son développement. C’est d’ailleurs une des sources principales du rapport Attali publié le 26 Août 2014.

En outre, des ouvrages commencent à paraître sur la question de la francophonie économique, comme celui de M. Serge Tchaha, journaliste économique.

Dès lors, il est possible de dire que la lame de fonds de la francophonie économique a débuté il y a déjà quelques années, avec peu de réalisations concrètes à la clé.

La nomination de Mme Jean à la tête de l’OIF – qui est loin d’avoir fait consensus et qui brise subrepticement plusieurs lois tacites au sein de l’OIF[2] – amène certainement un vent de nouveauté mais c’est bien plus qu’une légère brise qu’il faudrait à cette organisation pour qu’elle se mette en ordre de bataille. D’autant que les questions économiques ne peuvent pas être traitées directement par l’OIF, puisqu’elle ne semble pas disposer des compétences en interne. Ainsi, hormis ce volontarisme affiché, aucun outil n’est mobilisable pour relever le défi ardent de la francophonie économique. De même,  Mme Jean n’a proposé que très peu de choses durant sa campagne sur cette thématique, si ce n’est que le budget de l’OIF semblait faible au regard des missions plurielles de la francophonie dans le monde.

Le cadre stratégique décennal et son plan d’actions épousent certainement le formalisme habituel de ce type de document. Pour autant :

  • Il ne semble pas que ce soit des fonctionnaires de l’OIF qui aient rédigé ces documents. Pourquoi sont-ce des cabinets privés qui rédigent de tels cadres stratégiques, puisqu’ils n’en seront ni les défenseurs ni les promoteurs ?
  • La question lancinante des statistiques n’a toujours pas été traitée. En effet, les critiques récurrentes dont font l’objet – à juste titre – les statistiques de l’OIF, ne permettent pas de fournir des fondements sains et solides à l’élaboration d’une stratégie régulière. Les articles publiés par M. Robert Chaudenson sur ce sujet sont éclairants.
  • La question fondamentale des moyens alloués souffre de ne pas avoir été posée. Tant que la francophonie économique ne disposera pas d’une ligne budgétaire opérationnelle dédiée (et non pas de la gestion de projets / fonctionnement comme c’est aujourd’hui le cas), toute intention stratégique véritable peut être considérée comme caduque. Par ailleurs, le fait que la France demeure – même avec des crédits alloués en baisse – le premier bailleur de l’OIF, demeure une question sans réponse lancinante.
  • Les réseaux professionnels représentent une tactique louable mais bien en-deçà des besoins et du retard accumulé par rapport à d’autres structures, plus légères, comme l’Union de la langue néerlandaise. Il ne faudrait pas que la francophonie économique tombe dans le travers idéologique de la société post-industrielle, qui voudrait que l’économie de services supplante intégralement l’industrie et l’agriculture. L’Histoire des trente dernières années nous a d’ores et déjà prouvé le contraire. Dès lors, il n’y aura d’économie francophone qu’industrielle.
  • La France fournit bien plus que 53% du budget total de l’OIF, comme le montre les rapports annuels établis par M. Louis DUVERNOIS, Sénateur et rapporteur sur ces questions. Cette place majoritaire de la France questionne d’ailleurs, de façon intrinsèque, le mode de fonctionnement de l’OIF et ses circuits décisionnels. La France n’ayant que très peu conscience du réservoir de possibles offert par la francophonie, cette prépondérance au sein de l’OIF, de son budget et de ses réseaux, ne dessert-elle pas la francophonie ? Allons plus loin : la francophonie économique, pour éclore puis pour vivre, n’a-t-elle pas besoin d’une structure originale propre, agile, capable de recevoir des capitaux privés et de mener des projets de façon autonome ?

Un certain nombre de questions cruciales continuent donc à se poser. Espérons que le cabinet – nécessairement renouvelé – de l’OIF y réponde finement et avec des exemples à l’appui, ce, dès 2015.

Damien Soupart 

L’auteur
Diplômé de Sciences Po Aix et de l’École de Guerre Économique (EGE), anciennement consultant en Intelligence Économique Territoriale, Damien Soupart travaille aujourd’hui en Algérie. Il s’intéresse à la structuration régionale des dispositifs d’Intelligence Économique, notamment dans une perspective francophone.

Il a également co-rédigé un ouvrage intitulé « La langue française – une arme d’équilibre de la mondialisation », livre né d’une rencontre en 2012 entre un auteur (M. Yves MONTENAY), auteur en 2004 de « La langue française dans la mondialisation » et d’un étudiant. Après plusieurs discussions, le pari est pris d’écrire une suite à ce premier opuscule qui ne serait plus seulement une somme de considérations et de statistiques sur les locuteurs de la langue française mais bien un véritable programme d’actions en faveur de la langue française dans le monde, à l’instar de ce que font d’autres aires linguistiques (anglophones, hispanophones, néerlandophones, russophones).

[2]      La règle tacite suivant laquelle un candidat africain doit être désigné ; la règle tacite suivant laquelle une personne qui a disposé de la nationalité française (par son mari) ne puisse être désignée ; la règle tacite suivant laquelle le Secrétaire Général de l’OIF ne peut pas être de la même nationalité que l’administrateur général de l’OIF (ce qui est aujourd’hui le cas).