D’une superficie équivalente à l’Île de France, le Qatar s’est imposé sur la scène internationale grâce à des investissements importants dans le sport. Ayant à sa disposition la troisième réserve de gaz au monde, mais sans réelle puissance militaire, ce petit État de la péninsule arabique s’est révélé être un acteur redoutable dans l’utilisation du sport power.
La stratégie d’émergence du Qatar…
Premier exportateur de gaz naturel liquéfié au monde, la position géographique du Qatar l’oblige à avoir une diplomatie active. Situé face à l’Iran, à proximité de l’Irak et voisin frontalier de l’Arabie Saoudite, le Qatar vit dans une zone géopolitique troublée. Après avoir déclaré son indépendance en 1971 face à la création d’une fédération entre les émirats du Golfe, le pays choisit une posture de non alignement délicate. Pour se protéger de ses voisins, le Qatar signe, dans les années 1990, un accord de coopération de défense avec les Etats-Unis. Ces derniers bénéficient ainsi d’une base militaire à l’est de Doha, proche des nombreux théâtres d’opération au Moyen-Orient.
Face à cette situation, la stratégie d’émergence de l’émirat suit deux logiques :
– Une logique économique : anticiper une baisse des revenus du gaz et inscrire l’économie du pays dans une démarche post-hydrocarbures, davantage tournée vers le tourisme et le commerce extérieur.
– Une logique diplomatique : Au-delà de la diversification de ses investissements, l’émirat s’est lancé dans la construction d’un soft power à l’international pour mettre en évidence sa modernité, sa richesse et son innovation, dans l’optique de son programme Qatar National Vision 2030. La dimension de prestige qu’apporte la diplomatie du sport (popularité, médiatisation, universalité et neutralité politique), vise à donner au Qatar les moyens de ses ambitions.
S’appuie sur une diplomatie du sport active …
A partir des années 1990, le Qatar se lance dans l’organisation de compétitions internationales tous azimuts : Coupe d’Asie des nations de football en 1988, Open de Doha de tennis depuis 1993, Masters du Qatar de golf depuis 1998, Tour du Qatar de cyclisme depuis 2002. Depuis l’obtention de l’organisation de la Coupe du monde de football en 2022, l’émirat travaille sur l’organisation d’un grand prix de Formule1. Enfin, l’objectif ultime : les Jeux Olympiques. Sur ce dossier, le Qatar devra encore attendre. En effet, sa candidature présentée pour 2020 n’a pas été retenue dans la liste des trois villes susceptibles de l’emporter.
Toujours afin de susciter l’intérêt pour ses compétitions sportives, le Qatar attire dans son championnat de football des joueurs en fin de carrière tels que Franck Leboeuf, Marcel Desailly, Gabriel Batistuta, Romario ou encore Franck de Boer. La création de l’Académie sportive Aspire démontre la vision à long terme de l’émirat. Créée en 2004 et dotée d’infrastructures dernier cri, l’objectif est d’attirer tous les futurs grands talents du sport mondial. En vue de l’organisation de la Coupe du monde de football de 2022, le projet de cette académie est de pouvoir présenter une équipe nationale compétitive.
Figure de proue de la stratégie sportive du Qatar, la World Cup de 2022 est une première dans le monde arabe et musulman. Elle confère ainsi à l’émirat un statut de leader régional, la compétition étant l’un des évènements les plus suivis dans le monde. A l’origine de l’épopée qatari, le cheikh Tamim ben Hamad al-Thani. Ce dernier cumule les mandats de président du comité olympique national qatari, président du Comité d’organisation de la coupe du monde 2022, propriétaire et président du fond d’investissement souverain Qatar Investment Authority (QIA). C’est notamment à travers la branche sport de ce fonds d’investissement qu’est exercé le soft power qatari à l’étranger.
Et des investissements à l’étranger conséquents.
Fondé en 2005, Qatar Sports Investment a permis à l’émirat d’acquérir le club du Paris Saint Germain. L’attrait pour la ville de Paris permet ainsi au Qatar de communiquer à l’échelle planétaire. En s’emparant également du sponsoring du FC Barcelone, le pays s’est offert un rayonnement planétaire, grâce à la vente du maillot du meilleur joueur du monde, Lionel Messi à des millions d’exemplaires. Par ailleurs, le réseau qatari est puissant : dans le championnat espagnol, un cousin de l’émir du Qatar, Abdulah bin Nasser al-Tahni est propriétaire du club de Malaga.
Même si le football demeure la discipline sportive attirant le plus d’investissements, le Qatar ne se limite à aucun sport. L’émirat investit également dans les sports équestres, en élaborant un partenariat entre France Galop et le Qatar Racing & Equestrian Club, ainsi que dans le cyclisme, notamment via l’accord entre Qatar Airways et le Tour de France. Profitant de la réussite footballistique du club de la capitale française, le Paris Handball se retrouve rattaché à la structure omnisport qu’est devenu le PSG. A l’image du football, cet investissement dans le handball s’est matérialisé par l’accueil de la Coupe du monde en 2015, et la création d’une sélection nationale atteignant la finale face à la France.
L’émirat s’est aussi doté d’une stratégie marketing offensive. Depuis 2007, ce dernier a développé la marque Burrda Sport. En devenant le fournisseur des clubs de rugby du RC Toulon et du Biarritz Olympique ainsi que du club de football de l’OGC Nice, Laurent Platini, directeur exécutif de la marque, est toujours à la recherche du contrat qui permettra à la marque de s’imposer comme un acteur majeur. Grâce à la coupe du monde de 2014, Burrda Sport a toutefois remporté l’un de ses premiers succès d’envergure : fournir l’équipe nationale de football belge.
Surtout, l’atout majeur permettant au Qatar d’asseoir son influence sportive à l’étranger est Al-Jazeera Sport, une chaine de télévision internationale dédiée au sport, rebaptisée beIN Sports le 1er janvier 2014. Ici encore, le réseau qatari bat son plein : Nasser al-Khelaifi, actuel président du PSG, est également le Président Directeur Général de beIN Sports ainsi que de Qatar Sports Investment. Un cercle vertueux se met alors en place : les investissements au sein du PSG rendent le championnat attractif, faisant ainsi augmenter les droits télévisuels de retransmission, détenus par les mêmes individus. Diffusant la quasi-totalité des championnats de football, détenant les droits de la NBA, de Roland Garros et de bien d’autres compétitions, beIN Sports est devenu un acteur incontournable qui inquiète de plus en plus la concurrence.
Une diplomatie du sport contestable ?
Au-delà du manque de légitimité de l’émirat à devenir la capitale mondiale du sport (population de nationaux essentiellement subventionnés par l’Etat, réserve limitée de sportifs éligibles pour jouer en sélection, faible intérêt général de la population pour les sports occidentaux), la réalité derrière le succès économique du Qatar peut constituer un frein dans cette quête de pouvoir. La question juridique et religieuse du système de la kafala, appliqué sur des travailleurs venant de tous les horizons, s’apparente à une situation d’esclavage moderne. Avec le regard du monde braqué sur lui, le Qatar s’est saisi de cette question. En effet, pour ne pas donner l’opportunité à ses adversaires d’anéantir son « sport power », l’émirat a présenté une nouvelle loi, le 30 octobre 2015, mettant fin au système controversé de parrainage qui mettait l’employé à la merci de son employeur.
La stratégie d’influence du Qatar, à travers cette diplomatie du sport, s’avère donc efficace. En se construisant une image positive aux yeux du monde, l’émirat peut ainsi mener une guerre économique discrète, qui passe par la prise de participations dans les capitaux de grandes entreprises, du rachat de terres arables ou encore en investissant dans l’immobilier de luxe. Dans cette stratégie globale, le « sport power » qatari s’impose comme une arme d’influence décisive.
Johan Cirion