Le 14 février dernier, Donald Trump déclarait par la voix de son porte-parole Sean Spicer qu'il s'attendait à voir la Russie restituer la Crimée à l'Ukraine et à assister à une baisse de la violence dans la région. Cette déclaration diplomatique révèle deux choses.
- D'abord, cette prise de position a surpris la plupart des médias américains et français. Ces derniers ont largement surestimé le rapprochement annoncé entre Donald Trump et Vladimir Poutine. Certains propos du candidat Républicain avant son élection et l’ombre médiatique d’un « complot russe » sur le processus électoral ont fait oublier à bon nombre de commentateurs que Donald Trump a maintenu l’ambiguïté tout le long de sa campagne à propos de sa politique étrangère à l’égard de Moscou.
- C’est d’ailleurs le second enseignement qu’il faut retenir de cette déclaration : Donald Trump, dès les premiers mois de sa campagne et de sa présidence, ne cesse de jouer à l’équilibriste entre deux pôles antagonistes. Sa déclaration sur la Crimée n’est qu’un gage accordé au camp Républicain, et plus précisément à son aile néo-conservatrice la plus hostile à un apaisement des relations avec la Russie.
Une présidence qui commence avec l’hostilité de son propre camp.
Qui sont ces deux pôles antagonistes ? Le parcours électoral de Donald Trump s’est déroulé en trois temps, chacun mobilisant à différents degrés deux acteurs : une force de frappe médiatique et influente l’Alt-Right, et le puissant parti Républicain.
Dans les premiers mois de sa campagne pour la primaire Républicaine, Donald Trump apparaît largement isolé : outsider, sans puissants relais au sein du camps Républicain (réseaux d’élus, think thank…), il émerge en surfant sur une force nouvelle, l’Alt Right. Loin d’être une organisation structurée, c’est avant tout une nébuleuse aux contours flous, allant de l’extrême droite suprématiste blanche à une droite conservatrice américaine plus modérée, mais isolationniste et hostile au libre-échange. Cet ensemble hétéroclite est uni dans une commune opposition à l’establishment du Parti Républicain. Pour l’Alt-Right, la droite moderne américaine, trop centrée sur les enjeux économiques et les intérêts des grands groupes, délaisserait l’Amérique profonde et son identité. Le mouvement s’est structuré sur internet, notamment autour du très influent site breitbart.com. L’Alt-Right soutien Donald Trump précisément parce qu’il brise le consensus « conservateur-libéral » du « Grand Old Party »: plus radical que la plupart des candidats Républicains en matière d’immigration, il aborde cependant peu les questions de mœurs et n’hésite pas à critiquer le libre-échange et Wall-Street. Un positionnement qui paie médiatiquement et électoralement.
Devenu le candidat du Parti Républicain en avril 2016, Donald Trump n’aura de cesse de faire la jonction entre deux forces centrifuges : l’Alt-Right (sans laquelle il n’aurait probablement pas pu remporter la primaire) et le Parti Républicain (sans lequel il ne remportera pas la présidence). Tout oppose les deux mouvements : en Économie, le Parti Républicain s’est converti massivement au libre-échange et au libéralisme depuis les années 80, tandis que les figures de l’Alt-Right (comme Steve Bannon, à la tête de breitbart.com) s’affirment « nationalistes économiques », favorables au protectionnisme et aux politiques publiques de grands travaux. En politique étrangère, le courant Neo-Conservateur et son interventionnisme sont largement devenus majoritaires au sein du Parti Républicain, tandis que l’Alt-Right défend au contraire une ligne isolationniste. Enfin, la politique migratoire ferme réclamée par l’Alt-Right s’oppose régulièrement à la libre circulation des capitaux et des personnes, des plus libéraux républicains. Tout au long de sa campagne, Donald Trump est l’épicentre d’un consensus fragile entre des tendances contraires de la Droite américaine. Chaque prise de position doit alors concilier ces deux forces rivales.
Depuis son arrivée à la Maison Blanche, le nouveau président américain donne quelques gages à ses plus fervents partisans de l’Alt-Right (nomination de Steve Bannon comme conseiller, politique migratoire plus stricte, déclarations protectionnistes…) mais surtout il multiplie les signes d’apaisement à l’égard de l’establishment Républicain (détricotage de l’Obamacare, aucune mesure d’envergure contre le système financier, promesses d’allègement de la fiscalité…). Car désormais, les rôles se sont inversés : en position de faiblesse lors de la victoire de Donald Trump aux primaires, le parti Républicain n’avait alors pas eu d’autres choix que de soutenir du bout des lèvres son nouveau candidat. Désormais aux manettes du pays, l’extravagant millionnaire doit composer avec un système politique américain où la présidence doit impérativement coopérer avec le Congrès. Ce dernier, majoritairement Républicain, est composé de très nombreux élus comme John McCain, fermement décidés à paralyser la nouvelle présidence.
Mais qui veut la peau de Donald Trump ?
Or, depuis plusieurs semaines les « affaires » autour du président des États-Unis se multiplient. Le 6 janvier, plusieurs médias américains dont CNN ou le Washington Post, diffusent un rapport du renseignement américain affirmant que les autorités russes seraient à l’origine des piratages informatiques subis par le Parti Démocrate. Une manœuvre qui aurait été orchestrée par Moscou, via des organes comme Wikileaks, afin de déstabiliser Hillary Clinton au profit de Donald Trump.
Le 11 janvier, le site buzzfeed.com diffuse un « dossier » sur le président américain : une sulfureuse histoire de sex-tape avec des prostituées russes à Moscou. Ce « document confidentiel » aurait été transmis à James Comey, directeur du FBI, par John McCain, puis aurait par la suite fuité dans la presse. Seul bémol : le scénario aurait été construit de toute pièces par des internautes farceurs du forum 4chan, dépassés par leur blague potache. Un détail qui n’a pas empêché les médias américains et français de reprendre en boucle l’information sans la vérifier, puis sans s’excuser.
Le 20 janvier, le New-York Times annonce que les services secrets américains auraient ouvert une enquête sur Paul Manafort un proche de Donald Trump, pour ses liens avec la Russie.
Le 13 février, le conseiller à la Sécurité Nationale de Donald Trump, Michael Flynn démissionne. Quelques jours auparavant, le New-York Times et le Washington Post avaient révélé des conversations entre certains officiels russes et Michael Flynn. Ces échanges téléphoniques auraient eu lieu entre la victoire de Donald Trump et son arrivée à la Maison Blanche, et auraient portées sur la question des sanctions internationales contre la Russie.
Une partie de l’establishment Républicain pourrait bien être à l’origine de la multiplication de ces attaques informationnelles : John McCain avait lui-même assumé être à l’origine du dossier confidentiel de la sex-tape. Un rapport de force qui passerait donc par la diffusion d’informations plus ou moins valides et qui visent à saper la légitimité du nouveau président et l’empêcher d’appliquer sa politique. Le 16 février dernier, le député de l’aile gauche du parti Démocrate Dennis Kucinich déclare sur Fox News que selon lui, les conversations téléphoniques de Michael Flynn avec les autorités russes ont été interceptées mais aussi diffusées auprès des médias par les services secrets américains, afin d’affaiblir à Donald Trump. Les positions d’apaisement à l’égard de Moscou du conseiller à la Sécurité Nationale entraient de plein fouet en conflit avec la ligne « dure », interventionniste et néo-conservatrice partagée par les poids lourds du Parti Républicains et leurs relais parmi les services secrets. Une ambiance délétère qui s’est encore accentuée ces derniers jours avec le cas de Milo Yiannopoulos. Journaliste britannique et surtout figure emblématique de l’Alt-Right, il vient de perdre successivement un contrat d’édition pour son prochain livre et son poste sur breitbart.com: en cause, une ancienne vidéo qui refait surface dans laquelle il parle de son homosexualité assumée et où il défend les relations entre des hommes mûrs et des garçons plus jeunes. Accusé de promouvoir la pédophilie, Milo Yiannopoulos a rejeté ces accusations, arguant qu’il parlait de jeunes adultes et non d’enfants. Une déclaration qui n’a pas suffi et qui a provoqué sa chute. Or, c’est un compte Twitter conservateur « The Reagan Battalion » qui a diffusé en premier ce montage sur les réseaux sociaux. Dans les commentaires des articles de Breitbart et dans les déclarations radio de certains membres de l’Alt-Right le coupable est tout trouvé : c’est le parti Républicain et ses réseaux dans les services de renseignement qui sont à l’origine de cette campagne qui vise l’Alt-Right, et par ricochet Steve Bannon et Donald Trump.
Si le rapport de force entre l’establishment Républicain et Donald Trump est bien réel, notamment sur la Russie, impossible pour l’instant de savoir dans quelle mesure ces réseaux néo-conservateurs sont impliqués dans la multiplications des affaires et les rumeurs médiatiques qui handicapent les premières semaines de la nouvelle présidence.
D’ailleurs, malgré quelques tweets contre John McCain, Donald Trump concentre la majorité de ses attaques contre les médias traditionnels et n’attaque pas frontalement le camp républicain qui lui est le plus hostile. Comme lors de sa campagne, le nouveau Président se contente d’accuser les médias de propager des « Fake News » : il retourne l’accusation de manipulation de la vérité et de propagation de mensonges contre les médias eux-mêmes. Par ailleurs, depuis son élection, Twitter reste le moyen de prédilection pour le nouveau chef d’Etat américain pour diffuser ses messages en contournant ainsi les médias traditionnels, tout en s’imposant régulièrement au centre du jeu médiatique. Mais si ce type d'« affaires » et les attaques informationnelles se multiplient, il n’est pas certain que la seule accusation de « fake news » tienne bien longtemps.