Le jeu d’influence des super-héros

Superman, Batman, Catwoman, Captain America, Flash, Wolverine, Iron Man, Hulk, Doctor Strange, Mr Fantastique, Thor, Green Lantern, Cyclope, Wonder Woman, et tant d’autres … Les super-héros ont marqué la deuxième partie du XXème siècle et font depuis les années 2000 le marketing des blockbusters hollywoodiens. Le dernier livre d’Eric Delbeque, Les Super-Héros pour les nuls, approfondit l’histoire des comics pour comprendre comment ils peuvent relever d’une stratégie marketing.

Ces célèbres justiciers combattent toujours les grands méchants qui mettent à mal l’ordre mondial établi, que l’Amérique forte et invaincue doit  impérativement sauver. Bien qu’une description comme telle puisse apparaître simpliste, les faits sont plus abrupts que cela : les super-héros apparaissent comme un levier d’influence de l’hégémonie américaine, les auteurs cherchant à renvoyer une image de la société au plus près de la réalité.

Toujours la même histoire depuis 1938

 

Les comics sont considérés depuis 1938 comme un genre à part entière de bandes dessinées. L’Âge d’Or des comics (1938-1955) pose le cadre des super héros tel qu’on le connaît de nos jours : implantant dans le paysage médiatique des héros qui sont toujours d’actualité, comme Superman ou Batman.

DC Comics étant la première maison d’édition en matière de comics, ce n’est qu’à l’Âge d’Argent (1956-1972),  que son concurrent principal débarqua, avec son lot de héros. Marvel se concentre sur les personnages en eux-mêmes et sur leurs capacités individuelles, alors que DC Comics cherche à approfondir les souffrances et les joies des personnages, les rendant plus humains et plus proches de la personne qui les lit. Les Âges d’Or et d’Argent des comics sont surtout marqués par un super-héros quasiment toujours défini de la même manière. Le super-héros « de base » a des superpouvoirs, ou du moins des super-capacités, une identité secrète, porte un costume pour montrer sa personnalité et un code moral bien défini. Les super-héros font alors toujours une apologie du « bien » : image de puissance américaine, le héros sauve la planète de par son intelligence et sa volonté morale.

Superman, super-héros en chef, en est la preuve même : sauveur, symbole de la puissance des États-Unis dans un monde bipolaire en pleine Guerre Froide, il incarne la résistance contre l’empire nazi. De même, Captain America, dans la même trame que Superman, mais sans les superpouvoirs, a également cette posture de défenseur de la société contre une seule et même attaque : celle des nazis. Il a disparu en 1950, l’empire nazi s’étant effondré et le personnage perdant alors la raison de sa nécessité de démonstration de force.

Cependant, devenir un super-héros n’est pas donné à tout le monde. Les débuts de l’histoire des personnages correspond à un voyage initiatique dont les étapes sont souvent les mêmes. En effet, Iron Man n’est pas né Iron Man, il est né Stark et est devenu le super-héros qui lui a valu sa célébrité suite à un enchaînement d’évènements. Le process est très généralement déroulé en cinq étapes : l’appel à l’aventure, une série d’aventures, l’atteinte d’un objectif, le retour vers le monde ordinaire puis l’utilisation du gain. Cette procédure pour « devenir un super-héros » souligne la volonté première de l’effet des super-héros : démontrer l’apprentissage de la responsabilité qui rend le personnage intègre et à-même de défendre l’intérêt général en défiant toute forme d’égoïsme qui pourrait l’éloigner de sa mission première.

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Wolverine, quand il est transformé en mutant, aurait pu utiliser ses capacités pour promouvoir ses intérêts personnels, il est même montré dans son histoire qu’il l’a fait. Mais c’est la procédure qui l’a rendu « super-héros » et qui l’a poussé à devenir un « gentil » : il a acquis par ses erreurs un sens de sacrifice de soi et est désormais capable d’actes dépourvus d’égoïsme, protégeant les siens et la cause qu’il défend contre les propositions qui lui sont faites.

 

Des héros pour refléter une société en transition – L’Age de Bronze

Force est de constater que depuis l’Age de Bronze (1973-1985), les super-héros ont pris un virage plus sombre. Finie l’innocence, le super-héros super-gentil qui défend la cause d’intérêt général en respectant toutes les règles de bienséance. De nouveaux héros apparaissent sur le devant de la scène et une nouvelle génération, plus sombre, émerge.  Le but est toujours le même : améliorer le monde, mais la communication est différente.

A l’époque de Captain America, les parents voyaient déjà ces comics négativement : trop violents, trop immoraux. Désormais, les maisons d’édition se concentrent sur la personnalité des différents protagonistes. En effet, les deux maisons d’éditions, DC Comics et Marvel, concurrentes depuis toujours, cherchent à illustrer, par leurs personnages, la société contemporaine. Leur but est clair : créer un phénomène d’identification auprès du lecteur, par le moyen de personnages individuels, forces de la nature, qui ont des superpouvoirs ou non. Le super-héros appartient toujours à différentes catégories : l’homme naturel, accompli, augmenté, artificiel, mutant, magicien, extra-terrestre, roi, prince, demi-dieu, ou monstre, mais il reste un homme.

Allant plus loin que leur prisme premier de divertir, les comics mettent en parallèle les travers de la nature humaine par des héros plus complexes et moins divisés entre « super-gentils » et « super-vilains ». Ils ont la capacité de fournir une réelle critique de la société dans laquelle ils s’inscrivent : déjà à leur époque, Tarzan critiquait l’éducation bourgeoise et Zorro la lutte contre la corruption. Les héros, avec le temps, se complexifient et ne deviennent plus porteurs d’une seule idéologie mais plutôt d’une vision nuancée de la société.

Iron Man fait l’apologie de la technologie et de la science, mais la popularité d’un homme riche détenant les clés d’une supériorité physique et intellectuelle peut expliquer la peur d’une montée d’un totalitarisme si l’on ne contrôle pas les avancées technologiques du monde moderne.

 

Les héros des Trente Glorieuses supportent cette idéologie commune d’un monde occidental en croissance où tout est possible, bien qu’il soit important de souligner que les héros tels qu’ils sont présentés par les comics ne sont pas révolutionnaires mais réformateurs. Ils ne luttent pas contre l’ordre établi du « bien », sauf si celui-ci est une dictature ou une organisation puissante qui rivalise avec le gouvernement existant. Le héros cherche le progrès et lutte contre le conservatisme des idées. Savoir gérer les crises politiques est un élément central de son job, bien qu’ils doivent jongler avec leurs propres problèmes et les méchants qui les poursuivent. Le héros révèle l’ambiguïté de la nature humaine et soutient une seule et même idée : faire ressortir le meilleur de l’Homme, croire à la liberté et au progrès malgré tout.

 

Des héros inscrits dans le XXIème siècle

Depuis les années 2000, les comics appartiennent à l’industrie culturelle, Marvel appartenant désormais à Disney et DC Comics à Warner. Même dans le cinéma, c’est l’industrie américaine qui prime et qui a réussi à prolonger la popularité des comics par le biais des blockbusters hollywoodiens. Alors que les premiers films renvoyaient au comics d’avant les années 1990, où les méchants n’étaient pas assez fort pour que les super-héros les battent sans trop d’acharnement, depuis quelques années les méchants sont devenus très sombres. Ce sont de réels « super-vilains » machiavéliques, puissants mais aussi attachants et complexes. Le Joker en est l’exemple le plus marquant : d’abord décrit comme un psychopathe dangereux, son évolution au sein des comics l’a dépeint comme un farceur malicieux et maladroit, alors que sa représentation au sein de la saga The Dark Knight souligne une noirceur et avance la profondeur du personnage : le spectateur apprécie le méchant, bien que ses faits et gestes soient d’une cruauté sans nom.

Les héros du XXIème siècle jouent sur plusieurs plans : les écrans et les comics. Souvent représentés par le passé comme évoluant dans un futur plus ou moins proche, ils sont désormais dans ce futur là : notre époque.  Ils se retrouvent en pleine scène mondiale et se voient affabulés des grands maux du siècle : darwinisme social, évolution de la génétique, aventures scientifiques, cybermonde, etc. Ils sont toujours confrontés à la même problématique : l’avenir de la planète, et sont toujours définis de la même manière : des êtres déchirés asservis par le mythe du sauveur. Leurs adversaires ont néanmoins évolué, les « super-vilains » utilisent désormais des armes plus difficiles à contrer, plus proches de la réalité. Le nucléaire est souvent avancé comme une arme capable de mettre à mal l’ordre mondial par les méchants, véhiculant par ailleurs la volonté d’une conscience écologique du lecteur.

Les nouveaux super-héros post-l’an 2000 ne sont plus seulement surnaturels, ils dépassent les limites de la science et c’est en cela qu’ils se rapprochent de plus en plus des problématiques placées au centre du débat public.

 

« Les super-héros habitent l’espace du croisement entre la science et le super-naturel »  Eric Delbecque

 

Les nouveaux super-vilains des comics ne sont plus juste des dictateurs ou des membres d’une organisation machiavélique : ils cherchent désormais à égaler Dieu par leurs capacités et tiennent entre leurs mains la décision de la vie ou la mort de populations d’innocents. Ils cherchent désormais à régner et utilisent les moyens technologiques modernes mis à leur disposition pour repousser leurs limites. Le super-héros pré-Âge moderne des comics, malgré ses capacités surnaturelles, était limité par sa condition humaine. Désormais, les lois de la nature sont défiées dans les comics, les auteurs étant en pleine négation des limites imposées aux hommes : les héros ont même la capacité de réécrire le présent palliant à la fatalité des faits produits, comme Cyclope/Scott dans la série des X-Men. Les super-héros, ayant désormais les mêmes facultés que Dieu (décider de la vie ou de la mort d’innocents) sont alors face à un enjeu majeur : réussir à faire preuve de conscience. Ce cas a été illustré par les comics des Illuminati [1], groupe de sept super-héros, qui avait construit des bombes antimatières afin de réduire à néant les héros qui protègent des planètes attaquant la Terre. Avant de déclencher la première bombe, ils se rendirent tous (sauf un, Namor) compte qu’ils n’ont pas la capacité de décider de la mort ou de la vie de millions d’innocents pour défendre leur cause, ce pouvoir n’incombant qu’à un Dieu.

Ce changement de paradigme au sein de la vision des pouvoirs des super-héros s’inscrit dans le monde actuel, dépeint comme plus menaçant et dangereux dans la littérature romancée de manière générale. Outre les avancées scientifiques qui permettent aux héros d’exploser leur quota de capacités réelles, les comics cherchent également à s’inscrire dans les faits marquants de l’Histoire du monde. Le terrorisme, fléau publiquement majeur du XXIème siècle, en fait partie. En décembre 2011, suite aux attentats du 11 septembre à New York, un numéro spécial de The Amazing Spiderman est consacré à cet événement et à comment Spiderman pourrait vaincre le terrorisme. C’est plus le terrorisme que les terroristes qui sont mis en lumière par les comics : le but est bien de souligner la barbarie des actes et leur horreur.

Le Joker, pire ennemi de Batman, est un pur terroriste et ses actes de cruauté sont un moyen pour les comics de dénoncer l’horreur des meurtres de milliers d’innocents. C’est là la nouvelle portée des super-héros, promouvoir la raison face à l’obsession de puissance, invoquant le rôle de Dieu comme puissance suprême, supérieure à celle de tout homme, aussi augmenté soit-il.

 

L’idéologie du « bien penser » américain, levier d’influence

Auprès des éléments étudiés ci-dessus, il est relativement simple d’observer que les super-héros et la diffusion de leurs aventures sont des leviers d’influence pour l’image véhiculée du « bien penser ». En effet, malgré leurs doutes, plus approfondis qu’avant, et leurs personnalités plus construites et plus sombres que leurs semblables cinquante ans plus tôt, le super-héros reste toujours dans son prisme premier : vaincre les méchants et sauver le monde. Produits de l’industrie culturelle américaine, ils promeuvent cette idée selon laquelle les États-Unis sont cette puissance hégémonique qui est la seule à avoir la capacité de sauver le monde, puit des techniques scientifiques et technologiques les plus avancées.  La volonté des comics reste tout de même la même depuis leur création, celle d’illustrer les tendances d’une époque. Les comics des années 2010 reflètent plusieurs points : l’angoisse de l’avenir, le culte du progrès, l’individualisme, le refus d’accepter le monde tel qu’il est, ou encore l’élitisme. Ces angoisses telles qu’elles sont présentées véhiculent un bon sentiment de vouloir mener le monde à bien mais souligne aussi la mise à l’écart de ces « vilains » qui luttent contre l’ordre établi, les super « gentils » défendant l’idéologie de protéger le monde tel qu’il est, amenant parfois la volonté de réformer au nom du progrès.


Les Super-héros pour les nuls, Eric Delbecque, 2016, Editions First..

[1] Les Illuminati sont : Iron Man, Docteur Strange, Namor, Mr Fantastic, le Fauve, Flèche Noire, et Hulk.