Le contrat concluant la vente de 12 sous-marins produits par Naval Group à l’armée australienne en 2019 fait depuis l’objet de critiques constantes venant de nombreux acteurs. Ainsi se joue une guerre de l’information mêlant intérêts politiques, concurrents de Naval Group et relais médiatiques obligeant le géant français du maritime à sortir de sa réserve pour défendre ses positions.
Après une visite de quatre semaines en Australie, le Président Directeur Général de Naval Group Pierre-Eric Pommelet revient en France après, selon La Tribune, avoir atténué les tensions grandissantes autour du « contrat du siècle ». Celui-ci prévoit la livraison de 12 sous-marins de la classe Attack, dérivés du modèle Shortfin Barracuda, pour un montant de 50 milliards de dollars australiens (32 milliards d’euros). Une décision qui marque le début d’une collaboration d’au moins cinquante ans.
Cette commande est historique pour l’Australie puisque le pays va doubler sa capacité actuelle de sous-marins, en y adjugeant le plus gros budget jamais alloué à un programme de défense. En effet, les sous-marins français ont pour objectif de remplacer les six sous-marins actuels de la classe HMAS Collins conçus par le suédois Saab-Kockums, mis en service en 1996. Naval Group avait su répondre aux hautes exigences émises par l’Australie ; la Royal Australian Navy ayant reconnu des défauts techniques et déficiences majeures, mises en avant dans un rapport du ministère de la Défense Australien en 1999, estimant la classe Collins comme inapte au combat.
Une situation qui n’est jugée plus acceptable par les autorités australiennes, à l’heure où la Royal Australian Navy prend une place plus importante dans l’affirmation de la politique étrangère australienne et dans l'alliance quadrilatérale, accentuée par les tensions avec la Chine en mer de Chine méridionale. Souhaitant concurrencer Pékin avec une capacité militaire technologiquement supérieure, l’achat de ces sous-marins, capables d’opérer loin, longtemps, de rester discret tout en ayant une réelle force de frappe, – antinavires, torpilles, mines, drones, missiles de croisières – répond à cette logique.
Le contrat au cœur de l’échiquier politique australien
Si le contrat est remis en cause perpétuellement depuis sa signature, c’est un article d’Alan Austin pour le site d’information The Independent Australia qui a remis le feu aux poudres, concluant que la visite en Australie du Président Directeur Général de Naval Group Eric Pommelet était un signe qui annonçait une rupture proche du contrat signé en 2019. Cet article évoque le fait que les autorités politiques australiennes ont pris cette décision à la suite de multiples points de tensions, que ce soient les retards de livraisons, ou encore le non-respect que 50% de la production se fasse en Australie. Cet article a ensuite été repris en boucle, que ce soit localement ou à l’étranger, entachant la réputation du constructeur naval de défense français.
Cependant, il est important de relativiser la crédibilité de la source émettrice. The Independent Australia est considéré comme progressiste, républicain, et est dirigé par David Donovan, un ancien porte-parole de l’Australian Republican Movement, un des partis d’opposition du gouvernement actuel. Parmi ses fondateurs se retrouvent l’ancien Premier Ministre Malcolm Turnbull (qui a rejoint ensuite le parti libéral), remplacé par Scott Morrison, qui accuse l’actuel chef politique du pays d’avoir mené un double jeu provoquant sa chute pour accéder au pouvoir politique australien. De même, l’auteur de l’article, plus habitué aux articles politiques et économiques qu’au sujet militaire, ne cache pas son rejet pour le gouvernement actuel et manifeste des prises de positions assumées proches de l’opposition, le tout enveloppé par des titres très accrocheurs.
Tout ceci intervient dans un contexte électoral précis, avec des élections législatives en Australie-Occidentale ayant eu lieu le 13 mars 2021, gagnées par le parti travailliste, qui traditionnellement font figure d’antichambre aux élections fédérales de 2022. Annoncés au coude à coude dans les instituts de sondage, l’annonce d’une rupture de contrat a pour but d’influencer l’opinion, afin de faire basculer les votes au profit de l’opposition ; d’autant plus que les citoyens sont dans l’obligation de voter et ne peuvent s’abstenir. Les sites d’informations et relais d’opinion travaillistes ont repris cette information pour critiquer le gouvernement libéral actuel, dans une logique de dénigrement électoral.
L’ombre de la concurrence dans le déballage médiatique
Le marché des industriels navals européens est très concurrentiel. Naval Group a pour principaux concurrents l’espagnol Navantia, l’allemand TKMS, le néerlandais Damen ou encore le britannique BAE Systems. A cela s’ajoute le suédois Saab-Kockums, qui mène une guerre de l’information envers le contrat australien signé en 2019. Celui-ci espère un revirement des autorités australiennes pour établir un nouveau contrat, indispensable face à des finances exsangues qui menacent la survie du groupe. En effet, le site internet Submarines for Australia, avait réalisé une étude ayant conclu que le basculement vers Saab-Kochums représentait une meilleure alternative, permettant de réduire les coûts. Des conclusions aussitôt reprises par l’opposition, malgré les démentis du ministère de la Défense Australien.
Auparavant, les révélations du journal The Australian en août 2016, ont dévoilé des fragments d’informations techniques concernant des sous-marins destinés à l’Inde, issus d’une fuite massive de documents en 2011. Des questions s’étaient alors posées concernant les motivations de ces révélations stratégiques, ayant eu lieu lors des négociations entre les autorités australiennes et le groupe français. D’autant plus que le modèle en question (Scorpène) lors de ces fuites ne concerne pas la classe Attack, objet du contrat. Toutes ces attaques ont conduit l’ancien PDG Hervé Guillou à considérer Naval Group comme victime « d’attaques de campagnes de désinformation » dès février 2020.
Une confiance érodée par des erreurs passées
Cette opération d’influence n’aurait pas pu avoir un tel résultat si des erreurs n’avaient pas été commises aussi bien par les instances australiennes que Naval Group ; autant de brèches dans lesquelles ont pu s’engouffrer concurrents et oppositions.
Le point majeur concerne le respect d’inclure 50% des industriels australiens dans le programme, qui était l’argument majeur de Naval Group dans l’obtention de ce contrat, prévoyant la conception des sous-marins à Cherbourg et la grande majorité de la fabrication à Adelaïde. Dès les premiers mois suivant l’obtention du contrat, des critiques sont apparues émanant des médias australiens concernant la construction de sections de la coque à Cherbourg, qui respectait pourtant les termes signés lors du Strategic Partnering Agreement entre Paris et Canberra. Ensuite, ce sont les propos même de John Davis, PDG de la filiale Naval Group Pacific qui ont fait scandale. Celui-ci avait émis de sérieux doutes sur les capacités des fournisseurs australiens de respecter les objectifs du programme, jetant le trouble sur le respect des fameux 50% des contrats liés à la fabrication des sous-marins. Ces propos ont obligé Naval Group à augmenter sa jauge à 60% de sous-traitants australiens. Il apparaît donc que Naval group n'a pas su à l'époque répondre aux attaques informationnelles.
Un autre point d’incompréhension figure dans le coût global de ce partenariat. Annoncés à 50 milliards de dollars australiens en 2016, le montant a été recalculé à 80 milliards en novembre 2019, en excluant le coût d’exploitation évalué à 145 milliards. Cette hausse des coûts, parfois gonflée dans certains médias, a pu être elle-aussi critiquée dans les médias. Pourtant, ces coûts n’étaient pas calculables en 2016, et l’ajout de coûts supplémentaires étaient hautement prévisibles. Un problème de communication de plus qui a entaché la réputation de Naval Group dans le monde entier.
Le précédent de Rafale en Inde
A l’issue de la visite de Pierre-Eric Pommelet, le constructeur naval de défense français réaffirme sa capacité à maintenir les coûts et tenir les délais et engagements industriels. La confiance serait retrouvée et un nouveau dynamisme est impulsé, bien qu’il soit impossible de prévoir de nouvelles difficultés pour la réalisation de contrat.
Un épisode précédent aurait pu mettre la puce à l’oreille des dirigeants de Naval Group : le cas de la vente de Rafale en Inde en 2016. D’après des informations du Monde, l’homme d’affaires indien Anil Ambani aurait bénéficié de la part du fisc français d’un effacement de plus de 140 millions de dette fiscale, alors que la France négociait la vente de 36 Rafales pour un montant de 8 milliards d’euros. Sa société, Reliance Aerospace Limited, fait partie des entreprises partenaires du projet. Celui-ci étant proche de gouvernement Modi, ces informations avaient été reprises par l’opposition et diffusées massivement dans tout le pays malgré les démentis indiens et français d’un quelconque arrangement pour l’obtention du contrat ainsi que du montant de l’annuellement de dettes. Ces informations ont été reprises par la presse de façon massive en Inde, soutenues par les concurrents de Dassault et le parti du Congrès, dans un contexte d’élections législatives, mettant le discrédit sur le gouvernement Modi, la France et l’industriel français.
Ces campagnes de désinformation sont vouées à se répéter, et les industriels français doivent se préparer à faire front. En témoigne le cas de Lockheed Martin, responsable de l’élaboration du système de combat de la classe Attack, qui a eu affaire lui-aussi à des controverses. Critiqué sur leur capacité à respecter l’engagement de recruter 50% de sous-traitants locaux, l’industriel américain n’a pas fait face aux mêmes répercussions que Naval Group. Installé depuis longtemps en Australie, il bénéficie d’une plus grande confiance que son partenaire et concurrent français qui devrait s'atteler désormais à considérer le risque informationnel pour ses futurs contrats.
Thibault Menut
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