Chaos informationnel et media-washing : comment la communication russe cible la France

Dès qu’il est question de la France dans la communication russe, officielle ou médiatique, la première impression est celle d’un chaos d’informations contradictoires. Ce chaos informationnel n’est pas fortuit ; il répond à une stratégie globale de communication à destination de l’Occident, bien au-delà du seul cas de la France, et de la scène intérieure russe. L’objectif est double : en Russie, étayer le narratif du Kremlin, en Occident, fragiliser notre confiance dans les médias et faire émerger le discours russe comme un équivalent. Illustration avec un cas d’école de désinformation russe à destination de la sphère médiatique francophone : la présence supposée de la Légion Etrangère française en Ukraine. 

Dans les premiers mois de son invasion de l’Ukraine, alors que les réactions occidentales sont encore brouillonnes et balbutiantes au-delà des sanctions économiques envisagées, la Russie a plutôt tenté de ménager la France, essayant même de ressortir l’argument de l’opposition française à l’invasion américaine de l’Irak en 2003 pour tenter de diviser le camp occidental. La France a néanmoins rapidement « déçu » la Russie par la suite. 

Pour autant, en 2022 comme en 2023, sur un plan strictement informationnel, la France n’est qu’une cible parmi d’autres, considérant que sa rhétorique guerrière est plus mesurée que celle de la Grande-Bretagne par exemple, et que ses livraisons d’armes ne sont pas de nature à faire basculer le conflit (la liste publiée en mars 2024 étonne d’ailleurs par la faiblesse de certains chiffres). Le déchaînement russe contre la France ne commencera en réalité qu’au début de l’année 2024, dans la foulée de la déclaration du président Macron sur l’hypothèse d’envoyer des soldats Français (et donc de l’OTAN) en Ukraine. La virulence de la réaction russe indique clairement que ce sujet a touché une corde sensible en Russie. Revue de détail d’une communication russe chaotique, mais dont la forme est probablement plus instructive que le fond.

« Chaos informationnel » et confusions 

Dans la foulée des déclarations du président Macron, la première véritable salve russe est lancée le 27 février 2024 par la voix de Konstantin Kosachev, « deputy speaker of the Federation Council », qui parle d’une « Déclaration de guerre ». Suivent quelques semaines de flottement, le temps d’une part que la Russie évalue le sérieux de la menace et qu’elle commence, vraisemblablement, à élaborer une stratégie de riposte. Mais c’est apparemment l’interview du 16 mars 2024 du président Macron dans Le Parisien qui déclenche la fureur russe. 

Celle-ci prend forme le 19 mars 2024, lorsque Sergey Naryshkin, Directeur du Service des renseignements extérieurs de la fédération de Russie, déclare à l’agence TASS que la France prépare un contingent de 2000 hommes pour envoi en Ukraine. La première action de communication contre la France se fait donc par voie officielle et à haut niveau. La France apporte un démenti le jour même, alors que l’information apparaît aussi dans les médias russes francophones comme Sputnik Afrique. Ce dernier article revient en particulier sur la présence de « mercenaires Français » en Ukraine.  

Le 21 mars 2024, dans un rétropédalage apparent, Dmitry Peskov, le porte-parole du Kremlin, indique en réponse à la question d’un député sur le déploiement d’un contingent Français en Ukraine, qu’il n’a « pas d’informations précises » sur ce sujet. D’un point de vue occidental, une telle sortie constitue en quelque sorte un désaveu de Sergey Naryshkin, mais cet aspect des choses n’a pas l’air de choquer en Russie.

Le 28 mars 2024, la France bloque un faux site web de recrutement de volontaires français pour aller combattre en Ukraine, qui porte toutes les marques de fabrique d’une opération russe. Le jour même, les dénégations françaises sont citées par l’agence TASS selon une formulation très ambiguë sur la réalité d’un recrutement en France à destination de l’Ukraine : le site était peut-être faux mais le principe d’un recrutement serait vrai. Cet article reprend en plus les déclarations de Sergey Naryshkin du 19 mars 2024, avec toutefois une nuance significative : la France ne « prépare » (preparing) pas seulement un contingent, cette fois elle « entraîne » (training) un contingent. La différence de vocabulaire n’est pas anodine.

« La Légion saute sur Odessa » (ou presque)

Le story-telling russe sur cette histoire se précise le 03 avril 2024, jour où Maria Zakharova, porte-parole du Ministère russe des affaires étrangères indique en conférence de presse que 1500 hommes de la Légion Etrangère seraient « prêts à être déployés en avril ». Après avoir infusé quelques temps dans les médias russes et l’opinion publique, l’information est donc renouvelée de source officielle, un peu plus précise de façon à crédibiliser le renseignement. 

L’information est largement diffusée sur les réseaux sociaux russes (Telegram) mais aussi sur les comptes qui relaient la désinformation russe sur Twitter. On peut ainsi lire le 10 avril 2024 sur le compte @SprinterFamily (plus de 550k followers) que la France enverrait finalement le 126ème RI de Brive-la-Gaillarde et non la Légion Etrangère à Odessa. Ce tweet dit tenir l’information d’un article du Monde qui existe bien mais qui est interprété de façon totalement fallacieuse. Toutefois, deux éléments objectifs aident ce compte twitter « superspreader » de désinformation : l’article est réservé aux abonnés, et surtout il est en Français, sachant que la plupart des lecteurs n’iront pas plus loin que le titre de toute façon.

Le 12 avril 2024, c’est finalement le retour de la Légion Etrangère et « l’arrivée des premiers éléments (une centaine) à Slaviansk » nous dit le média russe anglophone TopWar.ru, qui dit tenir l’information d’une chaine Telegram russe Military Chronicle [Военная хроника] qui compte plus de 300 000 abonnés. Aucun détail factuel n’est donné sur l’origine de cette information.  

L’information gagne une nouvelle fois en précision puisqu’il s’agirait d’hommes du 3ème REI cette fois, même si les spécialités évoquées (observateurs d’artillerie et génie) ne correspondent pas à celles du 3ème REI. Le rédacteur de l’article se sent tout de même obligé de préciser à la fin de son article qu’il « n’y a pas de fumée sans feu » … L’information est reprise par Sputnik le lendemain, même si le tweet a été depuis supprimé. 

« Media-washing » extérieur à la Russie

Mais c’est le 26 avril 2024 que cette campagne prend un tournant décisif, qui lui permet de se « blanchir » vis-à-vis des médias occidentaux et de se répandre à grande vitesse : Stephen Bryen, un obscur ex-haut fonctionnaire américain (il a été « deputy undersecretary for the Department of Defense » du temps de l’administration Reagan) publie une tribune sur un média Hong-kongais dans laquelle il affirme, entre autres informations négatives sur l’Ukraine, que des pays de l’OTAN, dont la France, ont commencé à déployer des troupes en Ukraine. Il explique que ce sont « non des mercenaires mais des soldats réguliers, avec des drapeaux nationaux sur des uniformes » (avec pour son article des illustrations du think-tank russe Rybar…), identiques aux « conseillers militaires au Vietnam ». Aucune justification n‘est donnée pour étayer cette affirmation, et on peut penser à ce moment qu’il tire ses informations des déclarations russes elles-mêmes. 

En effet, l’auteur récidivera le 04 mai sur le même média, de façon encore plus précise, mais toujours sans étayer ses informations par la moindre source, à part… le site TopWar.ru déjà rencontré. La « circulation circulaire » de l’information a commencé. Sur le fond, il n‘y a donc aucun élément nouveau, mais c’est le contenant qui importe car l’information a cette fois pour origine une publication anglophone, considérée donc comme « occidentale » au sens large. Pour les médias russes, cet article est donc considéré comme une confirmation ou un recoupement, provenant en plus du « camp adverse », même s’il n’apporte substantiellement aucune preuve ni aucun élément nouveau et s’il est très probable qu’il s’agisse en réalité d’une reprise des informations russes. 

Au-delà du fond inexistant de cet article de Stephen Bryen, il y a la question de la forme qui mérite un développement rapide. L’article en question n’est pas une production journalistique du média hongkongais ou une interview, mais la reprise in extenso d’un article initialement publié sur le blog de l’auteur, sans qu’AsiaTimes n’apporte la moindre retouche. Ce procédé correspond aux usages médiatiques en vigueur sur les espaces dits contributifs, ceux où la parole est laissée en temps normal à des personnalités reconnues pour leur expertise ou leur expérience : hommes politiques, monde académique, chefs d’entreprise… C’est une rubrique à part puisque le contenu n’est pas produit par le média en question, qui ne fait qu’héberger un contenu sur lequel sa responsabilité est limitée. Destinée initialement à ouvrir les colonnes des médias aux personnalités éminentes de la société civile, ces espaces contributifs sont parfois utilisés pour « faire le buzz » sans véritable risque juridique pour les médias qui peuvent ainsi accepter des textes polémiques de personnalités controversées. AsiaTimes ajoutera néanmoins rapidement des « notes de l’éditeur » pour accompagner l’article.

Quoiqu’il en soit, à partir de cet article, la machine s’emballe : le 06 mai, la communication russe officielle reprend avec deux communiqués de l’agence TASS, le premier faisant état d’une enquête du MINDEF russe sur les envois de troupes françaises en Ukraine, le second reprenant les démentis français sur ce sujet, tout en rappelant que le Kremlin enquête sur la base de « reportage des médias » (comprendre : les allégations de Bryen). Le même jour, l’histoire sort largement de la sphère des médias russes. L’information est ainsi relayée en Français par le compte twitter pro-russe Brainless Partisans, et en anglais par le compte US Civil Defense News, comptes connus pour relayer régulièrement des infox, mais avec une audience très importante. 

Le 07 mai apparaissent les premières « preuves », en l’occurrence une vidéo de quelques secondes dans laquelle on distingue le cadavre d’un combattant portant sur la poitrine un patch (à l’envers) représentant le drapeau français. Le même jour, le compte X de l’ambassade de Russie en Afrique du Sud, reprend l’information selon laquelle l’armée française aurait connu ses premières pertes en Ukraine. Il s’agit cette fois d’une prise de parole officielle et précise : il y aurait sept « pertes » dans la région de Chasov Yar. Toujours le 07 mai, Larry Johnson, un blogger américain influent sort une vidéo intitulée « US French Reckless Gamble, aid ATACMS & F35 to Ukraine, spark Full-Scale War w/Russia », dans laquelle il confirme le déploiement de troupes françaises en Ukraine. Sa source : Stephen Bryen, mais selon Larry Johnson, l’auteur de la vidéo, « il a ses sources, donc ça doit être vrai ». Le lendemain, Maria Zakharova, porte-parole du MINAE russe explique que si des soldats français sont déployés en Ukraine, ils seront ciblés comme les autres, déclaration qui marque donc un retour sur le registre hypothétique dans la parole officielle. Poutine lui-même prendra la parole sur ce sujet le 17 mai avec les mêmes précautions oratoires.

Tout hypothétique que ce soit ce déploiement, le 21 mai, un média russe fait état d’une frappe russe qui aurait fait « 19 morts dans les rangs de la Légion étrangère française déployée en Ukraine ». Pourtant le lendemain, un autre média russe cite le ministère des affaires étrangères russe qui s’exprime à nouveau sur un registre hypothétique. La confusion est toujours de mise, d’autant plus que fin mai, apparaît la question d’éventuels instructeurs de l’OTAN envoyés en Ukraine, puisque la question de troupes combattantes est (encore) trop sensible. Le 6 juin, lors des réponses en conférence de presse en marge du Forum économique international de Saint-Pétersbourg, Poutine affirme pourtant que « des spécialistes des pays de l’Alliance de l’Atlantique Nord participent déjà au conflit », sans toutefois désigner nommément la France. Il est possible qu’il fasse référence aux instructeurs britanniques dont la présence en Ukraine a fuité à la suite d’une indiscrétion allemande.

Le 22 juin, dans un article de Sputnik, il est cette fois clairement question de Français. Le 23 juin, le site « Réseau International », bien connu pour relayer de la désinformation, reprend en Français un article russe qui prétend que des dizaines de soldats de la Légion Etrangère seraient arrivés à Odessa. Depuis, les médias russes comme les communiqués du ministère de la défense russe ont annoncé à plusieurs reprises la mort de soldats français en Ukraine lors de frappes ou de combats. A noter en plus que les comptes de propagande pro-russes les plus voyants diffusent à intervalles réguliers des scènes de « captures de soldats français », où la seule « preuve » repose généralement sur un patch représentant le drapeau français sur une pièce d’uniforme, à laquelle s’ajoute dans la bande-son quelques mots de français prononcés avec un très fort accent. L’explication est rapidement donnée : ce sont forcément des soldats de la Légion Etrangère originaires des pays de l’Est, fermez le ban.

Pourquoi cette communication « non conventionnelle » ?

De la part de blogs de seconde zone ou de chaînes Telegram russes, il est toujours possible de supposer une confusion entre la Légion Etrangère française (au sein de laquelle il y a des Ukrainiens, certains ayant d’ailleurs tentés de rejoindre l’Ukraine clandestinement) et la Légion des volontaires internationaux en Ukraine, qui compte a priori plusieurs dizaines de combattants volontaires français. Ces derniers ne sont pas des mercenaires au regard du droit français, mais des combattants volontaires pour le compte d’un autre Etat, comme les citoyens étrangers engagés au sein de la Légion Etrangère française, d’ailleurs. Mais la communication officielle russe et les analystes spécialisés ne commettent pas ce genre d’erreurs : la mention de la Légion Etrangère française est donc volontaire.

Quel est l’intérêt pour la Russie d’alimenter une telle mécanique de désinformation ? La France est désormais une cible privilégiée de la désinformation russe, en raison notamment de son volontarisme sur certaines livraisons d’armes sensibles aussi bien sur un plan symbolique (la décision d’envoyer des AMX-10RC en Ukraine est ainsi vue comme ayant débloqué la livraison des chars Leopard2 et Abrams) que sur un plan opérationnel (les missiles Scalp). Mais la chronologie de l’offensive informationnelle russe ne laisse guère de doute : c’est une fois que la France envisage ouvertement l’envoi de troupes de l’OTAN en Ukraine que les choses s’accélèrent nettement, signifiant clairement que ce scénario ne fait pas les affaires de Moscou. L’idée est donc de « passer un message » aux Français déjà, mais pas seulement.

L’auditoire Français, une cible en réalité très secondaire

Le premier message, probablement le moins efficace, est donc à destination de l’opinion publique française et occidentale au sens large : il s’agit de faire croire que l‘Etat français ment au sujet du déploiement de troupes régulières françaises en Ukraine et d’accroître autant que possible la polarisation de la vie politique française autour de la communication gouvernementale française. 

Cette tentative repose concrètement sur un biais cognitif commun à la plupart des démocraties libérales disposant d’une presse indépendante et garantissant la liberté d’expression : il semble inconcevable pour la plupart des opinions publiques, habituée au fact-checking permanent, qu’un gouvernement (ici le gouvernement russe) mente éhontément et ouvertement de la sorte. C’est pourtant le cas, et en ajoutant par-dessus des profils francophones « superspreaders » de désinformation (tels Sylvano Trotta, Francis Lalanne, ou encore les comptes de pseudos « médias X » @Cerfia, @AlertesInfos, @les_Spectateurs, @BPartisans, @camille_moscow…), on obtient rapidement une diffusion rapide la désinformation. 

Entre effets de répétition médiatique, traitements algorithmiques par les réseaux sociaux et « circulation circulaire de l’information » selon Bourdieu, l’information finit par exister dans les médias traditionnels, le plus souvent au titre du « débunkage » ou justement de fact-checking. Cette dernière étape ne fait généralement qu’achever de convaincre les plus réceptifs à la propagande russe, ceux qui considèrent que les médias dit « mainstream » sont forcément aux « ordres du pouvoir » ; nier les « faits » revient donc à les valider puisque curieusement, pour une certaine frange de la population française, nos médias mentent, mais pas le gouvernement russe…

La crédibilité des médias occidentaux, enjeu premier

Au-delà de signifier indirectement son mécontentement à la France, la Russie peut très pragmatiquement tirer d’autres bénéfices de cette opération d’influence. Très concrètement, sur ce sujet très particulier, la désinformation russe ne fonctionne pas auprès de l’opinion publique française qui sait que le président de la République ne pourrait pas déployer en secret une unité régulière de l’armée française en Ukraine. Mais la France n’est pas la seule cible, et l’auditoire anglo-saxon est aussi visé, sachant que celui-ci sera en majorité peu à même de lire les démentis et les débunkages rédigés en Français. Vis-à-vis de l’extérieur, le plus important est donc probablement d’instiller le doute et de fragiliser la crédibilité des médias Occidentaux au sens large. C’est la conséquence première de cette stratégie de chaos informationnel, à laquelle s’ajoute le principe de l’inversion accusatoire (dans notre cas de figure : « c’est bien l’OTAN, via la France et ses troupes, qui veut la guerre avec la Russie en envoyant des troupes en Ukraine »). Le tout est destiné à générer un effet de dilution de la communication occidentale (noyer les démentis Français) dans un contexte de saturation de l’espace informationnel par la désinformation russe dans ses différentes variantes, qu’il s’agisse de supposer ou d’affirmer la présence de troupes françaises en Ukraine. 

Le principe est simple et théorisé dans le cadre des études sur la « post-vérité » : les faits importent moins que la répétition d’une information, même fausse, et les outils médiatiques modernes permettent de mettre très rapidement et très efficacement cette stratégie en œuvre quand on dispose des moyens d’un Etat. « Un mensonge répété mille fois se transforme en vérité » ; si cette phrase attribuée à Joseph Goebbels est discutable dans l’absolu, elle trouve toute sa pertinence dans le contexte médiatique des réseaux sociaux et de leurs audiences. A cette particularité de la communication contemporaine s’ajoute un principe inhérent à toute communication : le premier qui s’exprime bénéficie toujours d’un « bonus de crédibilité », un démenti n’ayant que très rarement la même force de conviction qu’un article accusateur. Et selon les Kremlin Leaks, la Russie a consacré ainsi plus d’un milliard d’euros au « contrôle de l’information » rien qu’en 2023, sachant que l’intérêt premier du Kremlin, c’est le contrôle à domicile.

La scène intérieure russe

En se plaçant dans un référentiel médiatique russe (avec un accès très limité voire inexistant aux publications occidentales), la communication officielle est tout à fait cohérente, avec seulement des hésitations ou de la prudence dans certaines affirmations. Il est en effet possible de considérer la sphère médiatique russophone comme un tout relativement unifié, puisque, depuis les lois passées début 2022 par le Service fédéral de supervision des communications, des technologies de l’information et des médias de masse ou Roskomnadzor, l’internet et les médias russes sont activement contrôlés. Toute parole dissidente, c’est-à-dire simplement non conforme aux éléments de langage imposés par le Kremlin est impitoyablement pourchassée et sanctionnée. Ce qui ne signifie pas que les médias russes ne sont pas autonomes dans leur traitement de l’information, mais celui-ci doit impérativement être conforme à la lettre de la « loi russe », de sorte que s’est imposée une auto-censure des médias en amont. 

Considérant ce fait, il est très difficile pour une audience occidentale de considérer les sources russes comme crédibles dès qu’il est question de l’Ukraine. Les comptes Telegram d’information russes en particulier sont tous sous la coupe du gouvernement russe depuis les premières lois sur le contrôle de l’information passée en mars 2022. Pour les propriétaires des comptes en question, il s’agit aussi de pérenniser une source de revenus importante, avec pour seule condition de coller aux narratifs du Kremlin. Tout concourt donc à valider le storytelling de l’Etat russe, à savoir une guerre en Ukraine qui dure parce que la Russie combat « l’OTAN et l’Occident réunis ». En l’occurrence, les déclarations du président Macron ont dans un premier temps fournit une occasion rêvée pour la propagande russe pour justifier le narratif patiemment élaboré depuis deux ans et demi.

Derrière un chaos d’informations contradictoires et désordonnées, il y a donc une stratégie générale qui sert les intérêts de la Russie bien au-delà de l’objet premier et immédiat de cette communication d’apparence anarchique. Quoi qu’il en soit, les prises de position de la France au sujet de l’Ukraine, de l’envoi possible d’instructeurs à l’autorisation de frappes sur le territoire russe ne risquent pas d’apaiser la Russie dans ses velléités de désinformation à notre égard, comme en attestent les tentatives physiquement localisées en France (des faux cercueils de soldats français morts en Ukraine déposés près de la Tour Eiffel), ou des actions en Russie

Pierre-Marie Meunier