La région des Grands Lacs, caractérisée par sa diversité linguistique et culturelle, est le théâtre d’une compétition fascinante entre les langues dominantes que sont le français et l’anglais, et une langue locale en plein essor, le swahili. Cette dynamique se déroule dans plusieurs pays d’Afrique centrale et d’Afrique de l’Est, notamment le Rwanda, le Burundi, la Tanzanie, l’Ouganda et le Kenya, où le multilinguisme est profondément ancré dans la société, l’éducation, la politique et l’économie.
L’anglais, un incontournable pour l’éducation et l’engagement sur le scène internationale
L’anglais est omniprésent dans plusieurs pays de la région des Grands Lacs, notamment au Kenya, en Ouganda et en Tanzanie. Héritage de l’époque coloniale britannique, l’anglais est aujourd’hui synonyme de pouvoir et de prestige. Dans ces pays, l’anglais règne dans l’enseignement supérieur, l’administration et les médias ; il est un outil d’intégration et de mobilité sociale. En tant que langue internationale, il ouvre des portes aux échanges économiques, politiques et culturels avec le monde entier. Selon l’Organisation internationale de la Francophonie, environ 30 % de la population de la région parle couramment l’anglais.
La progression de l’anglais ne se limite pas aux anciennes colonies britanniques. Les ONG internationales, omniprésentes dans des secteurs allant de l’éducation à la santé, utilisent majoritairement l’anglais. Leur influence renforce l’apprentissage et l’utilisation de cette langue dans des contextes variés, urbains comme ruraux. L’anglais devient ainsi incontournable pour accéder aux services de ces ONG et participer à leurs programmes de développement.
En Ouganda, l’anglais est la langue officielle de l’éducation, de l’école primaire à l’université. Cela a façonné une jeunesse anglophone prête à s’engager sur la scène internationale. Au Kenya, l’anglais est la langue des affaires et de l’administration, essentielle pour toute carrière ambitieuse. En Tanzanie, même si le swahili est la langue nationale, l’anglais est omniprésent dans les milieux éducatifs et professionnels. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En Ouganda, 90 % des écoles primaires et secondaires utilisent l’anglais comme langue d’enseignement. Au Kenya, près de 80 % des cours universitaires sont dispensés en anglais. En Tanzanie, l’anglais est la langue principale de plus de 70 % des publications scientifiques et des recherches universitaires.
L’anglais prend également de l’ampleur dans les pays francophones de la région des Grands Lacs. En République Démocratique du Congo (RDC) et au Burundi, l’anglais est de plus en plus enseigné et utilisé dans les affaires et les relations internationales. Cette tendance reflète une volonté de s’intégrer à l’économie mondiale et de diversifier les compétences linguistiques pour rester compétitif. En RDC, environ 15 % des établissements d’enseignement supérieur offrent désormais des cours en anglais, un chiffre en constante augmentation.
Le français, langue de prestige encore particulièrement influente
Dans la région des Grands Lacs, le français joue un rôle essentiel, bien au-delà de la simple communication. Bien que le français soit moins répandu que l’anglais, il conserve une influence significative. Pour plus de 37 millions de personnes en République Démocratique du Congo (RDC) et au Burundi, anciennes colonies belges, c’est la langue de tous les jours. Avec des taux de natalité parmi les plus élevés au monde, notamment en RDC, le français continue de gagner du terrain, ajoutant plus d’un million de nouveaux locuteurs tous les deux ans.
Depuis des décennies, le français est la langue de l’éducation et des administrations dans ces territoires où cohabitent de nombreuses langues et dialectes. Même dans des pays majoritairement anglophones comme le Rwanda, le français conserve son aura de langue d’élite et de prestige. Seulement 2 % des Rwandais parlent couramment français, mais 20 des 32 ministres le maîtrisent, montrant son importance stratégique. L’impact du français dans les Grands Lacs va bien au-delà de la communication quotidienne. En tant que langue de prestige, il joue un rôle crucial dans les relations internationales et diplomatiques. Les organisations francophones, telles que l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et les Alliances Françaises, renforcent les liens culturels, politiques et économiques entre les pays de cette région. Parler français ouvre des portes vers des réseaux d’influence et facilite la coopération en matière de sécurité, de commerce et de développement.
Des puissances comme la France et la Belgique maintiennent une forte présence dans la région des Grands Lacs, consolidant leur influence. La Belgique, par exemple, est le principal donateur du Burundi, soutenant des projets de développement, des programmes éducatifs et des initiatives culturelles, et se positionnant ainsi comme un partenaire privilégié.
Le français permet également aux pays de la région de tisser des liens solides entre eux, créant ainsi un réseau de solidarité face aux défis communs tels que la sécurité régionale et le changement climatique . Plus qu’un simple outil de communication, le français est un levier stratégique pour l’intégration régionale, les alliances internationales et le développement économique. Maîtriser cette langue continue de jouer un rôle clé dans l’avenir géopolitique et économique de la région des Grands Lacs.
Le swalhili, plus qu’un dialecte informel
Entre ces deux langues internationales puissantes, une langue locale tire son épingle du jeu : le swahili. Langue véhiculaire par excellence dans la région des Grands Lacs, le swahili joue un rôle de facilitateur dans la communication quotidienne et transfrontalière. Originaire des côtes de l’Afrique de l’Est, le swahili s’est imposé comme une langue commerciale dès le Moyen Âge, facilitant les échanges entre les peuples côtiers et l’intérieur des terres. Aujourd’hui, c’est une langue maternelle pour des millions de personnes et une seconde langue pour de nombreux autres, notamment en Tanzanie, au Kenya, en Ouganda, au Rwanda, et au Burundi.
Le swahili n’est pas seulement une langue de communication informelle. Il est également enseigné dans les écoles et les universités, utilisé dans les médias et même dans les administrations locales et régionales. Sa flexibilité linguistique et sa richesse culturelle en font une langue d’unité et d’identité pour les populations multiculturelles de la région. En Tanzanie, le swahili est la langue nationale et est utilisé dans tous les secteurs de la société, de l’éducation à l’administration publique. Au Kenya, il est également largement utilisé dans les médias et comme langue de communication interethnique. En Ouganda, bien que l’anglais soit la langue officielle, le swahili est enseigné dans de nombreuses écoles et est couramment parlé dans les régions frontalières.
La East African Community (EAC), regroupant le Kenya, l’Ouganda, la Tanzanie, le Rwanda, le Burundi et plus récemment le Sud-Soudan, fait du swahili sa langue officielle de travail. Cela renforce encore le statut du swahili comme langue d’intégration régionale et de coopération économique au sein de cette organisation sous-régionale. Économiquement, le swahili est un atout majeur. Il facilite les échanges commerciaux dans toute la région des Grands Lacs, stimulant ainsi les activités économiques transfrontalières en brisant les frontières linguistiques de la période coloniale. En termes de chiffres, plus de 50 millions de personnes parlent le swahili comme première ou deuxième langue dans la région, ce qui en fait l’une des langues africaines les plus parlées et les plus influentes sur le continent.
Le multilinguisme, catalyseur des échanges économiques et sociaux des Grands Lacs
La région des Grands Lacs se distingue par son multilinguisme. Outre le français, l’anglais et le swahili, plusieurs langues locales comme le kinyarwanda, le kirundi, le luganda et le lingala sont parlées. Sur le plan économique, le multilinguisme s’inscrit dans le marché globalisé.Des pays comme le Kenya et la Tanzanie utilisent le swahili pour faciliter le commerce transfrontalier, simplifier les échanges et les contrats commerciaux dans toute la région des Grands Lacs.
Les gouvernements peuvent également utiliser le multilinguisme comme outil diplomatique, renforçant leur influence dans les relations internationales. Le Rwanda, par exemple, exploite sa maîtrise du français, de l’anglais et du swahili pour s’intégrer à la fois à la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Est et à la Francophonie, maximisant ainsi ses opportunités diplomatiques et économiques. Politiquement, la maîtrise de plusieurs langues permet aux leaders locaux de naviguer entre différentes influences culturelles et économiques. Un leader qui parle français, anglais et swahili peut plus facilement établir des alliances stratégiques dans des zones tendues et instables, comme dans le Kivu. Cette flexibilité linguistique permet aux dirigeants de s’adapter et de tirer parti des différentes dynamiques géopolitiques.
Pour les ONG et autres organisations, le multilinguisme permet de toucher une plus large audience et de mettre en œuvre des programmes plus inclusifs et efficaces. L’aide chinoise en Afrique surfe par exemple sur ce multilinguisme pour s’enraciner plus durablement à travers une mosaïque de population. Le multilinguisme influence également les marchés locaux et les contrats commerciaux. L’intelligence culturelle, nourrie par le multilinguisme, permet aux entreprises de naviguer plus efficacement dans des environnements multiculturels, améliorant ainsi leur compétitivité dans une Afrique de l’Est où le libre échange gagne en importance.
Oscar Lafay
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