Trente ans après le rapport Martre et vingt ans après le rapport Carayon, le Colloque de l’Intelligence économique fait le bilan des avancées de la discipline aujourd’hui forte d’un nouvel élan étatique. Les fondateurs et experts de l’IE des quatre tables rondes sont revenus sur les difficultés majeures rencontrées ces dernières années autour de la gestion de l’information stratégique entre les acteurs économiques. Repoussant la logique de sécurité et de protection à la promotion des intérêts français, les réflexions et débats du 8 avril 2024 ont brossé une vision pragmatique du monde de compétition contestation affrontement actuel, proposant des stratégies concrètes pour une politique nationale d’intelligence économique propice à la compétitivité et la souveraineté de la France
Les nouveaux fronts des luttes économiques et informationnelles
Au cours des dernières décennies, le numérique s’est imposé comme un moyen central dans les luttes économique et informationnelle. Dans ce contexte d’interconnexions entre défense, économie et influence, l’Intelligence Économique (IE) apparaît comme une discipline permettant d’anticiper les mouvements concurrentiels et de garantir la sécurité des intérêts nationaux. Animée par Fabrice Frossard, la table ronde rassemblait le commandant de la cyberdéfense, le consultant Christophe Deschamps, Nicolas de Rycke d’Elephantastic et Camille Lanet de la DGA. Les intervenants ont débattu autour des nouveaux fronts permis par l’avènement du numérique.
La lutte se déploie sur plusieurs fronts. D’une part, elle s’engage dans une bataille technologique, où leurrer la conception du champ de bataille et la lutte informatique d’influence occupent une place de choix. Cependant, il faut noter que cette lutte se déroule principalement à l’extérieur, notamment dans le cadre des opérations extérieures du ministère des armées. D’autre part, l’influence se révèle être un art subtil, « exigeant humilité et rigueur » selon les mots de Camille Lanet. Elle nécessite une approche méthodique, débutant par l’écriture d’une doctrine et s’inscrivant dans un schéma global. Au sein de la Direction Générale de l’Armement, une stratégie nationale d’influence se dessine, concentrée sur un « couloir de nage économique », notamment l’industrie de l’armement. Cette attention particulière vise à protéger les possibilités d’exportation, en composant avec les normes européennes.
La collecte de données au coeur des préoccupations pour demain
« En 1994 a été publié le rapport Théry sur les autoroutes de l’information. La veille technologique existait déjà mais on a vu apparaître des outils et des métiers, on est passé d’une veille humaine fondée sur des réseaux à une veille numérique […] L’émergence du web est la même révolution que ce que nous vivons aujourd’hui avec l’IA alors, va-t-on prendre suffisamment à bras le corps cette question » ? Christophe Deschamps.
L’IE est confrontée à ces défis majeurs : évolution technologique rapide et asymétrie dans la collecte de données. Si la France occupe une place privilégiée dans le domaine de l’OSINT, les sociétés américaines et israéliennes opèrent selon des règles différentes, posant des questions sur la régulation et la capacité de collecte de données, aux termes de l’analyse de Nicolas de Rycke. Avec l’avènement de l’intelligence artificielle (IA), l’adaptation et l’innovation deviennent des impératifs. La création d’un pôle d’excellence cyber en Bretagne et l’auto-éducation au numérique chez les jeunes témoignent de cette importance croissante de l’intérêt pour le champ cyber, aux dires du général Bonnemaison. « On sait que sans les IA aujourd’hui nous sommes morts, cette technologie est très accessible, on est déjà attaqués par les IA », expose le général Bonnemaison. Cependant, face aux défis à venir, notamment la gestion du double numérique et les implications éthiques de l’IA, la question demeure : saurons-nous répondre à ces nouveaux défis dans les années à venir ?
Hugues de Courrèges d’Agnos
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