Titanesque, c’est le parfait qualificatif pour évoquer HBO. Bien que ses séries originales – Games of Thrones ou True Detective pour ne citer qu’elles – inondent les télévisons françaises, la chaîne reste encore aujourd’hui peu connue du public hexagonal. Home Box Office est pourtant une véritable institution sur le continent américain et dans les pays anglo-saxons.
HBO est lancée le 8 novembre 1972 sous l’égide de Time–Life dans 300 maisons en Pennsylvanie pour retransmettre un match de hockey. Aujourd’hui, plus de 31 millions de clients aux Etats-Unis et plus de 114 millions d’usagers dans le monde ont souscrit à un abonnement. Avec un panel de 13 chaines diffusant sans interruption des programmes variés comme des films, des séries ou des rencontres sportives en plusieurs langues, son chiffre d’affaires s’élevait à 4,9 milliards de dollars pour un bénéfice de 1,8 milliards en 2013.
HBO est une chaîne câblée dite « premium » aux Etats-Unis : en plus de payer un abonnement au satellite les usagers doivent souscrire à un abonnement spécifique supplémentaire, qui varie entre 10$ et 20$ par mois. HBO est une filiale de Time Warner, née dans les années 90 et devenu Time Warner Inc suite à sa fusion en 2000 avec AOL. L’accroissement du nombre de souscripteurs, et la fidélisation de ces derniers (le CHURN ou taux « d’attrition ») est le principe directeur du marché télévisuel. Home Box Office suit ces règles, mais avec une stratégie de différenciation et de développement offensive et singulière dont l’objectif final est la recherche de profit.
Le rookie aux dents longues
Les années 1980 ont été le théâtre d’une compétition féroce sur le secteur de la télévision payante aux Etats-Unis. Leader dans les années 70, HBO a du faire face à la dérégulation du marché de la diffusion et à l’arrivée de nombreux nouveaux entrants. Pour survivre et justifier son statut de chaîne premium – impliquant un coût supplémentaire – par rapport à des chaînes dîtes basics qui – ne nécessitent qu’un simple accès au cable (AMC, FX) – HBO s’est tournée vers l’innovation : elle devient ainsi la première chaîne cryptée en 1986 et inaugure la diffusion digitale en 1993. Grâce à ses ruptures, HBO a pu contrôler les terrains d’affrontements et a forcé ses concurrents, notamment Showtime, à se mettre à la page. Ces changements ont représenté autant de barrières technologiques pour les concurrents et ont permis à HBO de conquérir tout le territoire américain grâce à de nouveaux souscripteurs.
En se plaçant sur un marché de niche, élitiste, la chaîne justifie en outre son surcoût par la qualité et un ancrage au sein de la culture mainstream des Etats-Unis. Plus encore, elle en est à la source. Grâce à son surcoût et la limitation à l’entrée des utilisateurs, il lui est aussi possible de se permettre des écarts (contenus matures et sexuellement explicites) pouvant attirer une certaine frange du public américain.
Seul contre tous
HBO Leads All Other Networks in 2015 Golden Globe
Pour détrôner HBO, ses concurrents se sont alliés pour l’attaquer. Par exemple, dès 1980, 20th Century Fox, Universal, Paramount, Columbia et Getty Oil créent Premiere Channel avant que la chaîne ne soit déclarée illicite par le département de la justice. En 1982 avec Paramount, Universal, Warner et American Express, rejoints ensuite par Viacom, lancent The Movie Channel, une nouvelle fois rejetée.
Face à ces échecs, les chaînes concurrentes se placent sur une offre différente afin d’attirer un pan plus large du public américain. Showtime, par exemple, se spécialise dans le cinéma avec TMC et pousse HBO à créer Cinemax en 1980.
Cette dernière contre-attaque alors et noue des partenariats avec 3 des 6 plus gros studios de cinéma (Fox, Universal et Warner Bros) et crée de nouvelles chaines crées (HBO Family, HBO 2, HBO Signature etc.). Showtime, pour rester dans la course, adopte d’ailleurs la même stratégie avec la création de Flix ou Sundance Channel. Avec la démocratisation des moyens de diffusion le marché télévisuel américain devient un champ de bataille. HBO est de nouveau au centre de l’arène face à des concurrents qui ont acquis les mêmes armes. La chaine a perdu la couronne de l’avantage technologique et il lui faut entrainer ses adversaires sur un nouveau terrain d’affrontement qui lui sera favorable.
« It’s not TV, It’s HBO »
1996 marque un nouveau tournant pour la télévision cablée. HBO lance une nouvelle stratégie de communication et décide de produire ses propres programmes originaux. C’est Jeff Bewkes, alors président de HBO (1995-2002) qui est à l’origine de cette stratégie subversive, et complètement novatrice compte tenu des critères télévisuels classiques. Alors que les spectateurs sont divisés en 4 catégories (hommes et femmes de plus ou de moins de 25 ans), HBO se positionne dorénavant sur des critères culturels et crée sa propre audience.
La chaine choisit de se différencier avec des programmes matures, explicites et artistiques. En effet HBO a su attirer une nouvelle génération de scénaristes bercés par la culture littéraire européenne, plus libéraux, et qui n’avaient pas pu transposer leurs scénarios au cinéma ou à la télévision. Ces derniers, à l’image de David Simon (The Wire, Generation Kill) ou de Tom Fontana (Oz), sont aujourd’hui considérés comme des auteurs à part entière grâce au pari gagnant d’HBO.
HBO entraine ses concurrents sur un terrain qu’elle maîtrise, érigeant une nouvelle fois des barrières de coûts, de contenus, et de qualité. C’est une vraie prise de risque, permise par le modèle économique de la chaine libre de tout annonceur publicitaire. Les chaines câblées basiques (AMC, FX) sont alors obligées de suivre, notamment avec le succès de la série Oz (1997-2003). Cependant, de nombreuses chaînes basics ne peuvent suivre HBO, de peur de perdre leurs annonceurs. Et même les premium qui s’y risquent doivent assurer la production d’un contenu à très haute valeur artistique et culturelle. HBO n’a pas choisi ce positionnement par hasard, la chaine possède entièrement ses productions et est donc très rentable, au contraire de ses concurrents comme Showtime qui n’en possède que 50%.
La consécration
Le 24 janvier 1999, lors de la 24ème cérémonie des Golden Globes, HBO devient la nouvelle référence télévisuelle. Considérés comme l’antichambre des oscars, les Golden Globes récompensent les meilleurs films et les meilleures séries. The Sopranos (1999-2007), produite par HBO, remporte alors le prix de la meilleure série télévisée. C’est une première, et le début d’un nouvel âge d’or pour la chaine. Au milieu des années 2000 avec la sortie de The Wire, HBO occupe une position dominante et étouffe la concurrence. La réaction des autres chaînes premium a été trop longue. Showtime, prise de court, ne peut lancer ses propres contenus qu’au milieu des années 2000 (Weeds, Dexter), soit près de 10 ans après Oz.
De manière plus surprenante, en prenant les rênes du marché télévisuel et avec des programmes originaux de haute qualité, HBO concurrence les parts de marché d’un cinéma chancelant et en manque de renouvellement. HBO chasse sur un nouveau terrain, inédit pour une chaine câblée, puisqu’il est historiquement un diffuseur d’Hollywood. La victoire des Sopranos au Golden Globes fut un premier signal très fort. Les productions suivantes (The Wire, Six Feet Under etc.) ont confortées cette position de rival et commencées à représenter une vraie menace pour Hollywood, handicapé par une certaine frilosité des maisons de productions, se cantonnant seulement à des blockbusters franchisés. Le coup de grâce : HBO lance avec succès ses « Sunday Nights » pour la diffusion de ses séries originales phares, alors même que le dimanche est le jour de fréquentation le plus important des salles obscures américaines. Même Steven Soderbergh (Ocean’s Eleven), a récemment quitté le monde du cinéma pour réaliser un téléfilm exclusif diffusé sur HBO, Ma vie avec Liberace, ainsi que la série The Knick pour Cinemax.
« You come at the king, you best not miss » The Wire
L’avènement d’internet et de la VOD comme moyen privilégié de consommation média remet une nouvelle fois en cause l’hégémonie du roi HBO. La chaine fait aujourd’hui face à une nouvelle concurrence féroce, qui a réussi à copier ses codes. Netflix s’est imposé comme un des acteurs phares dans la production de séries, avec l’emblématique House of Cards, et grâce à la diffusion instantanée de l’intégralité des saisons. Amazon, avec son premier coup d’essai, Transparent, a remporté cette année le Golden Globe de la meilleure série musicale ou comique, mais également le Golden Globe du meilleur acteur dans la même catégorie. De plus, les autres chaînes premium se sont aussi positionnées sur le segment des séries « d’auteurs » avec par exemple AMC et ses succès Mad Men (refusé à l’époque par HBO) et Breaking Bad.
Cette fois c’est Home Box Office qui se trouve dans la position de suiveur. Son propre service de VOD, HBO GO vient d’être lancé aux Etats-Unis sans souscription préalable au câble et chaque annonce que le mastodonte fait, entraîne une chute de la valeur boursière de son concurrent Netflix. Le lancement mondial devrait rapidement suivre, l’attente des pays européens étant particulièrement importante. Le câble, dernier obstacle pour l’accès légal à la chaine sur le vieux continent, vient de sauter et l’opération devrait être, encore une fois, un succès.
Thibaut Paulet