L’impression 3D permet de créer des objets en volume à partir de simples fichiers numériques et menace de placer les industriels et les créateurs de toute sorte dans la même situation que l’industrie de la musique il y a quelques années. Ce sont des filières toutes entières qui se retrouveraient menacées. Comment le droit de la propriété intellectuelle peut-il appréhender cette nouvelle réalité ?
L’impression 3D relève de secteurs d’activité extrêmement variés : petit outillage, jouets, aéronautique, automobile, bricolage, accessoires en tout genre, ustensiles de cuisine, bijoux, décoration … En permettant aux particuliers de réaliser un scan en 3D de n’importe quel objet et d’échanger le fichier numérique associé en peer-to-peer sur internet, ce nouveau mode de fabrication des objets est susceptible d’engendrer un bouleversement fondamental de nombreuses entreprises en facilitant la contrefaçon et le vol de propriété intellectuelle et industrielle. Il pourrait s’agir d’un nouveau chapitre en développement de l’histoire malaisée entre technologie et propriété intellectuelle.
100 milliards de dollars de perte par an
Gartner Inc., une entreprise de conseil et recherche en technologies de l’information, a prédit que l’impression 3D mènera à la perte de plus de 100 milliards de dollars par an en vol de propriété intellectuelle à partir de 2018. Cette « disruption » pourrait donc être énorme quand les individus seront en mesure de construire chez eux leurs propres produits de consommation. Une étude suggère que les imprimeurs domestiques pourraient économiser jusqu’à 2000 dollars par an, en imprimant seulement deux douzaines d’objet au moyen de l’impression 3D. Un impact négatif dramatique pourrait également impacter la situation de l’emploi dans un tel scénario.
Des débats concernant la propriété intellectuelle
La question sans doute la plus basique soulevée par l’impression 3D est la suivante : qui possède l’œuvre imprimée en 3D ? Est-ce la personne qui a conceptualisé le design, celle qui crée le fichier numérique grâce à un logiciel, ou celle qui opère l’imprimante 3D ? En fait, les trois ont peut-être contribué au processus créatif : un designer crée le concept principal, un informaticien crée une version lisible pour un ordinateur de l’idée du designer, et un opérateur ajuste les matériaux et choisit les différents paramètres de l’imprimante.
Il est probable que les cours de justice aient recours au droit habituel et antérieur de la propriété intellectuelle qui couvre des objets comme les dessins architecturaux ou les œuvres de sculpture. Le droit de propriété intellectuelle est avant tout possédé par le créateur du fichier du design 3D. Si plusieurs autres personnes contribuent à l’originalité de l’œuvre, ils peuvent être jugés co-auteurs. Ainsi, pour des objets complexes imprimés en 3D, le designer, l’informaticien et l’opérateur peuvent tous posséder le copyright si l’œuvre est considérée comme un travail collaboratif. Chacun des co-auteurs peut indépendamment accorder des licences de copyright ou vendre sa part.
Les entreprises de création d’objets imprimés en 3D vont sans doute faire face dans le futur au même problème que les entreprises développant du logiciel : si un employé utilise par ignorance ou inadvertance des sections de design distribuées en open-source, cela risque de rendre plus difficile la capacité future de l’entreprise à affirmer la propriété intellectuelle du design. Dans l’industrie du software, les entreprises mettent fréquemment en place des bonnes pratiques pour l’usage de code open-source, afin d’assurer une protection maximale de la propriété intellectuelle. Une entreprise peut autoriser l’utilisation d’un tel code mais en mettant en place un système rigoureux de suivi des portions utilisées et qui seront exclus des accords de copyright. Les entreprises d’impression 3D choisiront sans doute dans un futur proche de tels systèmes pour monitorer et empêcher l’incorporation non-autorisée d’éléments de design disponibles publiquement en open source.
Est-ce que les designs 3D peuvent être considérés comme des secrets commerciaux ?
Une fois divulgué publiquement, le design d’un produit est certain de perdre l’éligibilité pour une protection en tant que secret d’entreprise. En revanche, s’il est gardé secret, les fichiers « CAD » de modèles d’impression 3D peuvent être qualifiés comme tels. C’est en tout cas ce que la justice américaine a considéré dans le jugement “Ritani, LLC v. Aghjayan et al.” : un développeur de designs en bijouterie a obtenu la reconnaissance des fichiers CAD en tant que secrets commerciaux.
Ce que le copier-coller a fait dans la mise en péril de la propriété intellectuelle stockée digitalement, l’impression 3D le fera sans doute à la propriété intellectuelle résidant dans une forme tangible : les sculpteurs perdront le contrôle sur la réplication de leurs statues, vases et modèles architecturaux de la même manière que les musiciens modernes font face à la duplication virale de leurs chansons digitalisées. La duplication non-autorisée de designs imprimés en 3D non seulement soulève des problèmes de copyright mais menace également les marques déposées, l’habillage / l’apparence commerciale, et les droits associés aux brevets de designs industriels. Au vu du large panel de matériaux qui peuvent être imprimés, et du niveau de complexité qui peut être atteint, des contrefaçons réalistes seront de plus en plus faciles et rentables à faire. Le design de bijouterie, par exemple, possède un design distinct, qui sera probablement vulnérable à de la contrefaçon 3D. Des imprimeurs, situés n’importe où dans le monde, pourront produire des bijoux dans l’ensemble impossibles à distinguer des designs copyrightés par des marques célèbres. La contrefaçon ne sera pas juste limitée à des imitateurs de talent, mais à n’importe qui possédant le fichier CAD et un accès à une imprimante 3D. Certes, le droit des marques continuera de gouverner les décisions pour savoir si un design donné enfreint les droits d’une marque. Cela étant, comme dans l’industrie de la musique, la possibilité d’application de ces règles semble réduite au vu d’une infraction généralisée.
Photo issue de http://www.law.ed.ac.uk/
Mafia et contrefaçon 3D
Les activités de contrefaçon d’objets imprimés en 3D risquent d’être développées à un niveau professionnel et à une échelle commerciale par des réseaux mafieux et criminels. Pour de telles organisations, l’impression 3D peut remplacer des travailleurs fragiles et clandestins par des robots efficaces. Des réseaux bien organisés n’hésiteront pas à scanner toute sorte d’objets, comme des jouets produits par une marque reconnue, et vendre des répliques contrefaites avec les mêmes caractéristiques, mais sans la qualité. La solution reste de rendre les consommateurs davantage conscients de ce problème en les informant correctement sur les risques associés à l’utilisation d’un produit qui ne porte pas les signes d’une version authentique et originale.
Authentification des objets
Des solutions d’identification et d’authentification d’objets imprimés en 3D existent déjà sur le marché, qui consistent à ajouter des marqueurs spéciaux et non-reproductibles sur les objets. Le standard international ISO 12930 liste les mesures, la méthodologie et les critères de performance nécessaires pour assurer la protection des produits.
Parmi les autres solutions innovantes, l’entreprise américaine Microtrace propose un processus de marquage qui consiste en l’insertion de micro-tags dans les objets en plastiques, invisibles à l’œil nu, et qui permet à un nombre infini de codes d’être généré en combinant couches d’impression et différentes couleurs.
L’entreprise allemande Bayer Technology a également développé une technologie d’authentification pour les objets de ses clients : ProteXXion. Là encore, chaque objet fabriqué est unique grâce à des modifications infinitésimales de sa surface. Chaque impression est scannée au laser et enregistrée dans une base de données pouvant servir à l’authentification ultérieure des objets si nécessaire.
Pour aller plus loin, on peut imaginer la mise en place d’une base de données accessible internationalement qui pourrait être consultée par les administrations nationales utilisant un scanner connecté pour inspecter les biens en circulation, pour chacun desquels un « code-barres » serait associé. La base de données pourrait également renseigner sur la date de téléchargement du fichier CAD, ou sur la date de lancement de l’opération d’impression. Une entreprise américaine a déjà déposé en 2012 un brevet pour un tel système, surnommé « Manufacturing control system » : quand l’imprimeur met en ligne un fichier CAD, une demande d’autorisation est envoyée à une base de données pour vérifier s’il lui est permis d’imprimer l’objet en question, et si la réponse est positive, de valider un nombre défini d’impressions. DNP, une entreprise japonaise d’impression 3D, a développé une application qui connecte les imprimantes 3D à une base de données contenant une liste d’objets dangereux ou soumis à copyright, pour lesquels l’impression n’est pas autorisée. Quand l’impression est prête, le système vérifie si cette dernière est légale en consultant cette base de données. L’efficacité d’un tel système repose sur des imprimantes équipées d’une suite logicielle adaptée. On peut imaginer que les vendeurs d’imprimante 3D soient obligés de vendre de telles imprimantes, et de signer une charte, même si cette décision relève de chaque pays.
Droit de la responsabilité
L’autre dimension problématique de l’impression 3D au regard du droit est celle du droit de la responsabilité : comment peut-on garantir que la manufacture, à la maison d’un objet 3D, se fasse dans des conditions optimales permettant le respect des standards professionnels de sécurité, et que les matériaux utilisés par le public ne sont pas toxiques, inflammables, ou peu résistants à l’usure ? Par exemple, si l’utilisation d’un jouet met en danger la santé d’un enfant, est-ce l’entreprise ou l’imprimeur qui est pénalement responsable ?
Ce problème peut également être transposé sur le terrain de la qualité. Lorsqu’un fichier musical est copié, la qualité du son n’est pas modifiée. En revanche, chaque impression 3D est unique, avec une machine différente, une personne différente manipulant le matériel, et des conditions spécifiques (matériau, humidité, etc.).
En somme, comment assurer le respect de standards en termes de qualité produit et de sûreté, pour des objets manufacturés par des personnes privées ? La question reste pour l’instant sans réponse.
Conclusion
À l’heure actuelle, des sites de vente d’objets imprimés en 3D et de designs existent déjà, tels que Shapeways ou Thingiverse. Ces sites observent le Digital Millenium Copyright Act : ils mettent en évidence sur leur page qu’ils supprimeront tout objet de la vente si jamais un possesseur de copyright se manifeste et demande son retrait, ce qui suffit au lieu de la loi américaine dans la mesure où ils ne promeuvent pas activement l’infraction de copyright.
Seul le temps nous dira si les vieilles règles du droit de la propriété intellectuelle sont suffisamment flexibles pour s’adapter aux problèmes subtils posés par l’impression 3D.
Pour aller plus loin :