La croissance exponentielle du nombre d’applications mobiles et tablettes donne le tournis. Comme dans tous les marchés en ébullition, la concurrence se fait rude et peut prendre parfois des allures de Far West : tous les coups semblent permis pour remporter la mise. Dernier règlement de compte en date : Meerkat contre Periscope. Le Portail revient sur le déroulé du « conflit », de quoi vous faire patienter en attendant Pacquiao et Mayweather.
Le temps des « apps »
Les applications mobiles se multiplient et cherchent des nouveaux créneaux d’intérêt permettant de toucher le plus possible de personnes, et ce, si possible, sur la durée. En dehors des jeux (on n’évoquera pas ici les Angry Birds, 2048, et autres …), ce sont les applications en relation avec les réseaux sociaux qui ont le vent en poupe. Celles-ci ne répondent pas forcément à des attentes spécifiques, mais permettent de créer des nouveaux moyens, ou en tout cas des nouveaux cadres, de communication.
L’illustration la plus parlante de ce phénomène est Vine : sur le papier, personne n’aurait vraiment misé sur l’impact que cette application a trouvé sur internet. En effet, il s’agit de faire des vidéos de 6 secondes (pas une de plus), publiable sur la plateforme de Vine et qui peut s’intégrer dans les posts Twitter. L’application, rachetée par Twitter fin 2012 et lancée en 2013, est devenue un incontournable du web, les « viners » s’échinant dans l’originalité, au point de devenir des « stars », invités de grands talk-shows américains, à l’instar de Jérôme Jarre.
L’application qui fait le buzz
Mais pour en revenir au sujet qui nous intéresse : Meerkat lance une application en mars 2015, disponible seulement sur Iphone pour l’instant, qui permet non plus de simplement poster des vidéos mais aussi de les consulter « en direct » sur les réseaux sociaux. Vos followers n’ont qu’à cliquer sur le lien indiqué dans votre tweet pour voir votre streaming. L’application connaît immédiatement un grand succès et le nombre d’utilisateurs explose. Cette réussite, Jimmy Fallon – l’un des grands gourous des talk-show américains – n’y est pas étranger car il lui donne une vocation particulière : il utilise le système de streaming pour montrer en live la répétition de son émission, permettant ainsi à ses followers d’avoir un accès (temporaire) aux coulisses.
Le 21 mars, deux semaines seulement après son lancement, l’équipe de Meerkat lève 12 millions de dollars de la part de Greylock Partners, investisseur « capital risque ».
Et c’est là que le bât blesse : Meerkat devient énorme, tout en n’étant pas dans le giron Twitter. C’est un problème pour ce dernier, qui préfère avoir la main sur l’ensemble des applications sur son réseau d’utilisateurs (son social graph).
A ma gauche : Meerkat,« indépendant », 100 000 utilisateurs en moins d’un mois ; à ma droite Periscope, entraîné par Twitter
La stratégie de Twitter
Quelle solution alors pour l’oiseau bleu ? La réponse est simple : monter une application concurrente, qui détrônerait Meerkat. Twitter décide alors d’accélérer les choses de son côté en utilisant une compagnie achetée récemment, et qui est dans le même créneau que Meerkat : le live-streaming. C’est l’apparition de Periscope : start-up achetée début 2015, pour 100 millions de dollars.
Et Twitter compte bien rentabiliser son investissement ! Deux semaines après le lancement de Meerkat, Periscope est présentée en grandes pompes le 26 mars 2015. La réaction a donc été très rapide. Mais il réside une problématique : Periscope arrive sur le marché avec un (léger) retard sur Meerkat, et laisser la concurrence telle quelle reviendrait à lutter non pas sur la performance et les qualités de l’application, mais surtout sur la communication. Et avec Jimmy Fallon de son côté, Meerkat avait mis Periscope dans les cordes.
C’est alors que le coup (fatal ?) est sorti. Uppercut ! Twitter décide de bloquer l’intégration des vidéos Meerkat sur sa plateforme. Ce dernier utilisait le réseau Twitter pour relayer ses vidéos live, et se retrouve dès lors dans l’impossibilité de relayer les adresses des vidéos en ligne, et donc de faire fonctionner son application correctement…
Victoire par K.O. Technique ?
Il est encore trop tôt pour le dire : Meerkat a beau être chancelant, son développeur reste positif. En moins d’un mois, l’application a vu s’inscrire quelques 100 000 utilisateurs, et il compte bien profiter de la vague pour rebondir. Dès le blocage provoqué par Twitter, il a lancé une mise à jour qui permet de se lier à des personnes influentes de Meerkat pour ainsi recevoir leur stream. Le but affiché étant de développer son propre réseau d’utilisateur pour pouvoir fonctionner tel que l’application avait été pensé. Et l’adhésion de stars à cette nouvelle communauté continue… (Madonna par exemple).
Cependant, sera-t-il possible de tenir la compétition avec le réseau de Twitter, surtout que les premières comparaisons entre les deux applications donnent Periscope gagnant ? Cette dernière est effectivement plus complète, et permet de revoir un stream pendant 24h quand Meerkat ne propose que la version live. Le contenu de Periscope est plus étoffé : la technologie « push » de l’application (c’est-à-dire qui permet de proposer du contenu) fait la différence, comme le fait de pouvoir commenter en direct le live (et d’envoyer des émoticônes, des petits cœurs et autres arc-en-ciel).
C’est peut-être ici le vrai tour de force du géant Twitter : une réaction rapide (quelques petites semaines), le lancement d’une application sur le même créneau (la vidéo en direct) qui est considérée comme « meilleure » que son concurrent, et pour finir, le Groupe a invoqué une raison d’utilisation de données internes pour bloquer de sa plateforme son concurrent et ainsi ralentir sa progression.
Le véritable combat d’égal à égal n’a pas duré : il semble difficile de battre un champion sur son propre terrain. Petit bémol toutefois, le fait que Twitter utilise sa position dominante pour mettre à mal « un petit » n’est pas forcément bien vu dans la communauté jette une ombre sur ce dernier. Le rapport du fort au faible joue toujours en faveur de ce dernier en termes de sympathie, mais la puissance de Twitter permet ce petit écart de conduite.
Il est difficile de conclure cependant : le graphe ci-dessus montre bien que si Meerkat a connu une baisse significative, l’écart entre les deux applications n’est pas si important que ça. Dans le doute, disons que ce n’était que le premier round… Surtout qu’avec le succès de ses applications commencent à se poser des questions d’ordre juridique (droits d’image, droits de retransmission, etc…). Le duel n’est pas terminé. Affaire à suivre donc…
Martin Biéri