Depuis 2011, une application fantôme glisse sans bruit dans les couloirs de la Silicon Valley. Au milieu des GAFAs qui cristallisent toute la lumière, Snapchat projette une ombre de plus en plus prégnante. Créée par Evan Spiegel et Bobby Murphy, la start-up s’est offert le luxe de refuser une offre de 3 milliards de la part de Facebook. Pari gagnant… l’application est aujourd’hui estimée à un montant effrayant de 19 milliards de dollars.
Pas encore entrée en bourse, la start-up se finance exclusivement par des levées de fonds successives. Selon le site Crunchbase, ce sont 848 millions de dollars qui ont été levés en 7 rounds provenant de 12 investisseurs différents. La dernière, effectuée en mars 2015, a notamment vu le géant chinois Alibaba injecter de 200 millions de dollars dans l’application. Principal avantage de ce mode de financement, Snapchat a la possibilité de rester discret sur ses dépenses et de conserver une certaine autonomie.
Si ces entrées de capitaux permettent au Groupe de se développer et de prendre une avance déterminante, force est de constater que le business model de Snapchat est encore balbutiant. La question sur les manières de monétiser l’application et de la rendre rentable se pose encore. Aucune des solutions déjà existantes ne semble convenir, que ce soit la vente d’objets virtuels (emojis, stickers, thèmes) ; la mise en place de publicités, difficiles à intégrer de manière non-invasive ; ou enfin la vente de données utilisateurs, quasi-inexistantes, à des annonceurs.
Avec des dépenses de croisière de 30 millions de dollars par an, comment expliquer une valorisation à 20 milliards de dollars ?
La promesse d’une révolution
Selon Evan Spiegel le service proposé par Snapchat a fondamentalement changé la nature de la communication digitale. Start-up atypique, extrêmement jeune, Snapchat a su profiter de la troisième révolution du Web. L’avènement des smartphones, toujours connectés et de plus en plus puissants, a coincidé avec l’apparition de nouveaux services et une modification des modes de communication. « Une image vaut mille mots » dit l’adage, et c’est exactement ce qu’a vendu Snapchat a ses débuts : une révolution des systèmes de messagerie traditionnels.
Simple d’utilisation, ultra-connectée, virale, l’application permet à l’utilisateur soit de discuter directement en one-to-one, soit de prendre des vidéos, y ajouter du texte, des dessins et d’envoyer le produit final à une liste contrôlée de récipients.
C’est ce simple pari sur l’image qui a connu un succès phénoménal auprès des jeunes, et fait de Snapchat l’un des principaux concurrents de Twitter et de Facebook. Alors que ce dernier souffre d’un mouvement de désaffection, Snapchat peut se targuer d’un taux d’engagement et de rétention des utilisateurs largement au-dessus de la moyenne ainsi que d’une croissance exponentielle de l’utilisation de ses services.
Le royaume des influenceurs
Si Snapchat a réussi a attirer des investisseurs, c’est principalement en raison du public que la start-up arrive à rassembler sur sa plateforme. La majorité des utilisateurs a entre 12 et 24 ans et se situe en Europe et en Amérique du Nord, l’une des cibles les plus difficiles à toucher pour les annonceurs. Et là ou l’application présente un avantage, c’est que par son biais, la personne cherchant à diffuser un message est sûre de capter l’attention de l’utilisateur : l’action de cliquer sur un identifiant l’oblige à interagir avec le contenu.
C’est pourquoi, l’application est devenue un moyen de communication privilégié pour de nombreuses marques qui espèrent ainsi toucher un public différent. Ou au contraire, continuer à fidéliser un public déjà acquis en lui proposant un « complément ». Le Petit Journal de Canal+ par exemple, a créé un compte Snapchat pour faire vivre les coulisses de son émission aux téléspectateurs ou leur permettre de revoir un sujet en replay. Elle s’adresse directement à eux et établit une sensation de proximité avec son public.
Des « comptes propriétaires » de marques, diffuseurs et annonceurs explosent avec pour ambition de faire vivre une communauté à travers une offre de contenus adaptés et originaux.
Les Etats-Unis se sont montrés extrêmement créatifs et ont développés de véritables stratégies de communication et d’influence à travers l’application mobile. La marque 16 Handles s’est même permise d’utiliser le grand public pour faire sa propre communication. L’utilisateur de Snapchat devient producteur de contenu et est utilisé par la marque pour créer du bruit autour d’elle. Le but : devenir viral et exister virtuellement. Dans ce cas précis, 16 Handles distribuait des coupons de réduction via Snapchat en échange de selfies ou autres photos imaginatives dans un des établissements du Groupe.
Grâce aux Stories, Snapchat étend le spectre du public qu’une marque pourrait habituellement toucher et devient une plateforme de diffusion totalement révolutionnaire dans sa forme comme dans son usage. Grâce à une communauté déjà présente et engagée sur ce réseau, la propagation de leur message est exponentiellement accélérée.
Le support est entièrement ouvert et c’est pourquoi des influenceurs ont déjà détourné l’application pour servir leur image ou l’image d’une marque par laquelle ils auront été embauchés. C’est notamment le cas de Jérôme Jarre, qui avait construit son succès sur la plateforme Vine. Après avoir délaissé cette dernière, il est devenu une cible prisée de grands noms tels que Pepsi ou de prêt à porter. Il a même permis un coup de projecteur sur le projet Zoolander 2 de Ben Stiller lors de la dernière fashion week de Paris en filmant l’acteur défiler lors d’un happening.
Une ambition démesurée
Ces derniers temps, Snaphat est entré dans un mouvement de renouvellement perpétuel. Plusieurs nouvelles utilisations ont été pensées pour l’application, dont notamment « Our Story ». Grâce à la géolocalisation et toujours avec l’idée selon laquelle l’utilisateur est producteur et relai de contenu voire d’information, c’est lui qui va communiquer sur un évènement en particulier auquel il participe. Les ligues américaines de baseball, de NBA et de foot américain ont ainsi permis aux utilisateurs de poster des vidéos sous une même bannière. Une succession de 200 secondes d’images filmées ou non se déroulent ainsi sous les yeux de l’utilisateur qui peut y avoir accès n’importe où dans le monde. L’utilisateur devient partie intégrante de la stratégie digitale d’une association ou d’un groupe à son insu et à moindre frais… Qui plus est, il est légitime de se poser la question de l’influence de telles vidéos et du pouvoir qu’elles peuvent dégager sur les spectateurs ? Les villes notamment ont ainsi entrepris de laisser les utilisateurs assurer leur communication en ouvrant des canaux Paris, New-York, Sidney ou encore Sao Paulo.
Enfin, dernière expérimentation, le mode Discover, qui permet à des médias traditionnels de s’exporter sur la plateforme en échange d’une compensation financière. Plus personnel, plus direct, cette plateforme à disposition des médias leur permet de disposer d’une vignette menant à un espace libre d’expression où ils ont à charge de créer des contenus adaptés. On y trouve ainsi des vidéos, des textes, des reportages de National Geographic, MTV, Vice, ESPN ou encore Snapchat, qui cultive une image définitivement jeune et décalée.
Olivier Larrieu
Pour aller plus loin :
- Meet the first viral Snapchat Stars, Laura Stampler, Time Magazine.