Les PME/PMI dans le cours disruptif de la transformation digitale

Au-delà d’un nouveau modèle économique, la technologie Blockchain pourrait contribuer à un nouveau mode d’organisation sociale…

Le numérique a changé l’économie

Tout aujourd’hui est numérique. C’est à ce point vrai que des institutions aussi vénérables et historiques telles que les chambres consulaires s’emploient à franchir le pas de la transformation digitale (pour proposer aux entreprises une « CCI de demain », à la fois connectée, collaborative et réactive), comme La Poste par exemple l’a déjà fait en son temps.

Le numérique a en effet tout changé dans l’économie, qu’il s’agisse des réseaux sociaux professionnels comme Linkedin, qui permettent à chaque individu d’interagir avec son ecosystème, de plateformes de services comme Über, qui permettent à des entreprises d’adresser directement les consommateurs, ou bien de nouveaux biens communs comme Wikipédia, qui se valorisent d’autant plus qu’on s’en sert. Aussi, comme chacun peut le constater au quotidien, ce changement de paradigme (modèle) repose sur le Big Data et la Mobilité (grâce au GPS), avec les possibilités immenses qui en découlent, à condition d’un usage intelligent.

Le Blockchain comme outil adaptatif à cette nouvelle économie

Nous devons alors nous inscrire dans cette démarche résolument « positiviste », pour aller au-delà, c’est-à-dire plus loin encore, voire beaucoup plus loin, en se fondant plus particulièrement sur la « Blockchain » (ou Ledger technology), qui, comme une machine à la fois infernale et bienveillante[1], semble pouvoir tout changer / « disrupter » dans la manière d’opérer les transactions d’unités / échanges de données entre les individus et/ou entités économiques.

Il s’agit là en effet d’une technologie robuste et éprouvée[2] dont l’intérêt principal ne réside pas dans sa composante technique, mais surtout dans les possibilités majeures que cela laisse envisager pour un nouveau mode de développement, un nouveau modèle de société… avec des échanges / transactions fondés sur les deux pivots essentiels de l’organisation sociale que sont :

– la confiance garantie envers les individus ou entités composant le système dans son ensemble (sans qu’il soit besoin d’ailleurs de connaître ceux-ci « personnellement » ou même de « croire » au bien- fondé du dit système, qui ne nécessite pas de recourir à une autorité ou « tiers de confiance »),

– et la sécurité assurée par un protocole cryptographique de « proof of work » (soit un calcul indolore qui permet, en particulier, la protection contre la fraude, y compris la fraude identitaire, et les manipulations diverses pouvant résulter d’autres individus, institutions ou groupes de pression).

Au-delà du dispositif de plateforme dotée d’un algorithme / logiciel apprenant qui offre des garanties aussi essentielles que : la Sécurité / Protection de la vie privée / Encryptage, et l’Efficacité / Vitesse / Simplicité… ,  la Blockchain se traduit de fait par quelques aspects fondamentaux qui méritent qu’on s’y arrête un instant pour voir ses implications :

– La Blockchain est un « conteneur » qui permet un enregistrement sécurisé et fiable (sous forme de blocs de Data ; chacun des blocs étant composé d’une partie modifiée du bloc qui le précède) des échanges / transactions (mais pas de leurs auteurs) et  le stockage de la donnée collectée, dans une BDD partagée, répartie, distribuée, encryptée et, toutes choses égales par ailleurs, « autoportée » (self-sustaining)…

– La Blockchain est par ailleurs une organisation en P2P (« peer to peer »), c’est-à-dire en réseau de validation décentralisé / distribué (c’est-à-dire sans autorisation pour participer au protocole, sans intermédiaire responsable ni tiers de confiance), qui se traduit par un système d’authentification par preuve fiable et inviolable, avec un protocole de chiffrement des échanges de données dans des conditions « certaines » et garantissant totalement l’anonymat.

Parmi les exemples de champs d’application de la Blockchain, on peut plus particulièrement citer : la formation (diplôme, dossiers scolaires),  du travail (certificat, évaluation), de la propriété (acte notarié) ou la propriété intellectuelle (copyright)… ou encore de transactions financières, d’expertise comptable … Egalement, la Blockchain peut être utilisée pour les élections, les actes publics (cadastre) ou les actes d’achat / vente (immobilier) …

En tant que grand registre (Ledger) de transactions ouvert au public (via Internet, par P2P), mais qui est également un livre de comptes à la fois anonyme, décentralisé et infalsifiable, la Blockchain permet donc d’imaginer aussi une organisation sociale qui serait fondée sur le contrat « intelligent »[3] ; ainsi qualifié parce qu’il renforce l’égalité entre toutes les parties et élimine les intermédiaires avec les manipulations qu’ils provoquent.

Aussi, la généralisation de ce contrat « intelligent » et en quelque sorte « autogéré »[4]  se fera nécessairement par le réseau et le plus vraisemblablement au travers d’un processus de gamification (via son interface graphique avec les utilisateurs). Pour expliquer cela, soulignons à nouveau les caractéristiques de la technologie Blockchain, en tant que système de gestion et d’enregistrement d’échange vérifié, sans que l’une ou l’autre partie soit publique, mais totalement garanti contre la fraude :

– Il n’y a pas d’autorité centrale ou d’intervention d’un tiers de confiance, qui serait susceptible de générer une fraude, une falsification ou sinon un contrôle « politique »,

– La décision prise est non contestable, car elle distribuée au travers d’une vérification décentralisée (algorithme validant le consensus partagé entre des sources multiples),

– Chacun des participants dispose d’une identité individuelle et unique (encryptée[5]), non duplicable et dont l’anonymat est absolument garanti (avec aussi par ailleurs la possibilité de recourir en outre à un pseudo),

–       L’échange / transaction se fait en temps réel, avec un risque minimal et à coût extrêmement réduit, grâce à un process électronique qui est partagé dans son ensemble, en une seule fois, pour chaque transaction (suppression de la de redondance obligatoire, avec les délais de retard associés),

– Les transactions / échanges étant toutes tracées, elles peuvent servir de preuve (également pour établir de la statistique ou élaborer une veille), sans que l’identité des individus ou des entités qui constituent les parties prenantes soient révélée.

Ainsi, nous sortons bien du cadre réglementaire habituel, plus particulièrement grâce à ce nouveau « contrat social » que la Blockchain en tant que formidable « Trust Machine » technologique permet de mettre en place, et qui se traduit par :

– La constitution de « market places » de confiance,

– La preuve rendue certaine (grâce au protocole de « proof of work »).

Une nouvelle gouvernance des organisations

Sur ces bases « solides » dans un contexte numérique généralisé, on peut alors imaginer une nouvelle gouvernance des organisations qui permettra notamment aux entreprises d’identifier très précisément les possibles dysfonctionnements (comme, par exemple, des délais de paiement excessifs des grands comptes) et d’évaluer (sous la forme d’un « scoring » ou « rating » établi par des pairs) très exactement ce qui génère ou non de la valeur. Pour les PME/PMI et start-ups, les applications de la Blockchain peuvent être très pratiques, comme :

– Opérations comptables,

– Traçage de mouvements de capitaux,

– Crowdfunding,

–  Elaboration et vérification de bases de données[6],

– Ressources humaines, partage de compétences,

– Mobilité des salariés…

En dehors du monde des affaires, la Blockchain peut s’appliquer à des domaines aussi complexes que, par exemple, le DMP (dossier médical patient, à la fois anonyme et accessible) la fiscalité des ménages ou la sécurité sociale ; le cadastre (registre Blockchain des titres fonciers au Honduras), l’enseignement (clef unique / numéro crypté pour chaque diplôme)… Egalement, le développement de l’IoT, Internet des objets, qui sera rendu moins aléatoire par la Blockchain qui permet d’éliminer les incertitudes moyennant des « smart contracts » reliant les capteurs….

Enfin, dans les économies émergentes, la Blockchain permettra aux populations d’avoir plus aisément accès aux opérations bancaires et financières, de même que le smartphone leur a récemment donné un plein accès au réseau Internet et au e-commerce.

En guise de conclusion (provisoire, car cette chaîne « is to be continued »…), on peut espérer  que la Blockchain se diffusera le plus largement possible et se développera pour le plus grand bénéfice des chacun, comme de la communauté dans son ensemble. A ce titre, on peut citer comme exemples ces deux belles histoires récentes (2016) de la Blockchain

– A NYC, la Blockchain est utilisée pour acheter  et vendre de l’énergie solaire (« Transactive Grid « ), moyennant une distribution en temps réel, en fonction de la quantité récoltée et des besoins de chacun.

– En Estonie, la nationalité numérique (« Bit nation ») a été développée avec la Blockchain qui donne à chacun des e-résidents la possibilité (identification numérique / vérification des antécédents) de signer des contrats de mariage, des certificats de naissance et des contrats commerciaux.

Mais, bien sûr, le futur n’est en soi pas prévisible et la technologie n’est jamais pérenne (au cours des 20 dernières années, on a ainsi pu constater la péremption rapide et successive des différents supports et lecteurs de données…), d’autant qu’on doit toujours garder à l’esprit qu’aucun système de cryptographie n’est voué à rester indéfiniment inviolable.

Denis DESCHAMPS

Responsable du pôle Innovation/Intelligence économique à la CCI Paris IDF



[1] S’agissant d’un système non administré, que rien ni personne ne contrôle, mais qui peut rendre indistinctement des services à tout le monde.

[2] Pour mémoire, le script de hachage cryptographique le la monnaie programmable Bitcoin a été élaboré en 2008-2009 par un individu / entité se présentant comme Satoshi Nakamoto (…). En 2015, Ethereum a relancé la dynamique en proposant la Blockchain au-delà de la meta-monnaie Bitcoin (limitée à un stock de 6 Milliards de $), moyennant une plateforme qui offre la possibilité d’enregistrer tous types de données et également d’y greffer des applis (par exemple, pour le vote, les jeux, le séquestre, l’enregistrement de valeurs…).

[3] Fondé sur le code, le « smart contract » obéit à des règles qui sont définies à partir d’une base de données Blockchain et qui ne peuvent s’exécuter que lorsqu’un certain type d’action se réalise.

[4] D’aucuns avancent même que la Blockchain permettra la disparition du Spam, grâce à la mise en place d’un nouveau système de messagerie.

[5] Le cryptage ne pouvant être ouvert que lorsque le lien est fait entre l’élément public mis sur la chaine et l’élément privé détenu par chacun. Il s’agit ainsi d’une chaine de cryptographie avec une validation continuelle, bloc par bloc.

[6] On citera comme exemple Everledger qui est une BDD mondiale des diamants constituée de fiches électroniques avec les caractéristiques propres de chaque diamant.