Le Data Scientist, un professionnel au cœur de la coopération public/privé en matière de sécurité et de prévention

Un article du Harvard Business Review de 2012 présentait la profession de Data Scientist comme étant « la plus sexy de l’année ». Et pour cause ! Le Data Scientist est l’homme qui chuchote aux oreilles des dirigeants de sociétés. Cette situation est due aux tâches qui lui sont confiées: il est en charge de la gestion des données, de leur traitement ainsi que de leur analyse. Ce faisant, il communique ce qu'il apprend et suggère de nouvelles directions commerciales et stratégiques aux dirigeants.

Ces compétences constituent un atout majeur dans le monde du renseignement, notamment dans un  contexte de menace terroriste élevée et permanente où chaque information peut revêtir une importance capitale. En conséquence, les ministères des Armées et de l’Intérieur s’orientent vers ces « ingénieurs du monde cyber » afin de mieux anticiper les actions terroristes et attentats. En effet, selon Pascal Bolot, secrétaire général de la Défense et de la Sécurité Nationale, « le temps s’écoulant entre l’appel au passage à l’acte par la propagande terroriste et l’action est très rapide »[1]. L’intérêt du Data Scientist serait de pouvoir rapidement repérer les cas susceptibles de répondre à cet appel et ainsi de déjouer  de nombreuses actions terroristes.

Cet important savoir-faire est aussi demandé par des entreprises de plus en plus nombreuses, qui  font face à un manque de profils disponibles. Une situation qui a pour conséquence d’augmenter la rémunération attribuée au Data Scientist. Cette problématique concerne directement l’Etat car, s’il n’a pas hésité à engager des frais de masse dans le recrutement en milieu cyber, il semble difficile d’exiger de nouveau de telles dépenses afin de recruter des Data Scientist.

L’option la plus simple semble alors être celle d’une coopération public/privé, qui permet une meilleure rentabilisation des coûts tout en permettant de bénéficier des compétences de cet expert. Comme le rappelle Stéphane Schmoll, président de la Commission stratégique du Conseil Industriels de la Confiance et de la Sécurité (CICS), le monde change très vite et les entreprises ont « le devoir de s’adapter à cette réalité qui change tout le temps »[2]. Cette évolution n’est en revanche pas la même du côté de l’État qui, moins souple par nature, fini par devoir se reposer sur le privé. À titre d’exemple une première coopération entre l’État et l’entreprise IDEMIA a prouvé son efficacité dans l’analyse vidéo intelligente, aidant ainsi les polices scientifiques à résoudre des affaires. IDEMIA est une entreprise née de la fusion entre Oberthur, spécialisée dans la conception et la fabrication de solutions et de services de sécurité embarqués, et de Morpho, ex-filiale d'identification et de sécurité de l’équipementier aéronautique Safran. Elle cherche à s’imposer comme leader mondial dans le secteur de la biométrie. C’est notamment grâce  à ses caméras qui permettent de faire de  la reconnaissance faciale que des suspects ont pu être identifiés par la police. En outre, IDEMIA a équipé l’aéroport de Singapour l’un des plus grands du monde – d’un système d’enregistrement automatisé fondé sur la reconnaissance faciale du passager. Le tout dans le but d’y renforcer la sécurité.

Cependant, cet exemple n’est qu’une forme possible de coopération car elle ne porte que sur l’utilisation par l’État d’une technologie mise au point par une entreprise privée. Par ailleurs, Claude Tarlet, président de la Fédération Française de la Sécurité privée, affirme lors de son intervention à l’Echosevent du 9 novembre 2017  qu’il « n’y a pas d’autres voies qu’un partage de savoir-faire, de savoir-être et de mutualisation des compétences entre le public et le privé ». Un tel système pourrait éviter à l’État d’employer directement les Data Scientist dont il a besoin, tout en lui permettant d’avoir accès aux informations et aux analyses les plus pertinentes. De plus, l’intérêt d’une société privée est qu’elle apporte plus rapidement un service et propose une offre globale allant du conseil à la mise en place dudit conseil. C’est un  gain de temps précieux puisqu’ainsi l’autorité centrale n’a pas à centraliser les retours de chaque ministère pour pouvoir agir.

On pourrait alors se poser la question de savoir comment s’effectueraient ces partages, notamment pour les Data Scientists. Serait-ce au moyen d’un contrat entre un gouvernement et une entreprise spécialisée dans la data analysis pour effectuer une mission à des prix préférentiels ; ou bien d’un « prêt » d’un salarié Data Scientist en échange d’un système d’imposition dérogatoire ? Les entreprises privées auraient-elles accès à des dossiers personnels gérés par l’État ? Beaucoup d’option peuvent être imaginées à cette fin, dans l’espoir de mettre en place une coopération pleine et entière.

Mais si une telle coopération paraît nécessaire pour l’instant, rien n’a encore été décidé dans ce domaine. De surcroît, un autre problème de taille viendrait sans doute y mettre un frein : l’éthique. Le Data Scientist travaille sur des données, des informations et des indications qui seraient à la portée de l’État ou des sociétés privées selon la coopération décidée. Une intrusion dans la vie privée des citoyens serait très mal vue. Selon une étude de 2016, 49% des français considèrent que la protection de la vie privée sur internet est très importante et 40% considèrent qu’elle est assez importante. Il existe donc une opposition que l’on pourrait qualifier de « culturelle » de nature à empêcher un tel rapprochement.

Toutefois, si cette coopération venait à voir le jour, il faudra répondre au manque de Data Scientist en France. En effet, les formations proposées sont peu nombreuses et élitistes. Il s’agit principalement de formation d’ingénieurs ou de docteurs spécialisés en analyse statistique et programmation informatique. Alors que les premiers restent en France, les seconds ont tendance à partir pour les États-Unis où ils sont mieux accueillis et, surtout, mieux payés.

Manon Fontaine Armand


[1] Propos recueillis lors de l’Echosevents 2017 ayant pour sujet « Changement de visage du terrorisme : quels nouveaux enjeux économiques et politiques ? »

[2] Idem