Chaîne de valeur et analyse : comment appréhender la raréfaction des ressources en termes d’enjeux industriels?

Habituellement, les analyses des enjeux autour des ressources minières se focalisent sur la production de minerai sans prendre en compte la totalité de la chaîne de valeur, c’est-à-dire des différents segments de la filière industrielle allant de la mine au consommateur final.

De fait, les analyses se concentrent : soit sur les stratégies étatiques et des compagnies publiques des pays producteurs, avec en sous-jacent la concentration géographique et/ou concurrentielle de la production de ressource brute ; Soit sur les différentiels entre l’offre et la demande, et donc de prix et de coût de production, renvoyant la question de la raréfaction à des déterminants géologiques et économiques.

Bien que nécessaires et intéressantes, ces analyses restent incomplètes. Ainsi, en raisonnant sur toute la chaîne de valeur de la ressource, en montrant sa complexité et sa segmentation, d’autres points de fragilités pour les industriels consommateurs peuvent être mis en évidence. Par exemple, la présence d’acteurs hétérogènes (publics et privés, industriels et financiers) aux objectifs variés, des lieux différents selon l’étape d’industrialisation, d’enjeux polymorphes tant de richesses que de pouvoirs…

En prenant l’exemple de la chaîne de valeur des terres rares, nous pouvons remarquer le caractère concentré de celle-ci, en plus de celui de la production, alors que les finalités de ces minerais sont multiples et centrales pour diverses industries : défense, automobile, énergie, NTIC, chimie…

La chaîne de valeur des terres rares peut se résumer ainsi : exploration-production ; Séparation ; Raffinage ; Production de poudres, de métaux ou d’alliages métaux-terres rares ; Fabrication de composants ; Consommateur industriel ; Consommateur final.

La Chine, du fait de sa stratégie – ou de l’absence de vision stratégique de pays industrialisés –, est le seul pays à localiser la totalité de la chaîne de valeur sur son territoire. De même, elle détient actuellement la majeure partie des technologies et des brevets dédiés à la séparation/métallurgie des terres rares. A l’inverse, d’autres pays (Japon, Etats-Unis, France, Allemagne…) ne disposent de savoir-faire et de capacités que sur certains segments, généralement sur ceux relatifs aux produits finis et semi-finis comme les aimants, alliages…

Ainsi, une analyse lambda de la situation en termes de production brute ferait croire que les divers projets d’exploration-production en cours (Australie, Etats-Unis, Gabon, Madagascar, Malaisie…) permettraient de réduire les tensions d’ici quelques années. En effet, 95 % de la production étant chinoise, ce chiffre devrait mécaniquement baisser. Or, en prenant en compte toute la chaîne de valeur, il s’avère que 90 % des alliages métalliques à base de terres rares sont également fabriqués en Chine. Les chiffres avancés sont de 75 % pour les aimants à base de néodyme et 60 % pour ceux à base de samarium.

Dans les années à venir, les goulets d’étranglement ne concerneraient donc plus seulement la production brute mais d’autres segments industriels, obligeant les consommateurs à être toujours dépendants d’une industrie chinoise gardant la maîtrise technologique (et également la valeur ajoutée). Les pays industrialisés (Etats-Unis, Europe de l’Ouest, Japon, Corée du Sud) ne sont donc pas uniquement fragilisés par le manque de production brute sur le sol national mais aussi par l’insuffisance, voire l’absence, des maillons liés au raffinage et à la fabrication d’alliages.

De même, ces capacités sont essentielles pour permettre le développement de la production de minerai. Si celle-ci est possible localement (ressources valorisables économiquement) mais que les étapes suivantes ne sont pas présentes/disponibles, il existe également des goulets d’étranglement industriels : la production brute ne se développe pas ou alors est transformée dans les pays disposant de ces capacités.

Comprenant ces risques, les Etats-Unis ont alors relancé le développement de la filière nationale de terres rares. Les nouvelles dispositions législatives, financières… soutiennent la stratégie d’intégration verticale de l’entreprise privée Molycorp : de la mine (Mountain Pass) à la fabrication d’alliages, par des partenariats ou des rachats d’acteurs au Japon et en Europe (Silmet)… Le renforcement de métallurgistes présents sur le sol national (Electron Energy Corporation produisant des aimants à base de samarium et gadolinium) est également une priorité et, plus globalement, un état des lieux des fragilités est réalisé. Par exemple, les Etats-Unis ne disposent pas sur le sol national de producteur du très recherché alliage à base de néodyme, nécessaire dans l’énergie, la défense et l’électronique. En outre, des actions sont menées afin de renforcer la recherche et développement, la formation du personnel, l’accès aux crédits…

Ainsi, la stratégie américaine vis-à-vis des ressources critiques est de garder un « contact » avec la ressource brute afin de consolider, en aval, le tissu industriel. Au-delà de la sécurisation de la valeur ajoutée, localiser sur le sol national ou détenir différents segments de la filière via des acteurs (industriels et/ou financiers) américains renforcent la sécurisation des approvisionnements ainsi que les activités liées comme la recherche et développement (brevets, nouvelles utilisations…) privée et publique.

Pour la France, des pistes d’action adéquates afin de soutenir la base industrielle et technologique nationale sont encore à imaginer et à mettre en œuvre. Peut-être un renforcement de la coopération avec certains pays producteurs, disposant de ressources minières brutes mais sans moyens de les valoriser, serait une solution ? Le préalable reste, néanmoins, une mise en commun des volontés des acteurs des sphères privée et publique afin d’éviter une déperdition de moyens.

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