[JdR] La gestion du risque dans des zones de conflits

La gestion des risques sur le territoire français est bien différente de celles sur les zones sensibles. Cette semaine, pour les Jeudis du risque, le Portail a assisté à la conférence du 16 mai 2017 à l’Ecole de Guerre Economique où Matthieu Chantrelle, référent sécurité au département des opérations chez Médecins sans Frontières (MSF) France, a présenté les moyens d’intervention de MSF dans les zones de conflit.

Depuis la création de l’association en 1971, MSF est une organisation non gouvernementale portant assistance à des populations dont l’intégrité physique est menacée : conflits armés, épidémies, pandémies, catastrophes naturelles …

Le critère principal est l’urgence : l’intervention de MSF n’a pas vocation à perdurer, ce n’est qu’une aide ponctuelle apportée dans le cadre de crises, en coordination avec le ministère de la santé du pays concerné.

Toutes ces situations nécessitent des ressources médicales et logistiques adaptées.

Grâce à un budget d’envergure, provenant de fonds privés, la MSF peut se permettre d’être indépendante, impartiale et neutre :

  • Indépendance de tous pouvoirs politiques, militaires ou religieux.
  • Neutre dans toutes les zones de conflit.
  • Impartiale en prodiguant des soins, à toute personne dans le besoin.

Ces interventions ne sont pas sans risques pour les équipes ainsi que pour les patients. Aussi, la MSF a mis en place une véritable culture du risque dans le choix et la gestion des projets menés en fonction des risques afférents. 

 

Comment intervenir ?

Avant d’intervenir une zone, une phase préalable d’exploration de la zone est nécessaire afin de prendre contact avec la population locale, sécuriser l’accès à la zone et faire un état des lieux de la situation (contextuelle, sécurité et santé) pour définir la faisabilité du projet.  

L’identification d’un interlocuteur est primordiale pour garantir l’efficacité et la faisabilité du projet. En effet les interventions de MSF se faisant par le biais de la négociation et non par l’utilisation de la force, l’interlocuteur local a donc une place centrale. Les négociations ont lieu avec les ministères de santé ainsi que les forces armées contrôlant la zone.

En l’absence d’interlocuteur, la situation est très risquée et l’intervention a peu de chances de se concrétiser. Le recours à des escortes armées est exceptionnel et le dispositif est peu efficace. C’est le cas de la Somalie où MSF a fait le choix d’engager les milices comme protection pour faciliter l’acceptation de la mission humanitaire. Pour autant les équipes ont subi des assassinats et kidnapping. Cela a justifié le retrait de MSF de la Somalie.

En cas de risques importants, il est également possible d’avoir recours à une intervention à distance : les équipes locales agissent sur le terrain et les équipes internationales travaillent à distance depuis des grandes villes, un pays frontalier ou à l’aide de visites expresses sur le site. Bientôt, la télémédecine permettra également une intervention à distance.

 

Comment sécuriser ?

Quand la MSF intervient sur site, le risque est principalement géré par les personnes sur le terrain : ce sont elles les plus exposées.

Le siège permet de garder une continuité, une cohérence et un historique pour les équipes-terrain. Ces dernières ont vocation à travailler sur le court terme.

Le siège a également un rôle de conseil sur les problématiques terrain car l’équipe du siège est composée de membre ayant une très forte expérience terrain. Aussi, le siège est là pour jouer le rôle de garde-fou : en cas de risques trop importants, il prend la décision de sortir le personnel de la zone.

En cas de crise majeure (décès, kidnapping), le siège gère la cellule de crise à distance ainsi que sur le terrain pour une résolution rapide et a en charge la relation avec les familles notamment.

Sur place, des dispositifs sont mis en place pour sécuriser au mieux le personnel ainsi que les patients :

  • Aucune arme ne peut pénétrer dans l’enceinte de l’hôpital, les groupes armés respectent cette règle car l’hôpital leur est utile pour soigner les combattants et les civils victimes.
  • Des gardiens sont recrutés dans les hôpitaux, ils ne sont pas armés mais doivent gérer les armes en les interdisant et consignant.
  • Embauche de traducteurs locaux pour faciliter le contact avec les patients ainsi que les groupes armés.
  • En cas de déplacement, des contacts réguliers sont effectués avec le siège et avec la coordination pays pour assurer la sécurité du personnel en mouvement. Le déplacement se fait uniquement à l’aide de véhicules.

Forte de son expérience, MSF est l’une des ONG françaises les plus réputées. Grâce à l’aide apportée à la population locale, l’intervention de l’association est plutôt bien acceptée par les acteurs armés. Pour autant, l’association, consciente du danger, œuvre pour assurer la sécurité de ses équipes par des dispositifs efficaces et le recours à la négociation plutôt qu’à la force. Grâce à ces installations en douceur et ses valeurs d’indépendance, neutralité et impartialité, l’association peut œuvrer dans beaucoup de zones conflictuelles autour du monde. Certaines restent néanmoins inaccessibles, comme c’est le cas pour des régions d’Irak ou de Syrie. Le recours aux nouvelles technologies pourra sans doute permettre une meilleure accessibilité à distance à ces zones difficiles.

 

Jehna Levine